Maîtrise du bois chez les Hiltpold!

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ENTREPRISES FAMILIALES - Menuiserie Hiltpold

En route vers le second centenaire

25 Oct 2023 | Articles de Une

Le bois, matériau national par excellence: ne dit-on pas «les Suisses aux bras noueux», noueux comme un tronc à la forte personnalité? Dans ses locaux lumineux, la menuiserie Hiltpold, à Vernier/GE, propose une version contemporaine du rapport de l’homo helveticus à cette matière vivante et maintient un savoir-faire ancien à l’aide des techniques les plus modernes. La quatrième génération de la famille fondatrice est encore aux commandes; la cinquième n’est pas loin.

Sur son site Internet, la menuiserie Hiltpold met en avant son impressionnant parc de machines numériques. Pourtant, lorsqu’on interroge Serge Hiltpold, le responsable de l’entreprise, quant au message qu’il entend donner avec ce coup de projecteur, il ne répond pas «grandes séries» ou «rationalisation», mais travaux spécialisés et prix abordables.
Cette entreprise familiale d’origine carougeoise, qui réalise la moitié de son chiffre d’affaires avec la menuiserie et l’autre moitié avec l’ébénisterie et les aménagements d’intérieur, a industrialisé ses processus pour répondre aux demandes d’une clientèle qui désire mieux que le tout-venant. «Les spécialités nous permettent de tenir», commente Serge Hiltpold. La capacité de restaurer des bâtiments anciens et de rénover ou recréer des boiseries travaillées se perd. Nous en avons fait notre carte de visite».
«Du fait de la standardisation des articles, les menuiseries capables d’offrir des produits sur mesure à des prix corrects sont de moins en moins nombreuses. Mes machines me permettent à la fois d’accepter des mandats qui jouent sur la quantité, pour assurer les revenus de base, et d’exécuter des commandes spéciales qui représentent la valeur ajoutée pour l’entreprise et le client», explique ce représentant de la quatrième génération dirigeant l’établissement fondé en 1922 par son arrière-grand-père.

Un travail de création

Pour exploiter toutes les possibilités créatives offertes par ses machines, Serge Hiltpold a monté un bureau technique qui crée meubles et agencements sur mesure, avant que les esquisses réalisées en dessin assisté par ordinateur (DAO) soient usinées sur des machines CNC. Les chefs de projet représentent le tiers de l’effectif de cette PME dont le rayonnement ferait oublier qu’elle n’emploie que 18 personnes.
Maurice Hiltpold, le père de Serge, a transformé l’entreprise en société anonyme en 1974. Serge en détient aujourd’hui l’entier du capital et en est l’administrateur unique. «Je ne veux pas nommer au Conseil d’administration une personne qui ne partagerait pas les valeurs familiales», commente-t-il. Mais quand il a besoin de confronter ses idées, il s’ouvre à d’autres entrepreneurs ou à ses collègues du Rotary: le principe même des réseaux. Par ailleurs, dit-il, «je parle beaucoup avec mes collaborateurs et me remets beaucoup en question, mais je ne veux pas de contrainte».
L’absence de contrainte n’est pas l’indifférence. Serge Hiltpold a pour philosophie de rendre ce qu’il a reçu. «Cette manière de voir est propre aux entreprises familiales», pense-t-il. Cela les distingue des grands groupes». Membre du Conseil de direction de la Fédération des entreprises romandes (FER), président du Groupement genevois des métiers du bois, député de 2009 à 2023, ancien président de la Fédération des métiers du bâtiment, président de la Sgipa*, ses engagements publics et associatifs ne se comptent plus.

