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PATRIMOINE - La cathédrale Saint-Nicolas de Fribourg

Un siècle (et bien plus) d’existence au cœur de la Cité

22 Mai 2024 | Culture, histoire, philosophie

La cathédrale Saint-Nicolas, monument emblématique du canton et de la ville de Fribourg, fête en 2024 ses cent ans. Construit progressivement entre 1283 et 1490, l’édifice fribourgeois le plus célèbre n’est en effet appelé cathédrale que depuis 1924. Cet édifice miroir du gothique européen fut d’abord une église paroissiale, puis une collégiale. Construite sur un éperon rocheux surplombant de 50 mètres la Sarine, elle domine des 74 mètres de sa tour le centre de la ville médiévale de Fribourg. Découverte de sa riche histoire et de sa signification patrimoniale et symbolique avec le Chanoine Claude Ducarroz, Prévôt émérite du Chapitre cathédral.

Une vieille Dame qui ne fait pas son âge.

– Pourquoi célèbre-t-on le centenaire de la cathédrale Saint-Nicolas, alors qu’elle est beaucoup plus ancienne que 1924?
– Les Fribourgeois sont les premiers étonnés, parce qu’ils imaginaient que Saint-Nicolas était cathédrale depuis toujours. Cette église est passée par trois statuts. D’abord une église paroissiale, depuis la fondation de Fribourg en 1157 jusqu’en 1512. La construction de cette grande église s’est achevée en 1490: on a vu grand pour une petite ville. En 1512, cette église paroissiale a été élevé à un niveau de dignité ecclésiale supérieure en devenant l’église d’un chapitre de chanoines, soit une collégiale. Un événement a tout changé: en 1536, l’évêque de Lausanne, car Fribourg appartenait au diocèse de Lausanne, est parti sous la pression des Bernois qui ont imposé la Réforme protestante dans le Pays de Vaud. L’évêque de Lausanne était comme un réfugié dans les territoires voisins, notamment en Savoie ou en Franche-Comté, et n’avait plus de cathédrale.
A partir de 1614, l’évêque de Lausanne est venu habiter à Fribourg, seule portion de son diocèse restée catholique. La question s’est posée de savoir s’il devait espérer retrouver sa cathédrale ou s’il fallait lui en donner une autre. Car un évêque sans cathédrale, c’est un peu un évêque sdf, c’est-à-dire «sans diocèse fixe»… D’innombrables négociations ont eu lieu entre les diverses autorités, afin d’essayer de proposer la collégiale comme cathédrale. Cela est finalement advenu le 17 octobre 1924, avec la création du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg. La collégiale devient alors la cathédrale Saint-Nicolas.

– Quelles sont les institutions qui font vivre ou s’occupent de ce monument fribourgeois?
– La cathédrale Saint-Nicolas est, à mon avis, la véritable maison du peuple, de tout le peuple, de tous les Fribourgeois. Et je crois que quelle que soit leur religion ou leur philosophie de la vie, tous sont attachés à la cathédrale. Dès lors, les autorités qui gravitent autour de ce monument s’entendent pour non seulement le faire vivre, le conserver et même, de temps en temps, l’embellir. Il y a l’Evêché, premier intéressé puisqu’il s’agit de l’église de l’évêque diocésain; l’Etat de Fribourg, propriétaire du monument; le Chapitre cathédral, qui continue sa mission à l’intérieur et autour de la cathédrale; la Paroisse Saint-Nicolas, puisque c’est aussi une église de cette paroisse qui englobe le quartier du Bourg et celui du Schoenberg. Il y a aussi toute sorte de commissions cantonales et fédérales qui s’en occupent du point de vue esthétique et des restaurations. Il y a encore des organismes privés qui soutiennent ce qui se vit à la cathédrale Saint-Nicolas. En ce sens, l’édifice est vraiment très bien soutenu, à travers ces différentes instances qui ont conscience qu’il s’agit d’un trésor plus que local et cantonal, même national, pour le rayonnement de Fribourg, bien au-delà de la cité.

