Peter Rupf.

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Union genevoise des tailleurs de pierre (UGTP)

Un savoir-faire à préserver 

6 Mar 2024 | Articles de Une

Les tailleurs de pierre genevois se disent systématiquement écartés des marchés publics au profit d’entreprises vaudoises. Comment expliquer ce profond déséquilibre? Eléments de réponse avec Peter Rupf, secrétaire de l’Union genevoise des tailleurs de pierre (UGTP).

– Qu’est-ce qui a conduit quatre des cinq entreprises de la branche genevoise à se regrouper et à créer l’UGTP, il y a quelques années, alors que l’Association romande des métiers de la pierre (ARMP) existe depuis 1996?
– Ces entreprises se sont séparées de l’ARMP car elles ont constaté que la Charte de l’association était davantage utilisée pour éloigner la concurrence que pour promouvoir la qualité du travail des tailleurs de pierre. En unissant leurs forces au sein de l’UGTP, les professionnels genevois entendent défendre les intérêts de leur branche.

– Lors d’appels d’offre publics, comment se déroule la sélection des entreprises adjudicataires?
– L’Etat et la Ville de Genève ont souvent recours au même conseiller en restauration de la pierre, qui se trouve dès lors en situation de quasi-monopole comme mandataire spécialisé dans le domaine de la taille de pierre à Genève. Ce dernier apporte sa touche aux appels d’offre. Il est amené à évaluer les besoins, choisir des solutions techniques, établir des soumissions, présélectionner les soumissionnaires, assurer le suivi de chantiers et contrôler les factures des chantiers publics. Il jouit donc d’une grande marge de manœuvre, malgré la présence d’autres mandataires externes ou du maître d’ouvrage. Nous constatons que cet expert référent a un regard partial: les chantiers publics menés par des entreprises genevoises sont dénigrés, sans explication valable. A contrario, pour ce qui est des rénovations privées, nos clients sont enchantés.
Pour la rénovation de la cathédrale de Lausanne, par exemple, la Municipalité a exclu de recourir à une entreprise n’ayant pas son siège dans le canton. Pourtant, le même conseiller en restauration les accompagnait. Pourquoi n’est-ce pas possible à Genève?

– A travers la ville et le canton, l’UGTP a relevé bon nombre de réalisations inadéquates. Concrètement, quelles sont les lacunes observées?
– Il arrive couramment que des travaux soient non conformes à la Charte des tailleurs de pierres, mais acceptées selon toute évidence par les maîtres d’ouvrage publics. Les problèmes sont de plusieurs ordres: Des erreurs dans les soumissions (budgets surévalués, métrés linéaires incorrects, etc.), ainsi que des finitions, des techniques et des matériaux inappropriés, et le conseiller des collectivités publiques ne dit rien. Par ailleurs, des chantiers qui auraient dû relever de la compétence des tailleurs de pierre sont régulièrement attribués à d’autres corps de métier (marbriers, peintres, entreprises de nettoyage), ce qui donne lieu à des résultats catastrophiques. La rue Rousseau 7 est un exemple parlant: la solution préconisée par l’expert attitré, soit la peinture sur pierre naturelle, avait été contestée par les membres de l’UGTP. Il s’avère aujourd’hui que des travaux coûteux devront être entrepris, à peine quelques années après l’intervention initiale, pour non seulement défaire ce qui a été fait, mais également pour traiter les pierres comme les entrepreneurs membres de l’UGTP l’avaient suggéré dès le début. En un mot: pour les mandats publics, les dés sont pipés avec un a priori très négatif envers les entreprises genevoises.

– Depuis sa fondation en 2018, l’UGTP a-t-elle pu faire entendre sa voix?
– L’UGTP a plaidé pour que la rénovation de l’Hôtel Métropole soit attribuée à un consortium constitué par ses membres. Ce résultat positif est en partie dû à l’intervention de Frédérique Perler, ancienne Maire de la Ville de Genève, qui a pris la peine de nous écouter. Dans le cadre de la rénovation de la Tour de Champel, nous avons manifesté notre intérêt auprès de la Ville à organiser un projet de formation des apprentis, en provenance de toute la Suisse, cohérent, qui intègre l’ensemble des métiers d’art. Parallèlement, l’ARMP a présenté son projet sans souhaiter nous y associer. Malheureusement, notre proposition est restée lettre morte et le projet de l’ARMP a été abandonné du fait, selon notre analyse, qu’il n’était pas viable. Toutefois, nous ne perdons pas espoir que les membres de l’UGTP puissent restaurer cette Tour, accompagnés de charpentiers, ferronniers et sculpteurs, toujours dans l’optique d’un projet de préservation et de transmission du savoir-faire aux apprentis.

– Pourquoi ne pas offrir un plus large choix dans l’expertise afin de garantir l’impartialité?
– L’Union a transmis à la Commission des monuments de la nature et des sites (CMNS) et à la Ville une liste d’experts agréés. Le concours de ces nouveaux experts qualifiés œuvrant sur les sites de restauration permettrait de veiller à l’application stricte des règles de bienfacture de la Charte. A noter que ces experts sont au bénéfice d’une formation supérieure, tout en s’appuyant sur une solide expérience de terrain et/ou dans l’enseignement et la recherche. Il est grand temps de changer de paradigme!

 

Propos recueillis par
Véronique Stein