Les PME, force de la Suisse

La force de la Suisse, ce sont ses PME, assure Serge Hiltpold. Son credo de manager: «déléguer ce que je sais faire». «Cette année, après le départ de ma secrétaire, j’ai pris en charge toute l’administration durant deux mois. Plus jeune, je suis passé par tous les postes à l’atelier». Le rôle du patron, c’est de prendre des risques et de protéger «ses gars». Impossible dans une grande société où les responsabilités sont souvent diluées.
En 25 ans, le métier a changé, constate-t-il. Il y a davantage de place pour la créativité, mais la bureaucratie complique et ralentit les choses et les règles d’attribution des marchés publics ne valorisent pas assez la proximité. «Si, sur un marché de 200 000 francs, nous sommes 2500 francs plus chers qu’un concurrent hors de Genève, on ne nous invite pas à nous aligner. On choisit l’offre la moins chère», regrette-t-il. On méconnaît le rôle de proximité des entrepreneurs.
Sa fierté, c’est d’avoir accru le nombre d’emplois au sein de la menuiserie, d’une part, et d’avoir accru la qualité de ses produits, d’autre part. La vision à long terme est essentielle dans une entreprise familiale et passe par la satisfaction des clients. Tiens, en parlant de long terme: comment s’est passée la fête des cent ans de cette maison fondée en 1922? «J’y pense, mais je n’ai pas encore eu le temps de l’organiser».

 

Cesare Accardi

* Société genevoise pour l’intégration professionnelle d’adolescents et d’adultes.

Serge Hiltpold.

GROS PLAN

La transmission passe d’abord par les valeurs

 

La menuiserie Hiltpold a été créée en 1922 par Emile Hiltpold, l’arrière-grand-père de Serge, venu d’Argovie à Carouge, où il a fait son apprentissage. Depuis, l’entreprise a passé de père en fils, avec un intermède féminin de 1988 à 1994. Lorsque Maurice Hiltpold, le père de Serge, décède subitement en 1988, son épouse reprend la direction. Serge la rejoint en 1993.
«Par la force des choses, j’ai été parachuté à la tête de la société. Je suis arrivé en bébé nageur balancé dans le bain, s’amuse-t-il. Ma mère m’a donné un an pour savoir si je voulais reprendre la menuiserie». Sans surprise, en 1994, il prend la direction. «Je l’aurais fait de toute façon», avoue-t-il.
«Il y avait quatre employés», se souvient Serge Hiltpold. «Je travaillais avec eux la journée et le soir je faisais l’administration. C’étaient des journées de 6 heures à 22 heures». A force de passion et d’enthousiasme il va de l’avant, introduit la DAO, achète une cabine de giclage, une scie à panneau, installe un réseau informatique et des machines à commande numérique.
La clef d’une succession réussie? Savoir que rien n’est acquis, toujours remettre l’ouvrage sur le métier, répond Serge Hiltpold. «Je pense que mes filles ont baigné dans cet état d’esprit. La transmission se joue au-delà du métier, c’est une question de valeurs». Pour autant, il n’a pas «mis la pression» sur ses enfants, quoique le «nom soit une pression à laquelle on échappe difficilement», observe-t-il. Avec un père et une mère impliqués dans l’établissement familial, «j’ai baigné dans l’entreprise, elle occupait nos discussions à table», témoigne-t-il, bien que ses parents non plus n’aient pas forcé ses choix.
La prochaine succession devrait être plus sereine. Sa fille cadette, forte d’une formation d’ébéniste et de menuisier, travaille aujourd’hui avec lui. Elle a la chance de pouvoir tourner de poste en poste. Sa fille aînée, dessinatrice en bâtiment dans un bureau d’architecte, entreprend une formation de conductrice de travaux. A terme, elle rejoindra la menuiserie et apportera un complément aux compétences de sa sœur, une vision globale.
«Dans une entreprise comme la nôtre, le nom est en jeu; il a valeur d’engagement et de crédibilité». La devise familiale évoque plus le motto d’un sportif de pointe que d’un travailleur du bois: «Ne jamais être dans sa zone de confort. L’engagement à fond, il faut y aller!». Rendez-vous en 2122 pour les 200 ans de la menuiserie.

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