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MARCHÉ IMMOBILIER - Analyse de Wüest Partner pour le JIM

Pas de baisse des taux prévisible en 2024

20 Déc 2023 | Articles de Une

L’économie suisse s’est montrée globalement résiliente cette année: bien que la croissance du PIB ait été légèrement inférieure à la moyenne des années précédentes, elle demeure positive, avec une prévision de +1,3% sur l’année 2023 (source: SECO). Cette performance s’inscrit dans un contexte international tendu, marqué par un ralentissement du commerce mondial. Les marchés immobiliers pourraient bénéficier de fondamentaux robustes en 2024 également.

Le nombre de maisons individuelles proposées à la vente a sensiblement augmenté
dans tous les cantons romands.

Nous prévoyons la poursuite des créations d’emploi, bien qu’à un rythme ralenti par rapport à cette année (2023: +2,1%, 2024: +1,0%). La Suisse pourrait en outre compter quelque 65 000 habitants supplémentaires en 2024. Ce dynamisme de l’emploi et de la démographie devrait ainsi continuer de stimuler la demande de logement.
Cependant, il ne faut pas espérer d’amélioration significative sur le plan des taux d’intérêt: ceux-ci devraient rester globalement élevés en 2024. En effet, si l’inflation a diminué au cours des derniers mois, les risques persistent: les prix de l’électricité vont connaître un nouveau rebond en janvier 2024, les loyers augmentent et les probables hausses de salaires alourdiront les coûts de production des entreprises. En conséquence, il est peu probable que la Banque nationale suisse (BNS) abaisse son taux directeur avant la fin de l’année prochaine. Les taux hypothécaires devraient donc aussi continuer de graviter autour de leur niveau actuel. Si les taux élevés ont clairement compressé la demande de logement en propriété, leur plus grande stabilité réduit aujourd’hui les incertitudes du marché et permet aux potentiels acquéreurs de planifier et de s’imaginer plus facilement dans un projet immobilier.

Logements en propriété: légère hausse des PPE, stabilité pour les villas

Le nombre de maisons individuelles proposées à la vente a sensiblement augmenté dans tous les cantons romands. Les plus fortes hausses ont été enregistrées dans les cantons de Vaud et de Genève, où l’offre de villas a bondi de 28% sur un an au 3e trimestre 2023. Cette situation résulte principalement de la hausse des taux d’intérêt hypothécaires, qui a entraîné un ralentissement du marché, avec des acquéreurs moins nombreux et des délais de vente prolongés. Ce phénomène s’observe aussi dans l’évolution des abonnements de recherche pour des villas, dont le nombre a fléchi de respectivement 22% et 26% dans les cantons de Vaud et de Genève en octobre 2023, par rapport au même mois de 2022.
Ce retournement progressif des dynamiques d’offre et de demande touche les prix des villas. Si les cantons de Fribourg et du Valais enregistrent encore une hausse entre le 3e trimestre 2022 et le 3e trimestre 2023, les prix ont en revanche stagné dans les cantons de Vaud et de Genève, et reculé d’environ 2% dans les cantons de Neuchâtel et du Jura. Les régions plus rurales semblent ainsi perdre de leur attrait: si le rêve d’une grande maison individuelle à la campagne était répandu dans le sillage de la crise de la Covid, l’envie d’un appartement plus moderne et écologique gagne désormais en importance. Les incertitudes quant à l’approvisionnement en énergie et la flambée des prix de 2022 y ont contribué. Selon le sondage Immo-Barometer réalisé par Wüest Partner, on observe un changement significatif dans les priorités des propriétaires: en 2023, l’importance accordée à la durabilité et à l’efficacité énergétique du bâtiment est bien plus prononcée qu’elle ne l’était entre 2016 et 2022.
Le segment des appartements en PPE semble globalement mieux résister: les prix ont augmenté de l’ordre de 2% à 3% dans tous les cantons romands hormis Genève, qui voit ses prix baisser de 1,9% sur un an. Malgré une offre croissante (+36% à Genève et Neuchâtel, +31% dans le canton de Vaud), ce segment profite du caractère inabordable des maisons individuelles (voir thème spécial) et de la pénurie sur le marché locatif. La dynamique positive des prix est également soutenue par la morosité de l’activité de construction neuve: le nombre de PPE autorisées à la construction en Suisse romande est actuellement inférieur de 24% à la moyenne des 10 dernières années.
Pour 2024, Wüest Partner prévoit des prix stables pour les villas en région lémanique (+/-0%) et une très légère régression en Suisse occidentale (-0,2%). Du côté des PPE, nos prévisions tablent sur de légères hausses (+1% en région lémanique et +0,7% en Suisse occidentale), mais toutefois inférieures à l’inflation prévue (+1,9%), ce qui implique une perte de valeur des logements en termes réels.

