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MARCHÉ IMMOBILIER - Analyse de Wüest Partner pour le JIM

Taux et démographie stimulent la demande

4 Sep 2024 | Articles de Une

La diminution des pressions inflationnistes en Suisse a permis à la BNS de réduire à deux reprises son taux directeur au cours du premier semestre 2024. Cette baisse a stimulé l’investissement et la consommation, tout en limitant l’appréciation du franc suisse, soutenant ainsi l’industrie exportatrice. La croissance du PIB réel pourrait ainsi atteindre un solide 1,2% cette année. Les marchés immobiliers ont également bénéficié d’une légère impulsion positive dans ce contexte de baisse des taux. La demande de logement en propriété reprend peu à peu de la vigueur et les prix progressent de nouveau de manière plus dynamique.

L’évolution démographique en Suisse est actuellement marquée par deux tendances contraires. D’une part, une forte diminution du nombre de naissances a conduit à un accroissement naturel de la population (c’est-à-dire le nombre de naissances moins le nombre de décès) extrêmement bas, avec seulement 8200 personnes en 2023, alors que la moyenne des dix années précédentes était de 17 700. D’autre part, la création de nombreux emplois (+95 000 postes créés sur un an au 1er trimestre 2024) dans un marché local presque saturé incite de nombreuses entreprises à recruter à l’étranger, stimulant ainsi l’immigration. L’immigration devrait permettre de compenser la baisse des naissances cette année, assurant ainsi à la Suisse une croissance démographique dynamique de +0,9%, soit environ 82 000 résidents permanents supplémentaires. Cela aura également pour effet d’accroître la demande de logement.

Logements en propriété:
la dynamique des prix accélère

• Appartements en PPE
Les prix des appartements en PPE connaissent une nouvelle accélération. Au niveau national, ils affichent une augmentation de 3,6% sur un an au 2e trimestre 2024. Cette reprise marque une intensification de la tendance, puisque la hausse observée fin 2023 était de 3,0%, tandis que la croissance annuelle moyenne des dix dernières années se situait à 2,8%. En Suisse romande, les cantons de Fribourg (+5,9%) et du Valais (+5,2%) se distinguent par des hausses particulièrement marquées, alors que le Jura reste à la traîne avec une progression de seulement 0,5%. Dans les cantons de Genève et de Vaud, la croissance annuelle reste plus modérée, à respectivement +1,9% et +1,6%. Mais dans les deux cantons, l’accélération est également sensible, car les prix y ont augmenté de 1,5% et 0,9% rien que sur le dernier trimestre.
Cette hausse des prix résulte d’une demande en plein essor, soutenue par la pénurie de logement locatif, la croissance démographique et la baisse des taux d’intérêt. Cette dynamique se manifeste dans l’évolution du nombre d’abonnements de recherche pour des appartements en PPE, qui avait fortement diminué entre mi-2021 et mi-2023, avant de rebondir de 8,6% entre juillet 2023 et juillet 2024 à l’échelle nationale. Ce regain est encore plus prononcé dans les régions MS (régions de mobilité spatiale, une norme utilisée par l’OFS, Réd.) de Lausanne (+9,9%) et Genève (+15,8%).
L’offre d’appartements en PPE demeure restreinte: dans les cantons de Vaud et de Genève, le taux de l’offre est de respectivement 7,8% et 5,7% au 2e trimestre 2024, soit une valeur inférieure à la moyenne des dix dernières années, bien qu’en légère hausse par rapport à l’année précédente. L’activité de construction neuve enregistre certes quelques signaux d’une reprise plus dynamique (voir Eclairage page 9), mais cela concerne prioritairement le segment locatif, et il faudra en outre du temps avant que de nouveaux logements arrivent sur le marché.
Le contexte actuel de forte demande et d’offre toujours limitée laisse présager que la tendance à la hausse des prix des appartements en PPE devrait se poursuivre tout au long de l’année 2024.

Remarque: le niveau des prix fait référence à la moyenne pondérée des prix communaux au
2e trimestre 2024 (pondération par le parc correspondant) pour les villas, les PPE, et les locatifs.
Les prix font référence aux villas, PPE et logements locatifs du marché libre. Les prix dans les zones de développement ne sont pas pris en compte.
Les évolutions correspondent aux taux de croissance pour les périodes de 2014 à 2024 , de 2021
à 2024 et de 2023 à 2024 pour les villas et les PPE , et de 2016 à 2024 , de 2021 à 2024 et de 2023 à 2024 pour les locatifs.
Les évolutions des prix locatifs reflètent l’évolution des loyers de l’offre (c’est-à-dire des loyers des annonces), ajustés en fonction de la qualité. Cet indice, étant nouveau, peut présenter des valeurs différentes de celles publiées dans les éditions précédentes, qui se basaient sur les baux conclus.
Altlas des prix des appartements en PPE [CHF] – Canton de Vaud.
Altlas des prix des appartements en PPE [CHF] – Canton de Genève.

