De gauche à droite: Anderson Michaud, Stéphane Taverny et Robert Ansermet.

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CONSTRUCTION - Aroco SA fête ses cinquante ans

Une entreprise totale sous le signe de la créativité

20 Mar 2024 | Articles de Une

Petite et agile, l’entreprise Aroco SA propose depuis un demi-siècle des services d’architecture, d’entreprise totale et de direction de travaux. Le fondateur a passé la main en 2020 à deux professionnels qui ont cassé les cadres de fonctionnement et se passionnent pour l’intelligence artificielle appliquée au domaine de la construction. Portrait.

Lorsque l’on pousse pour la première fois la porte de la société Aroco SA à Denges/VD, on pénètre dans un univers qui évoque plus une brocante éclectique que les locaux où se conçoivent et se réalisent les bâtiments les plus divers. Assis parmi les nombreuses plantes et les meubles vintage, dans un large fauteuil de cuir ou dans un «bocal» transparent, ingénieurs, architectes, dessinateurs et économistes de la construction s’affairent au quotidien sur des mandats aussi variés qu’une clinique vétérinaire, une unité de production de vaccins, des boutiques ou la rénovation de bâtiments classés. La variété des projets sur lesquels la dizaine de collaborateurs travaille fait écho à la créativité qui s’exprime dans la décoration.
Anderson Michaud et Stéphane Taverny ont repris en 2020 cette société créée en 1974 par le beau-père de Stéphane, Robert Ansermet. Architecte, ce dernier se sentait la fibre entrepreneuriale. Un mandat de la Suisse Assurances (devenue SwissLife) lui a permis de lancer son entreprise, qui fête cette année son demi-siècle. Les années passant, Robert Ansermet ne voyait que deux possibilités: transmettre Aroco au sein de sa famille ou fermer boutique. La transmission à son beau-fils, architecte, s’est imposée comme une évidence non-préméditée.
Anderson Michaud est quant à lui ingénieur en économie de la construction, formé à l’Ecole Supérieure d’Economie et Techniques de Construction (ECOTEC) à Paris. Il connaît Stéphane Taverny depuis une dizaine d’années. Tous deux avaient tenté une première fois l’aventure entrepreneuriale au tournant de la décennie, projet transformé après la pandémie avec la possibilité d’acquérir Aroco.

Des bureaux à la décoration originale.

Une transmission hors normes

Il n’y a pas que les locaux qui soient originaux chez Aroco: le passage de témoin du fondateur aux dirigeants actuels a aussi été marqué du signe de la singularité. Les repreneurs ont transformé une structure hiérarchisée en une entité horizontale dans laquelle les employés jouissent d’autant de liberté que leurs tâches le permettent. Peu de contraintes sur les présences, beaucoup sur les résultats et une responsabilité partagée se traduisent par une absence …d’absentéisme. Horaires ou vacances sont choisis librement aussi longtemps que cela est compatible avec les dossiers ouverts. Les informations importantes sont partagées sur un groupe WhatsApp et les mandats en cours sont discutés lors de séances de bureau dans lesquelles chacun peut amener sa pierre à l’édifice.
«Cette rupture du cadre est une réussite, assure Stéphane Taverny. La famille ne s’arrête pas à la direction ou à la structure de propriété; nous voulons que notre équipe se sente valorisée et que le lieu de travail soit un lieu de vie. Je ne veux pas faire subir à mes collaborateurs ce que j’ai enduré en entreprise». Il souligne aussi l’importance de conserver une équipe stable et compétente qu’il a fallu des années à constituer.
Ce virage à 180 degrés dans la gestion quotidienne n’a pas été un meurtre symbolique du fondateur. Robert Ansermet reste associé à la marche de l’entreprise et rencontre régulièrement des clients. «Robert nous suit et nous conseille», relève Anderson Michaud.

Trois générations de clients

«Au terme d’un projet, deux personnes doivent être satisfaites: le client et l’architecte constate Robert Ansermet. Pari réussi, puisque nous avons des clients dont les parents ou les grands-parents étaient déjà clients d’Aroco.».
L’une des clefs du fonctionnement d’Aroco, c’est l’intelligence collective. L’enjeu premier est d’aligner les désirs du client à ses moyens. «Je n’ai eu qu’une seule fois en face de moi une personne dont le projet était en phase avec ses possibilités», témoigne Robert Ansermet. Réajuster ne signifie pas rabaisser, mais harmoniser. C’est là le premier lieu d’expression de la créativité de l’équipe.
Une autre clé de l’approche d’Aroco: ne pas proposer de solution que l’équipe ne maîtrise pas. Cela ne signifie pas que l’entreprise n’avance pas, loin de là. A l’écouter, par exemple, Stéphane Taverny est dans une démarche de formation permanente. Il est aujourd’hui intarissable quant à archGPT, le moteur d’intelligence artificielle (AI) appliqué à l’architecture, nourri des normes suisses de construction, qui n’a que quelques mois d’existence.

Entreprise totale

Pour la réalisation, Aroco, qui fonctionne comme entreprise totale, travaille avec un réseau de «co-contractants» représentant tous les corps de métiers. Pour chaque chantier, Aroco lance des appels d’offres auprès d’entreprises du canton ou de la région concernée: bien qu’Aroco travaille dans l’ensemble de la Suisse romande, elle a fait le choix d’intervenants de proximité, notamment pour limiter les déplacements et le bilan carbone de ses chantiers. Au total, l’entreprise attribue entre sept et dix millions de francs de travaux par an.
La fête des cinquante ans n’est pas encore planifiée et ne semble pas être une priorité. «Les paillettes, ce n’est pas notre genre», relève Anderson Michaud. Ce qui ne signifie pas que les cinquante prochaines années n’intéressent pas les nouveaux dirigeants. «Je pourrais me dire que je travaille pour les quinze ans qui me séparent de la retraite et puis voilà, illustre Stéphane Taverny, mais je veux qu’Aroco continue au-delà». C’est l’une des raisons de son intérêt pour l’AI.

Un grand intérêt pour l’AI

«Le Building Information Modeling (BIM) n’était rien à côté de ce que sera l’AI dans le domaine de la construction», assure-t-il. «A l’avenir, les promoteurs généreront sans doute avec l’AI des variantes à leurs projets pour maximiser par exemple les surfaces bâties ou optimiser les coûts», annonce-t-il.
Les architectes ne seront pas les seuls touchés: à terme, l’AI sera meilleure que les ingénieurs. Entre la vision positive qui voit la machine assister les humains dans la création et la vision négative du grand remplacement des humains par les robots, il est impossible de trancher, pense Stéphane Taverny. «C’est exaltant et stressant à la fois», confie-t-il. «Utilisons l’AI!, approuve Anderson Michaud, mais pour le côté artistique, l’être humain restera irremplaçable. De même, pour l’application des normes et surtout le suivi de leur évolution, l’humain restera meilleur», croit-il.
Une chose est sûre à ce stade: Aroco ne sera pas pris en défaut par l’arrivée de l’AI. D’où vient le nom Aroco d’ailleurs? «A côté de l’architecture, j’avais une entreprise qui travaillait avec le café vert, raconte Robert Ansermet. Elle s’appelait Arocof pour Ansermet Robert Coffe. J’ai enlevé la ‘F’ quand j’ai créé Aroco!».

 

Cesare Accardi