Remarque: le niveau des prix fait référence à la moyenne pondérée des prix communaux au 3e trimestre 2023 (pondération par le parc correspondant) pour les villas et PPE et au 2e trimestre 2023 pour les locatifs.
Les évolutions correspondent aux taux de croissance pour les périodes de 2013 à 2023, de 2020 à 2023 et de 2022 à 2023 pour les villas PPE et pour les locatifs.
Altlas des prix des appartements en PPE [CHF] – Canton de Vaud.
Altlas des prix des appartements en PPE [CHF] – Canton de Genève.

Logements locatifs: anciens et nouveaux loyers en hausse

La pénurie de logement locatif continue de sévir en Suisse romande. Alors que la population a augmenté dans tous les cantons romands, avec des taux de croissance annuels compris entre 0,6% (Jura) et 2% (Fribourg) au 2e trimestre 2023, le nombre de logements proposés à la location est en chute libre (-26% dans les cantons de Fribourg et du Valais, -24% dans le canton de Vaud et -18% à Genève). Ce phénomène se reflète aussi dans le taux de logements vacants: dans notre article du mois d’août*, nous avions estimé le taux de logements vacants optimal par canton et révélé que les cantons de Genève et Vaud avaient un taux de vacance insuffisant en 2023. Les derniers chiffres de l’OFS indiquent que c’est également le cas dans les cantons de Fribourg et du Valais. Seuls Neuchâtel et le Jura échappent encore à ce phénomène. La pénurie de logement locatif se généralise donc et n’est plus cantonnée aux grands centres urbains.
Au vu de cette forte tension sur le marché, il faut compter avec des hausses des loyers de l’offre en 2024: nous prévoyons une augmentation de +3,8% sur l’ensemble de la Suisse. L’Arc lémanique et la Suisse occidentale seront légèrement moins touchés, avec respectivement +3,5% et +2,8%. Les grands projets de construction en cours dans le canton de Genève, la présence de réglementations plus strictes en matière de protection des locataires à Genève et en pays de Vaud (LDTR, LPPPL), ainsi que la relative abondance de l’offre sur les marchés neuchâtelois et jurassien permettent d’expliquer ces différences.
Les loyers des baux en cours subiront eux aussi des hausses importantes en 2024 en raison de la hausse du taux de référence hypothécaire (qui a été relevé de 25 points de base au 1er décembre 2023 et se situe désormais à 1,75%) et de la répercussion possible de l’inflation. Les locataires déjà dans leurs murs devront ainsi consentir à des hausses de loyer de 3,7% en moyenne nationale en 2024. Les locataires de l’Arc lémanique seront néanmoins relativement moins frappés, car près de la moitié des baux y sont déjà liés à des taux de référence hypothécaires de 1,75% ou plus et ne pourront ainsi pas faire l’objet d’une notification de hausse de loyer de la part du propriétaire.

 

Corinne Dubois, Vincent Clapasson
Wüest Partner SA

* Voir Le Journal de l’Immobilier No 88, du 30 août 2023.

GROS PLAN

Thème spécial

Les prix des logements en propriété romands sont-ils abordables?

L’accessibilité à la propriété diffère considérablement entre les cantons romands.