• Maisons individuelles
Le segment des villas a également profité d’un regain de la demande suite à la baisse des taux d’intérêt. En juin 2024, le taux des hypothèques fixes à 10 ans s’établissait à 2,3%, contre 3,0% un an plus tôt (source: BNS). Ainsi, l’achat d’une villa standard dans le canton de Vaud en juin 2024 (prix: 1,7 million de francs) financé par une hypothèque à taux fixe sur 10 ans couvrant 80% de la valeur occasionnerait des frais de financement (intérêts et amortissements) de 48 500 francs par an. L’acquéreur d’une villa similaire au 2e trimestre 2023 aurait quant à lui dû faire face à des coûts annuels de 58 600 francs. La baisse des taux permet donc une économie d’environ 10 000 francs par an pour les potentiels acquéreurs, ce qui renforce nettement l’attrait de la propriété. Et cet effet devrait se renforcer au second semestre 2024, car les premières tendances suggèrent une poursuite de la baisse des taux hypothécaires. Il est par ailleurs probable que la BNS réduise à nouveau son taux directeur dans les mois à venir, ce qui rendrait les hypothèques Saron également plus attrayantes.
Globalement, La hausse des prix des villas a toutefois été plus modérée que celle des PPE. Au niveau national, les villas ont renchéri de 2,5% sur un an au 2e trimestre 2024, soit un point de pourcentage de moins que les PPE. Mais certains cantons romands ont toutefois connu une progression plus prononcée des prix, c’est le cas de Fribourg (+6%), du Jura (+5%, dont +3,2% rien que sur le dernier trimestre) et du Valais (+3,9%). On constate en particulier de fortes hausses de prix dans certaines régions touristiques, où le marché très attrayant des résidences secondaires tend à grignoter l’offre de résidences principales et tire ainsi le niveau des prix à la hausse pour tout type de propriété.
En revanche, dans le canton de Genève, les villas (dont le prix frôle les trois millions de francs) ont connu une évolution stable avec -0,1%. Mais avec un effet de rattrapage de +1% au cours du dernier trimestre. A l’instar des PPE, l’évolution récente de l’offre, de la demande et des prix laisse présager une poursuite de la dynamique haussière pour l’année en cours.

Logements locatifs: détente pas (encore) d’actualité

La croissance démographique soutenue en Suisse romande continue d’alimenter la demande de logement, en particulier sur le segment locatif. Les cantons de Fribourg et du Valais ont enregistré les plus fortes hausses de population au 1er trimestre 2024, avec des augmentations annuelles respectives de 1,9% et 2,2%. C’est également dans ces deux cantons que l’offre de logement locatif a diminué le plus fortement. La tension du marché locatif ne se cantonne donc pas aux grandes agglomérations, mais se retrouve de plus en plus souvent aussi dans les cantons plus périphériques.
Parallèlement, des signaux plus positifs commencent à émerger du côté de la construction neuve de logements locatifs: au 2e trimestre 2024, les demandes de permis de construire pour des logements locatifs ont fortement augmenté dans les cantons de Neuchâtel, Genève et Vaud par rapport à la même période l’année précédente (voir également l’Eclairage en page 9). En revanche, le Valais est le seul canton romand où ces demandes ont continué de baisser au cours des douze derniers mois, tandis qu’elles sont restées globalement stables à Fribourg.
Bien que ces développements soient encourageants, il faudra encore du temps, et surtout une intensification significative et durable de la construction avant d’espérer une réelle détente du marché locatif. Pour l’heure, la tendance à la hausse des loyers se poursuit donc. Entre le 2e trimestre 2023 et le 2e trimestre 2024, les loyers de l’offre ont progressé de 6,4% en moyenne nationale, et de respectivement 6,7% et 6,1% dans les cantons de Vaud et de Genève. Il est toutefois important de souligner que la hausse des loyers de l’offre n’impacte que les ménages qui recherchent un nouveau logement. Pour les locataires avec un bail en cours, la hausse a été plus modérée, s’établissant à +3,4% sur un an en moyenne nationale en juin 2024. Ce renchérissement pourrait en outre quelque peu ralentir prochainement, car le taux de référence hypothécaire, qui influence les loyers des baux en cours, devrait rester stable dans les prochains mois.