– Peut-on parler de Saint-Nicolas comme d’un lieu où le pouvoir, la foi et le sacré sont réunis, un lieu aussi de mémoire de l’histoire fribourgeoise?
– Absolument. Dans cette église ont lieu des événements très religieux, liés à l’Eglise catholique, avec parfois une ouverture œcuménique où les Eglises issues de la Réforme sont accueillies, mais les événements politiques de notre cité et de notre canton se déroulent aussi dans cette cathédrale. Il y a, c’est vrai, cela peut paraître étrange pour certains, comme une sorte de fiançailles, je ne dirais pas un mariage, entre l’Etat et l’Eglise dont les mémoires, les célébrations ou les rappels se vivent dans ce lieu. Il y a d’ailleurs deux objets mobiliers qui rappellent cela dans la cathédrale: à l’avant de la nef, deux stalles, bien signalées par un décor sculpté digne qui marque la place strictement réservée au président ou à la présidente du Conseil d’Etat et du Grand Conseil. Je crois que personne ne remet en question fondamentalement ces liens qui n’empêchent pas la liberté et le respect réciproques, mais qui manifestent qu’à Fribourg, on est ensemble au service de la population, à travers l’Etat et le rayonnement des Eglises.

– Serait-il exagéré de dire que Saint-Nicolas serait une sorte de temple républicain, comme le dit Maryvonne de Saint-Pulgent de Notre-Dame de Paris dans son remarquable livre consacré à la cathédrale parisienne?
– Je n’emploierais pas ces deux mots car ils ne consonnent spontanément ni avec la Suisse, ni avec Fribourg. Je dirais que la cathédrale Saint-Nicolas est un sanctuaire dans lequel convergent les valeurs – et par conséquent les porteurs et porteuses de ces valeurs – de l’Etat, tout comme les valeurs, aussi les célébrations, de l’Eglise. Il y a un moment où non seulement ces valeurs sont compatibles, mais peuvent être mises en scène, célébrées dans un acte, j’allais dire, fraternel. Par exemple, on évoque les victimes des guerres par une sorte de mémorial où les autorités civiles, militaires, universitaires sont présentes, dans une célébration qui aujourd’hui fait place à l’œcuménisme. On a besoin de ces signes, de ces moments forts, de ces émotions qui font aussi qu’au-delà de tous les clivages qui existent, politiques, sociaux ou idéologiques, nous nous retrouvons comme un peuple où la communion de l’unité l’emporte sur les vertiges des différences.

– Quel regard personnel, Claude Ducarroz, portez-vous sur la cathédrale?
– J’ai vécu si longtemps pas seulement à l’ombre de la cathédrale, mais aussi à l’intérieur de la cathédrale! D’abord comme étudiant au Collège Saint-Michel, bien sûr au Séminaire ensuite: nous venions régulièrement à Saint-Nicolas pour certains offices et lors des grandes fêtes. J’ai commencé mon ministère comme vicaire à la cathédrale durant cinq ans et quand je suis revenu à Fribourg après avoir passé vingt et un ans dans le canton de Vaud, j’ai été nommé Chanoine de la cathédrale avant d’en devenir le prévôt durant treize ans, entre 2004 et 2017. Donc, c’est un peu ma deuxième maison ecclésiale, si je pense que la première est toujours la famille. En ce sens-là, j’aime cette maison, j’aime la faire connaître et y exercer mon ministère et j’essaie de faire en sorte que les murs ne soient pas des enfermements, mais des invitations à entrer. Les portes sont tout aussi importantes que les murs. Et j’essaie de montrer que dans cette église, chacun est respecté quel qu’il soit, mais chacun aussi, à sa manière, peut y trouver quelque chose d’essentiel pour vivre. Je commence toujours les visites par un moment de silence, qui peut être une prière, afin de permettre aux gens de capter quelque chose de l’esprit de ces lieux, qui nous invite à nous tourner vers Dieu, mais aussi vers la présence de Dieu dans toute l’humanité et dans toute la création.

 

Propos recueillis par Laurent Passer

Claude Ducarroz.

Programme du jubilé de la cathédrale à retrouver sur www.100cath.ch