Ce n’est un secret pour personne: les prix de l’immobilier sont élevés en Suisse, et la tendance a longtemps été à une hausse continue et inexorable. Si l’on compare l’évolution des prix des logements (villas et PPE) et celle des revenus des ménages depuis le début du millénaire, on constate une disproportion croissante. En 2000, acheter un appartement en PPE nécessitait environ quatre années de revenus bruts moyens des ménages, tandis que l’achat d’une maison exigeait six années de revenus. En 2023, il faut désormais mobiliser plus de six revenus annuels moyens pour un appartement et presque dix ans de revenus pour concrétiser l’achat d’une maison (voir figure 1). La question se pose alors: le logement en propriété est-il abordable pour un ménage moyen? Quelle est la part des ménages qui disposent aujourd’hui des ressources suffisantes à acquérir une villa ou une PPE?
Afin d’apporter un éclairage nouveau sur cette question, nous avons analysé les données de revenus et de prix dans les différentes régions suisses. Nous avons établi, pour chaque région, le revenu brut minimal qu’un ménage devait avoir pour envisager l’achat d’un logement. Ce calcul prend en compte le prix médian d’une maison individuelle et d’un appartement en PPE dans la région concernée. Pour ce faire, nous avons fait l’hypothèse que l’achat était financé à 80% par une hypothèque et pris en compte les règles usuelles appliquées par les banques lors de l’octroi d’un crédit. Les banques exigent en effet généralement que les charges annuelles liées au logement (amortissement, frais d’intérêts en prenant un taux de 5% et frais d’entretien) n’excèdent pas 1/3 du revenu du ménage.
Nous avons également dérivé la part des ménages dont les revenus étaient suffisants pour pouvoir envisager un achat immobilier. Notre analyse ne prend pas en considération l’ensemble des ménages suisses, mais se focalise sur ceux qui sont les plus susceptibles de se tourner vers la propriété. Ce groupe cible est composé de ménages d’au moins deux adultes, âgés de 30 à 50 ans, avec un taux d’activité cumulé dépassant 150%.
L’accessibilité financière de la propriété diffère considérablement entre les cantons romands (figure 2). Pour acquérir une maison individuelle, il faudrait disposer d’un revenu brut annuel frôlant les 400 000 CHF dans le canton de Genève et dépassant les 250 000 francs dans le canton de Vaud. Ainsi, moins de 5% des ménages genevois et vaudois du groupe ciblé disposeraient aujourd’hui des revenus suffisants pour acheter une villa. A l’inverse, le canton du Jura présente l’immobilier le plus abordable: un revenu annuel de 115 000 francs seulement suffirait à satisfaire les conditions bancaires pour l’obtention d’une hypothèque; plus de 70% des ménages de référence seraient ainsi en mesure d’acquérir une villa.
Les appartements en PPE demeurent globalement plus abordables, hormis dans le canton de Genève. Ainsi, plus de la moitié des ménages fribourgeois, valaisans, neuchâtelois et jurassiens disposeraient de revenus suffisants pour acquérir une PPE.
Les figures 3 et 4 révèlent que ce sont dans les régions MS (zone de mobilité spatiale) bordant le Léman que les prix des logements sont les moins abordables. Pourtant, les revenus y sont plus élevés: le revenu médian des ménages de référence est par exemple de 176 000 francs dans le canton de Genève, 180 000 dans le district de Nyon et 160 000 dans la région de Morges, contre 148 000 en moyenne nationale. Mais ces revenus plus élevés ne suffisent pas à contrebalancer les niveaux exorbitants des prix. A l’inverse, les régions du Val-de-Travers, de la Chaux-de-Fonds et du Jura permettent au plus grand nombre de ménages d’accéder à la propriété, et ce malgré des revenus médians inférieurs à la moyenne nationale (entre 137 000 et 138 000 francs).

Figure 1: Prix de transaction pour un objet moyen comparé au revenu brut du ménage.
Figure 2: Revenu brut nécessaire et part des ménages de référence* pouvant accéder à la propriété dans les cantons romands.
Figure 3: Part des ménages de référence* ayant un revenu suffisant pour acquérir une maison individuelle moyenne, par région MS (zone de mobilité spatiale).
Figure 4: Part des ménages de référence* ayant un revenu suffisant pour acquérir un appartement en PPE moyen, par région MS.

*Ménages de deux adultes âgés de 30 à 50 ans et avec un taux d’occupation total supérieur à 150%.

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