Campagne de vaccination d’antan.

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hors champ

Une question répétée n’en devient pas usée

24 Jan 2024 | Culture, histoire, philosophie

Les questions les meilleures sont-elle les plus simplettes? Disons en tout cas que les réponses les plus savantes ne valent rien si elles ne tiennent pas face aux questions d’enfant. Ainsi du vaccin et de ses oubliés car «le Sud qu’on foule aux pieds ne peut se le payer».

Une des raisons qui poussent un journaliste à fréquenter des salons et congrès techniques, c’est que les questions de fond ne trouvent souvent pas de réponse d’un coup: il faut les répéter sans relâche pour que – à chaque fois ou à chaque stand – la réponse prenne un peu de couleur et le contour s’en fasse plus précis. Ainsi de deux questions qui tracassent le soussigné: pourquoi le Sud ne peut-il se doter d’une industrie pharmaceutique digne de ce nom, alors que certains pays démunis ont su battre les champions sur leur propre terrain dans l’automobile, l’électronique, et certains services «avancés»?
Autre question de santé, mais que – faute de place – on peut juste évoquer cette fois: pourquoi la médecine – si vitale, c’est le mot – ne s’apprend-elle pas dès l’école primaire? Ces deux questions, votre journaliste les a bien sûr posées à nouveau aux Journées des pharmaciens hospitaliers à Palexpo (déjà évoquées dans un récent numéro de ce Journal).

C’est au Nord qu’on est «piqué»

Les réponses des experts furent variées et non exemptes de surprises; preuve qu’il ne suffit pas de rapporter ce que «Monsieur l’expert a dit»: chacun doit y mettre du sien, même le journaliste peu scientifique. «Pourquoi le Sud ne produit-il pas ses vaccins? Question de température: aux Tropiques, il fait trop chaud». Vraiment? Pourtant, on peut bien y acheter une crème glacée. «Oui, mais pour un vaccin, il faut une chaîne du froid à toute épreuve».
D’autres réponses évoquent des problèmes éthiques: «Vous ne vous souvenez pas du scandale des Pygmées qu’on a utilisés comme cobayes?». Non, je l’avais oublié, si je l’ai jamais su; mais aux Etats-Unis aussi, il n’y a pas si longtemps, on a sacrifié des malades noirs à des tests en placebo. «En Afrique, la paperasse désamorce toute tentative de faire de la recherche sérieuse», ajoute un ou une autre. Mais tout cela semble un peu cousu de fil blanc, à qui a vu défiler à tous les congrès des Africains, des Boliviens, des Iraniens, des Laotiens… tout aussi savants que leurs hôtes d’Occident (avec ou sans télémédecine et/ou experts venus en «humanitaires»).
De même, le Sud a pas mal d’Universités de pointe, le vaccin allemand fut l’œuvre de Turcs, l’Inde se dit «laboratoire médical de la planète», et à raison: les grandes boîtes de Bâle y font leurs essais cliniques. Et un collègue de Delhi qui se sent mal lors de son passage à Genève prend le risque d’attendre: «Je n’ai pas confiance en vos médecins: en un jour, ils voient dix patients quand chez nous c’est cent». Et les Philippines sont les pourvoyeuses des cinq continents en infirmières.

Prendre de bonnes
résolutions

Les salons et congrès ne sont pas les seuls lieux où on puisse aiguiser les questions, médicales ou non: l’agenda de l’Université signale foule de colloques ouverts «à toute personne intéressée», et la Genève Internationale est très diserte en politique de santé. Medicus Mundi (avec d’autres groupes de la société civile) vient de tenir en ligne cinq ateliers en vue du sommet de l’Organisation mondiale de la santé et des «résolutions» à y soumettre. L’un des cinq au moins a été le théâtre d’un vrai débat; mais pour le reste, que de platitudes: on y a appris que la nutrition avait un impact sur la santé: mon pote Socrate me l’avait déjà dit après avoir bu la ciguë; d’autres orateurs/trices nous ont révélé que des maladies pouvaient passer des animaux aux humains: là, c’est le chien de Pasteur qui en avait déjà eu l’intuition.
Et ici aussi, même aux meilleurs moments, les questions qui fâchent sont les plus simples mais les moins audibles. La «sécu» des pays riches fait certes rêver les pauvres, mais est-elle un modèle dans sa fuite en avant et sa faillite comptable? Et la «société civile» est-elle pour de bon la «voix des patients», avec ses lubies vaccinales et son goût des projecteurs? «Vous avez bientôt fini votre numéro?»: de toutes les questions, celle-ci est la plus primaire; mais que dire d’autre aux «plaideurs» qui abusent des «effets de manches»?

 

Boris Engelson