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LéGISLATION - Un entretien avec Benjamin Roduit (LC/VS)

L’immobilier sous la Coupole

28 Fév 2024 | Articles de Une

Député de poids sous la Coupole, le président de la Chambre immobilière du Valais évoque l’état du marché, la LAT 2 – nouvelle Loi sur l’énergie, la suppression éventuelle de l’impôt sur la valeur locative, le nouveau droit du bail ou encore la pratique opaque du contracting.

Tous les propriétaires se posent dorénavant la question du coût de l’énergie et de la protection de nos ressources.

Président de la CIV, Chambre immobilière du Valais, l’élu du Centre Benjamin Roduit a 62 ans, est marié et père de quatre enfants. Passionné de sport et d’alpinisme, il a gravi tous les 4000 mètres de Suisse et participé à quinze éditions de la Patrouille des Glaciers, ainsi qu’à une dizaine de marathons. Le sport et la nature sont des piliers importants pour son équilibre de vie. Professeur de français et d’histoire au lycée-collège de l’Abbaye de Saint-Maurice, il a été ensuite, de 2003 à 2016, recteur du lycée-collège des Creusets à Sion. «Ces expériences m’ont convaincu que l’éducation restait la principale ressource de notre pays», dit-il volontiers.
Sur le plan politique, son parcours l’a amené à l’exécutif de la Commune de Saillon, d’abord comme vice-président, puis comme président. Après 25 ans d’investissement politique, il accède au Parlement suisse en 2018. Conseiller national du Centre, il est membre de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique et du bureau du Conseil National. Il préside la Commission de rédaction en langue française.
Aujourd’hui enseignant à 30% au lycée-collège des Creusets à Sion, Benjamin Roduit possède plusieurs casquettes qui font de lui une personnalité écoutée sur la scène politique suisse. On note ainsi les présidences de Swiss Small Hydro, de l’ARTIAS (Association romande et tessinoise des institutions d’action sociale), de l’AVIP (Association valaisanne des institutions pour personnes en difficulté), de l’Association des amis de l’hospice du Grand-St-Bernard, de la Fondation de la Maison de la famille, et, last but not least, de la CIV. Cette dernière fonction fait de lui un interlocuteur idéal pour scanner l’actualité politique de l’immobilier suisse.

– Benjamin Roduit, des dossiers importants pour les propriétaires figurent à l’ordre du jour de cette année fédérale…
– Entre la mise en œuvre de la LAT 2, permettant désormais la transformation des mayens et des raccards, le fameux Mantelerlass (loi sur l’Energie) et l’accélération des procédures, le débat sur la suppression de l’impôt sur la valeur locative et la réforme du droit du bail, les objets essentiels ne manquent pas pour préserver de manière directe ou indirecte les intérêts des propriétaires.

– Belle brochette d’empoignades en perspectives. Quelle est la priorité dans tout ça?
– Je dirais d’abord tout ce qui relève de l’énergie, qu’on a regroupé sous l’appellation très peu usitée d’Acte opérateur unique. Aux Chambres, on préfère lui conserver son appellation allemande de Mantelerlass. En clair, la Loi sur l’énergie et la Loi sur l’approvisionnement ont fusionné. Cela peut se résumer en une offensive hyper importante en faveur des énergies renouvelables, avec tout un arsenal d’incitations financières, de facilitations diverses, et un axe très ferme pour une production supérieure d’énergie verte.
Tous les propriétaires se posent dorénavant la question du coût de l’énergie et de la protection de nos ressources. Je vous donne un exemple personnel: il a fallu qu’on s’informe au sujet de l’avenir énergétique d’une maison de trois étages à Hérémence, bâtiment qui nous venait de mes beaux-parents. Primo, il s’est agi de se pencher sur l’isolation portes, fenêtres et toit. Secundo, d’étudier les sources d’approvisionnement. Tertio, de choisir le chauffage. Pour la petite histoire, l’option d’avenir dans ce cas-là sera le photovoltaïque et la pompe à chaleur.

– Beaucoup de citoyens sont un peu perdus lorsqu’ils sont confrontés au défi de rénover une propriété…
– A la Chambre Immobilière du Valais, nous avons créé un comité de pilotage avec l’Etat et la Banque cantonale du Valais pour animer une plate-forme d’information où l’on peut se mettre en lien avec des spécialistes pour pratiquer une expertise de son bien du point de vue de l’enveloppe thermique et du chauffage. Et trouver également d’autres conseils pratiques. Ne laissez pas vos biens se détériorer! Envisager une rénovation, c’est en fait leur apporter une vraie plus-value. Avec les incitations fédérales et cantonales, c’est loin d’être inaccessible. Et ce sera bientôt indispensable, puisqu’à terme le chauffage électrique et le mazout sont condamnés.

– Là, on touche le cas du propriétaire individuel, mais qu’en est-il des PPE?
– Elles rencontrent beaucoup de problèmes pour obtenir des crédits. Avec la CIV, nous avons approché les banques et travaillons pour élaborer un système de cautionnement. Si je prends le cas du Valais et de stations comme Thyon, Nendaz ou Anzère, c’est très important, car il y a encore de nombreux bâtiments des années 70-80 à rénover, et souvent, les fonds d’investissements de ces PPE permettent tout juste de réparer le toit ou les façades.

