/

CLIMAT

Une éponge pour affronter le changement climatique

25 Sep 2024 | Articles de Une

Episodes de canicule, sécheresses estivales, fortes précipitations qui surchargent les égouts: tels sont les effets du changement climatique. Dans ce contexte, les villes doivent repenser leur aménagement urbain. La densité croissante des constructions s’accompagne d’une diminution des espaces verts. Préserver la santé et la qualité de vie de la population, tout en protégeant les infrastructures, devient un enjeu crucial. Belinda Walther Weger, responsable Public affairs & Développement durable auprès de la Mobilière, nous éclaire sur le concept de ville éponge, une solution innovante pour répondre à ces défis.

– Belinda Walther Weger, la Mobilière est un assureur. Pourquoi s’intéresse-t-elle à l’aménagement des villes?
– En tant qu’assureur à ancrage coopératif, nous tenons à prendre nos responsabilités vis-à-vis du changement climatique. Face aux dangers naturels, assurer, c’est bien; prévenir, c’est encore mieux. Depuis 2006, la Mobilière a d’ailleurs soutenu plus de 170 projets de prévention dans toute la Suisse, à hauteur de 43 millions de francs.

– Les projets de villes éponges font donc partie de votre stratégie de prévention?
Oui, et ils vont encore plus loin que la simple prévention des risques. En fait, ils associent prévention et résilience. Les principes de villes éponges contribuent à maintenir une qualité de vie élevée dans les régions à forte densité de population.

– Ces projets ont-ils vu le jour uniquement à cause du changement climatique?
– Non, certaines grandes villes travaillent depuis longtemps sur une gestion des eaux de pluie optimisée en fonction du climat. Ce n’est que récemment que l’on a commencé à regrouper diverses mesures sous l’appellation «ville éponge». Il s’agit d’un véritable changement de paradigme.

– A quel point de vue?
– Autrefois, la gestion des eaux pluviales consistait principalement à les évacuer le plus rapidement possible vers les canalisations, afin de minimiser les risques de dommages. Aujourd’hui, nous transformons l’espace public afin de permettre l’infiltration et l’évaporation de l’eau grâce à des processus plus naturels et inspirés de l’environnement non bâti.

– Pourquoi cette image de l’éponge?
– Elle est tout à fait appropriée pour illustrer le concept: grâce à des aménagements ciblés et à la plantation d’arbres et d’arbustes, le sol absorbe l’eau comme une éponge et la libère lentement. Quand il fait chaud, l’eau est utilisée par les plantes ou s’évapore. L’effet éponge permet aux villes d’affronter le changement climatique.

– A Lausanne, en juin 2018, à la suite de fortes précipitations, l’eau s’est déversée tel un torrent dans le passage souterrain de la gare. Est-ce un exemple des défis auxquels nous sommes confrontés?
– Absolument. Par exemple, dans une zone sensible en ville, une simple obstruction de la bouche d’égout pourrait provoquer une accumulation de 25 cm d’eau en cas de fortes pluies. Ce genre de situation se répète: les précipitations extrêmes sont de plus en plus intenses en raison du changement climatique, car l’air plus chaud peut absorber davantage d’eau. Il faut donc agir.

– Le ruissellement superficiel est un problème croissant. Quelle est l’étendue des risques en Suisse?
– Les statistiques sont alarmantes. Le ruissellement superficiel, c’est-à-dire l’eau de pluie qui ne s’infiltre pas dans le sol, est responsable de deux tiers des dommages causés par les inondations au cours des dix dernières années. Selon une récente analyse du Laboratoire Mobilière de recherche sur les risques naturels de l’Université de Berne, 62% des bâtiments suisses, soit environ 1,3 million de bâtiments d’une valeur totale de 2300 milliards de francs, sont menacés par ce phénomène.

A Lausanne, le Jardin de Circulation de la Vallée de la Jeunesse a été transformé en modèle grandeur nature pour la ville éponge.

– La ville éponge est-elle la panacée contre les conséquences du changement climatique?
– La ville éponge n’est pas une solution unique, mais elle offre une réponse à plusieurs problèmes simultanés. Elle permet de lutter contre les îlots de chaleur, de réduire les risques liés au ruissellement, de favoriser la biodiversité et d’améliorer la qualité de vie en réduisant les surfaces imperméabilisées.

– Pouvez-vous nous donner un exemple concret?
– A Lausanne, nous sommes partenaires de Lausanne Jardins. L’édition 2024, qui se termine le 5 octobre, nous a permis de transformer le Jardin de Circulation de la Vallée de la Jeunesse en modèle grandeur nature pour la ville éponge. Cette transformation durable permet d’atténuer les effets du ruissellement de l’eau de pluie. La Mobilière soutient actuellement aussi des projets de villes éponges à Berne, à Saint-Gall, à Schaffhouse et à Winterthour. D’autres sont en cours de planification.

– La Suisse semble à la traîne par rapport à d’autres pays dans ce domaine…
– La Suisse a effectivement pris du retard par rapport à des pays comme les Pays-Bas ou le Danemark, qui sont des pionniers dans ce domaine. Copenhague est un modèle. La planification des eaux de pluie est systématiquement intégrée à la planification urbaine. Cependant, les grandes villes suisses, comme Genève, commencent à rattraper ce retard. A Berne, par exemple, nous intégrons ces mesures dans le cadre de la rénovation d’une rue.

– En conclusion, quels sont les principaux défis pour généraliser le concept de ville éponge en Suisse?
– Le principal défi est de changer les mentalités et d’intégrer systématiquement ces concepts dans la planification urbaine, dès la phase de planification des nouvelles constructions ou lors de rénovations importantes. Il est crucial de sensibiliser tous les acteurs, des autorités locales aux promoteurs immobiliers, en passant par la population. La ville éponge fonctionne mieux lorsque plusieurs mesures interagissent, créant ainsi des espaces urbains plus résilients et agréables à vivre. Avec les initiatives que nous soutenons, nous espérons catalyser cette évolution nécessaire.

 

Propos recueillis par François Berset

Belinda Walther Weger.

GROS PLAN

Agir de manière durable
Que pouvons-nous faire à titre individuel?

 

Le principe de la ville éponge peut être appliqué à différentes échelles, y compris dans le domaine privé.

 

Quelques exemples:

  • Désimperméabiliser sa place de parc;
  • Utiliser l’eau de pluie dans son jardin;
  • Créer des espaces verts plutôt que des jardins de rocaille;
  • Favoriser la biodiversité dans son jardin;
  • Végétaliser sa façade ou son abri à vélo.

Cumulées, ces petites actions peuvent faire une grande différence.
Les paysagistes peuvent aider à concevoir et à mettre en œuvre ce genre de mesures, qui contribuent non seulement à la résilience climatique, mais aussi à la beauté et à la convivialité des espaces de vie.