 

CORINNE DUBOIS,
VINCENT CLAPASSON
©WÜEST PARTNER SA
ET LE JOURNAL DE L’IMMOBILIER

Eclairage

Logements vacants et construction

• Genève: léger mieux depuis 2022, mais taux de vacance toujours insuffisant

Le canton de Genève comptait 1144 logements vacants au 1er juin 2024, contre 1041 l’année précédente, soit une hausse d’environ 10%. Cette augmentation est surtout due aux logements vacants de petite taille (1 ou 2 pièces), dont le nombre a progressé de 206 à 315, soit une hausse de quelque 50% sur un an. Les logements de 4 pièces, très recherchés par les couples et les familles, sont en revanche moins nombreux à être vacants, avec une baisse de 14%. Le taux de logement vacant genevois s’établit ainsi à 0,46% en 2024, confirmant la légère tendance à la hausse observée depuis 2022. Cependant, ce taux reste nettement insuffisant, car bien inférieur à son niveau optimal pour Genève, que nous estimons à 0,7%. Ce taux optimal, calculé à partir d’un modèle statistique développé par Wüest Partner, représente le seuil nécessaire pour équilibrer le marché locatif, permettant ainsi d’éviter une pression à la hausse ou à la baisse sur les loyers en termes réels.

• Vaud: stagnation à bas niveau du taux de vacance

Le canton de Vaud comptabilisait 4202 logements vacants au 1er juin 2024, soit un taux de vacance de 0,96%, une valeur quasi identique à celle de 2023 (0,98%). Cette apparente stabilité cache toutefois une importante disparité selon le type de logement: le nombre de logements vacants à louer a en effet chuté de 11% par rapport à 2023, tandis que les logements vacants proposés à la vente ont progressé de 35%. Ces données illustrent la difficulté croissante pour les ménages locataires de trouver un logement adéquat dans le canton de Vaud.
La baisse du taux de vacance a été particulièrement sensible dans les régions de Broye-Vully, du Gros-de-Vaud et de la Riviera, tandis que le taux de vacance est resté quasiment inchangé à Lausanne, dans l’Ouest lausannois et à Nyon. Des régions plus périphériques, comme le Gros-de-Vaud, se retrouvent ainsi avec un taux de logement vacant identique à celui de Lausanne. Cette situation pourrait s’expliquer par le manque d’alternative et les prix élevés dans les grandes villes et leurs agglomérations, qui poussent de plus en plus de ménages à se tourner vers des régions plus éloignées, déplaçant ainsi la demande et augmentant la tension sur le marché dans ces zones.

Genève: logements vacants et construction.
Taux de vacance par district – Vaud.
Vaud: logements vacants et construction.
Pénurie ou excédent de logement par canton (prévisions fin 2024, nombre de logements).

• Pénurie de logement: un phénomène généralisé

Genève et Vaud ne sont pas des exceptions: sur la base des chiffres de 2023 (les chiffres 2024 n’étant pas encore disponibles pour l’ensemble du territoire suisse), 21 des 26 cantons avaient un taux de vacance trop bas par rapport à leur niveau optimal. Zurich est actuellement le canton qui connaît la plus forte pénurie: on y estime le nombre de logements manquants à près de 9000. Mais les cantons de Vaud et Genève se classent tous deux dans le «top 5», avec respectivement 4000 et 3000 logements manquants pour l’année 2024.

• Construction: un espoir de reprise?

Les récents chiffres sur l’évolution des demandes de permis de construire apportent une note plus positive. A l’échelle nationale, on constate une hausse de 11% sur un an du nombre de logements dans les demandes de permis de construire. Cette hausse est même de 22% si l’on considère uniquement les logements locatifs. Et les cantons romands ne sont pas en reste: quelque 3000 logements locatifs ont fait l’objet d’une demande de permis dans le canton de Vaud au cours des douze derniers mois, contre 2400 l’année précédente. La hausse est plus marquée encore à Genève, avec 2000 logements locatifs neufs dans les demandes de permis au 2e trimestre 2024 (cumul sur 12 mois), contre 1150 à la même période de l’année précédente. Les principaux facteurs de cette potentielle reprise sont la baisse des taux d’intérêt, la stabilisation des coûts de la construction et la forte demande. Mais il reste encore à voir quelle part de ces demandes de permis seront effectivement accordées, et combien de projets pourront réellement sortir de terre et dans quels délais. Par conséquent, une détente significative du marché locatif ne pourrait, au mieux, se concrétiser qu’à moyen terme.

 

CORINNE DUBOIS, VINCENT CLAPASSON
©WÜEST PARTNER SA
ET LE JOURNAL DE L’IMMOBILIER