– Comment se porte le marché immobilier suisse aujourd’hui ?
– Il connaît un léger tassement, qui fait suite au gros boom de la Covid-19 et de l’immédiat après-pandémie, lorsque les gens investissaient dans l’immobilier au lieu de voyager un peu partout. La baisse est sensible au chapitre des PPE, précisément à cause des problèmes d’entretien et de rénovation que nous avons évoqués.

– Et les résidences secondaires?
– Il y a de quoi réfléchir à la définition même de la résidence secondaire. En effet, quand les gens débarquent à la montagne le jeudi soir et s’en retournent en ville le mardi matin, en s’adonnant au télétravail, peut-on vraiment parler encore de résidence… secondaire? Cela dit, c’est un mouvement rassurant pour les villages, parce que ce sont ces habitants qui permettront de sauver tantôt l’épicerie, tantôt le café du coin.

– Un mot sur la LAT 2?
– Je suis très content: sous l’impulsion des cantons alpins, on a réussi à faire passer la reconstruction des mayens et autres raccards en ruine, pour peu qu’ils soient dans les zones d’intérêt définies par les communes.

– Autre grand dossier: la suppression de l’impôt sur la valeur locative…
– Trois chiffres en préambule pour montrer la complexité du problème. En Suisse, 40% des citoyens possèdent leur habitation. En Valais, on passe à 55% et 70% des Valaisans sont même propriétaires d’un bien au sens le plus large du terme. C’est dire si l’on touche ici à la tradition, à l’histoire, à la transmission, et même très souvent à ce qu’il convient bien d’appeler un 4e pilier… Par ailleurs, les dernières élections ont repositionné le Parlement au centre-droit, donc plus favorable à la propriété. Tout cela pour dire que la suppression pure et simple de la déduction des frais d’entretien, de rénovation, et des intérêts hypothécaires, n’est plus en odeur de sainteté. Le Conseil des Etats entend désormais imposer une déduction de quelque 70%; le National se contenterait de 50%; les cantons alpins refusent qu’on limite ces déductions pour les résidences secondaires.

– Belle cacophonie, non?
– La Loi aurait dû entrer en vigueur au 1er janvier 2025: ce ne sera en tous les cas pas avant 2026, et qui sait, elle sera peut-être repoussée ad aeternam. Il y a beaucoup de choses à prendre en compte dans ce dossier. A commencer par un clivage ville-campagne. La majorité citadine, et donc locataire, veut davantage d’égalité avec les propriétaires. Mais les régions périphériques ont un intérêt économique à maintenir ces déductions, car l’entretien et la rénovation font vivre tout un pan de leur économie au travers de milliers de PME. Une réalité que j’ai de la peine à expliquer à mes collègues alémaniques. Outre-Sarine, tout le monde épargne pour rénover ou réparer. Ils ne comprennent pas que les Latins soient moins prévoyants qu’eux.

– Qui va gagner ce bras de fer?
– Cette loi a été, pardonnez-moi le terme, flinguée dès le départ et renvoyée au Conseil fédéral. Les cantons alpins sont solidaires et très déterminés. Et le mot de la fin dans ce débat reviendra au Conseil des Etats. Je peux imaginer de facto un compromis à la Suisse, les Etats lâchant sur les 70% au profit du 50%, mais le National autorisant l’exception de déduction pour les résidences secondaires.

– Pour finir, le nouveau droit de bail est, lui aussi, très contesté…
– Oui, l’ASLOCA a réuni les signatures nécessaires au référendum. Je le déplore, parce qu’après des années où le balancier allait dans l’autre sens, ce nouveau droit de bail protégerait un peu mieux les propriétaires. Au lieu d’être embarqué dans des procédures pouvant atteindre six ans et de devoir justifier un motif urgent pour récupérer son bien à des fins personnelles, le propriétaire devrait désormais notifier un besoin important (par exemple la transmission à un enfant qui se marie ou débute ses études) pour le faire, avec des procédures limitées à quatre ans. Et puis, il pourrait refuser une sous-location si elle dépasse deux ans. On ne peut pas dire que ce soient là deux aménagements bien terribles! Je reconnais bien volontiers que les locataires ont des droits, mais la propriété aussi est un droit acquis dans nos sociétés, non?

– Dans les problèmes que la CIV tente d’expliquer aux futurs propriétaires, il y a enfin le contracting. De quoi s’agit-il ?
– Le principe est simple, mais souvent caché dans les petites lignes d’un contrat, d’où l’importance pour les Chambres immobilières d’informer le plus complètement possible les acquéreurs d’une habitation. Le contracting, c’est lorsqu’on vend un bien, mais que le preneur reste pieds et poings liés par contrat avec une société, que ce soit pour son électricité, son chauffage, ses sanitaires ou sa maintenance. Un état de fait qui nous empêche de gérer au mieux le renouvelable.

 

Propos recueillis par
Jean-François Fournier

Benjamin Roduit.

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