carrièrE & formation
Des artistes, les syndicalistes?
Le congrès mondial des Syndicats des services publics (world-psi.org) – qui vient de se tenir à Palexpo – a réservé trois surprises: pas de médias, pas de sécu… bref, moins de règles que d’art. C’est le mot, et pas juste par les arts de la scène qui ont ébloui (et parfois assourdi) la soirée d’ouverture et la fête de clôture. Mais que tout(e) fonctionnaire est un(e) artiste qui s’ignore, on l’a découvert à la séance des «maîtres» (voir ci-dessous): on est bien là dans un «Spécial Formation».
Première surprise, donc: hormis deux journalistes venus de l’Est, votre serviteur était seul de sa caste à venir voir la chose de près (même «Le Courrier» n’était pas là, à moins qu’il ne se soit montré sur le tard). Dommage, car la centaine de «lanceurs/euses d’alerte» (dont on va parler plus loin) eût été une mine à ciel ouvert pour les journalistes «d’investigation». Est-ce à dire que les médias de gauche et de droite ont en commun d’être blasés? Pour ma part – et sans leur cacher que j’écrivais «du mauvais côté» -, j’ai été accueilli sans façon par ces gens «du bon bord». Et les deux séances que j’ai suivies en avant-première – sur la culture et sur les alertes – furent moins «langue de bois» que de coutume chez les militants prêcheurs. On va voir ce que ces allusions cachent…
Pour un chef, chaque flic vaut
cinq étoiles
Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, encore une surprise à noter: pour «protéger» le bon millier de délégués à la cérémonie d’ouverture, seule une jeune et menue Securitas était sur place. Alors que dans la Genève Internationale, au Centre (…) de conférences, au Palais des Nations, au Campus Biotech, à Uni-Mail et Dufour et bien sûr à Palexpo, la moindre réunion d’humanitaires, de météorologues, de biologistes, de professeurs, de financiers et même de théologiens se barde de centaines d’agent(e)s de sécurité. On peut en tirer deux moralités contraires: soit que les syndicalistes sont les seuls professionnels à n’avoir aucun ennemi; soit que les métiers plus gradés sont d’un snobisme dispendieux, prétentieux et étouffant (le chiffre d’affaires de la sécurité privée en Suisse dépasse le milliard, et Genève s’adjuge sans doute la part du lion, surtout si on ajoute les centaines d’agents publics des Nations Unies).
Loi du silence: le «public» bat
le «privé»?
Ce détour par un sujet à première vue hors sujet permet d’entrer dans le sujet d’un des deux ateliers déjà évoqués: celui sur les lanceurs/euses d’alerte. Les actes répréhensibles dont on peut être témoin dans un cadre professionnel sont-ils une affaire de «droits humains» ou de «poste de travail»? En effet, même à la très acquise Organisation internationale du travail, on a longtemps dit aux représentants des «travailleurs» que la corruption, la tromperie, les violences contre l’intérêt public devaient être dénoncées aux agences de droits de l’homme ou au système judiciaire, mais ne relevaient pas des «droits du travailleur». Un employé choqué par ce qu’il voit au bureau et qu’il juge nocif pour le public au point de livrer ses griefs tout droit à la place publique peut-il invoquer un «droit»? Questions souvent débattues au tribunal, mais peu populaires dans les médias; à l’atelier syndical, un participant en ligne a tout de même demandé si lancer des alertes n’était pas dans certains cas une «prime à la délation». N’empêche, bien des affaires ne seraient jamais rendues publiques sans des «alertes» venues de l’intérieur des «services publics» (eurocadres.eu).
Le maire, saint protecteur des
artistes?
Autre atelier, celui des profs et des maîtres: en fait, des employés de «l’éducation, la culture et les médias»… dont les trois mots clefs sont moins anodins qu’on croit. On connaît le pouvoir des syndicats d’enseignants, mais les artistes ont un statut moins monolithique. Mozart était-il un «ouvrier» ou un «employé» de la culture? Quant on parle d’un employé – surtout s’il est syndiqué – de la culture, on pense plus à une curatrice de musée qu’à un peintre éthylique maudit. Mêmes ambiguïtés chez les musiciens, entre le trompettiste du ministre, une diva de music-hall et un flûtiste de rue. Dans le camp du «travail», on est toujours prompt à dénoncer les inégalités sociales; mais dans quel métier les écarts entre riches et pauvres sont-ils plus grands que chez les artistes?
Par chance, l’atelier était présidé par une inclassable artiste en tenue de fantaisie: la première, elle a rappelé que les travailleurs de la culture et des médias n’étaient pas tous des salariés du service public; et que «nombre œuvrent dans le secteur privé, ou sont indépendants» (quitte à s’enliser dans les calculs du «droit d’auteur»). D’habitude, on l’oublie, et c’est cette tache aveugle qui explique que nombre de journalistes «freelance» – à la fibre rouge passée au fil des oublis – ont voté «Oui» à «No-Billag».
Le showbiz, syndicat des oubliés?
Certes, même «l’éducation» est un secteur moins homogène qu’on croit… mais ses «artistes» (comme le maître de jadis ou ceux des écoles libres) sont hors système: le Syndicat des services publics parle – ce sont ses chiffres – pour une trentaine de millions d’employés de tous métiers; mais les instituteurs à eux seuls – en ou hors syndicat – en comptent le double dans le monde: alors, même en tenant compte des écoles coraniques, il y a de la marge. Mais foin de chiffres, parlons du cahier des charges et du profil psycho… qui rime un peu avec schizo. Les métiers du savoir et de la culture – bref, les «créatifs» – sont là pour donner à la société des couleurs; mais que la plupart des écoles, des musées et – de plus en plus – des «médias de qualité» soient «publics» (en Europe du moins) leur ôte leurs couleurs. Malgré sa «qualité», un film d’Arte n’aura jamais ce «je ne sais quoi» d’un Charlie Chaplin ou des studios Pixar. Seul l’écrivain – et encore – ou parfois le showbiz échappe à l’esprit de l’officialité; alors que – retour au titre de ce texte – tout prof, tout artiste, tout journaliste souffre de cette tension entre sa mission et son statut.
Comment diviser par deux trois… bureaucrates?
Face au podium de cette séance tripartite «écoles, culture, médias», comment faire la part des choses entre les deux faces de ces métiers? En tout cas, les couleurs de «l’inclassable» présidente décrite plus haut – un pied dans la sécurité du salariat public, un autre dans les sables mouvants de la bohème – tranchait avec les discours «dans la ligne» grise. Alors on va clore par un hommage à cette femme et artiste tous terrains, qui pratique une demi-douzaine d’arts en solo (zitaholbourne.com), tout en militant pour le public en commun (blackactivistsrisingagainscuts.blogspot.com)… jusqu’à monter une petite galerie dans les couloirs de Palexpo. Bref, même chez les partisans de la rose, on trouve des fleurs de toutes couleurs.