Les quatre vérités de Jean-Marc Vaudiau
Le silence du corps
Le tatouage est le cri
du corps qui dit aux autres
qu’il existe
Jean-Paul Sartre s’est employé à déconstruire l’être humain, comme bon nombre de penseurs modernes de sa génération. Sa conception de la liberté m’a toujours parue fausse, en ce sens qu’on ne peut pas réduire l’homme à ce qu’il fait, donc l’inscrire dans un devenir perpétuel, instable. Cependant, Sartre délimite quatre sphères qui échappent à notre liberté totale: le milieu dans lequel on naît et qu’on ne choisit pas; le passé, qu’on a déjà choisi; la mort, le fait de devoir mourir qui s’impose à tout être; et le corps, qui nous est génétiquement donné. Ces quatre zones limitent donc la liberté de la conscience humaine, elles la cadrent en quelque sorte.
Le «grand réveil» woke a fait un pas de plus dans la revendication de la totale liberté. Nous ne dépendons plus de la génétique parce que la culture est prétendument plus influente que la nature: ainsi, en dissociant sexe et genre, la «théorie du genre» a imposé l’idée absurde que le genre provenait de l’éducation; il n’existe pas deux sexes, mais une infinité de sexes dans l’espèce humaine, parce qu’il existe une infinité de consciences libres qui ressentent les choses chacune à leur manière. Donc le genre prime le sexe, et le corps n’a plus son mot à dire dans l’identité de l’être humain. C’est en fait une remise en question de l’existence matérielle du corps; nous sommes pure conscience. Et dans la mesure où les genres sont «libérés» des corps, rien ne s’oppose au fait qu’on puisse changer de genre à volonté.
Mais comment faire parler le corps? La modernité déboussolée a voulu redonner au corps une réelle présence: le tatouage. Le tatouage est le cri du corps qui dit aux autres qu’il existe; c’est une forme radicale de mise en valeur du corps, qui ne se cantonne plus à quelques couches sociales clairement définies, car le tatouage s’est généralisé. Par le tatouage, un passage se fait du corps fluide et inconsistant à un corps qui devient une œuvre et nul ne niera que cette œuvre soit érotique ou symbolique. En gravant sur le corps des formes et des couleurs, on lui redonne une consistance charnelle.