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événement - Rencontre transalpine de la Fédération Cobaty

L’eau dans tous ses états

27 Sep 2023 | Articles de Une

L’eau est l’élément fondamental dans lequel la vie a débuté; sans elle, l’humanité serait vouée à disparaître. La préservation de cette ressource est plus que jamais d’actualité. Avec les épisodes extrêmes de sécheresse et d’inondations que nous traversons, il y a lieu de réfléchir sur la place de l’eau, ses enjeux et ses risques. Pour débattre de ce vaste sujet, Cobaty (Fédération internationale de la Construction, de l’Urbanisme et de l’Environnement), en partenariat avec l’association Cluster Eau Lémanique, a organisé une conférence au Palais Lumière d’Evian-les-Bains. Réunissant les meilleurs experts des trois pays voisins (Italie, France et Suisse), les tables rondes ont été animées par Thierry Oppikofer, directeur du Journal de l’Immobilier et ancien président fédéral de Cobaty. Le public a également pris part aux visites et ateliers thématiques de ces deux journées d’échange.

Quoi de mieux pour parler de l’eau que de se réunir sur les bords du Léman, à Evian, ville d’eau et sensible au développement durable? Plus de 200 «cobatystes» du District 11 (voir Gros Plan) et leurs invités ont répondu à l’appel. Une première table ronde a permis de dresser un bilan en lien avec le changement climatique. Ludovic Ravanel (docteur géomorphologue au CNRS en France) a centré sa présentation sur les espaces de haute altitude, en particulier la neige, le permafrost et les glaciers. Du fait de la progression des températures, nous assistons à une augmentation des précipitations mais qui se manifestent davantage sous forme de pluie que de neige, avec un impact certain sur le volume des glaciers. La physionomie des montagnes se transforme progressivement et le domaine skiable tend à se réduire.
Emmanuel Reynard (professeur de géographie à l’Université de Lausanne) a enchaîné sur les conséquences en aval de la fonte des glaciers. Outre les phénomènes physiques, il est important de saisir l’évolution des usages de l’eau – qui sont multiples et parfois en conflit -, nécessitant une gouvernance adéquate et des mécanismes de priorisation. La ressource en eau est sous pression pour plusieurs raisons, parmi lesquelles la transition énergétique (production hydraulique croissante) et le changement climatique (besoins accrus pour le refroidissement). Sergio Sordo (ingénieur hydraulique au Piémont italien) a présenté une solution concrète: la mise en œuvre de bassins artificiels qui permettent de stocker l’eau pour des usages multiples. En effet, nombre d’ouvrages hydrauliques existants ne sont pas adaptés aux phénomènes météorologiques intenses que nous vivons actuellement. «Il vaut mieux voir petit et polyvalent, soit l’implantation de nombreux bassins artificiels aux dimensions restreintes, bien répartis sur le territoire et répondant à des fonctions multiples, si on souhaite une acceptation par la population et les autorités publiques», a affirmé l’ingénieur.

Comment sauver l’eau?

L’utilisation rationnelle de l’eau a été relevée par Jean-Pierre Amadio (élu évianais et président du Cluster lémanique de l’eau), qui a présenté les quatre axes stratégiques du Cluster, soit l’énergie, le suivi qualitatif et quantitatif, le génie végétal et la biodiversité. Située à Evian-les-Bains, cette organisation associative entend dépasser les frontières géographiques pour mettre en œuvre une stratégie commune de développement autour de la filière eau du bassin lémanique. En ce sens, les acteurs concernés par cette problématique – entrepreneurs, chercheurs-scientifiques et autorités politiques – doivent coordonner leurs efforts et se saisir des nouvelles technologies (cartographie satellitaire par exemple).
Eric Davalle (ingénieur, ancien chargé de cours à l’EPFL) a souligné que nous disposions de 575 000 km3 d’eau, soit largement assez pour combler les besoins de la population mondiale (à titre de comparaison, le Léman, c’est 89 km3). Cependant, l’accroissement démographique – nous serons environ dix milliards en 2050 sur la planète – et les inégalités mettent à mal nos écosystèmes. Sans sombrer dans le catastrophisme, les chiffres sont alarmants et illustrent la mauvaise répartition de l’eau dans le monde: une personne sur deux ne bénéficie d’aucun moyen sanitaire, une personne sur trois ou quatre n’a pas accès à l’eau potable, une personne sur dix vit au-dessous du seuil de pauvreté. Les problèmes que sont la gestion des fuites d’eau et le traitement des eaux souillées sont à prendre à bras-le-corps, tout comme la lutte contre la corruption (45% des sommes accordées via des organismes humanitaires sont détournées de leur cible). Des solutions existent, le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) les énonce régulièrement. Encore faut-il les concrétiser et déployer les moyens financiers là où c’est nécessaire. Eric Davalle cite l’exemple des pailles «magiques» qui filtrent l’eau et coûtent une trentaine de francs seulement, une somme qui peut toutefois s’avérer importante dans certains pays. L’implantation des infrastructures demande en outre une connaissance fine du contexte et une adaptation aux habitudes locales.
En visant le modèle néo-libéral, les intervenants à la table ronde ont dénoncé l’impact majeur des activités humaines – en particulier celles des pays industrialisés – sur le réchauffement climatique. «Nous avons tous le moyen d’agir contre le gaspillage de l’eau et des opportunités peuvent émerger des problèmes. La formation est centrale: de nouveaux métiers vont voir le jour», estiment de commun accord les experts qui relèvent au passage des usages irrationnels tels que l’eau potable utilisée pour la chasse d’eau, l’arrosage du jardin et le lave-linge.

Les tables rondes ont réuni des experts de qualité. De gauche à droite: Eric Davalle, Jean-Pierre Amadio, Sergio Sordo, Emmanuel Reynard, Ludovic Ravanel, Thierry Oppikofer (animateur).
Des solutions pour préserver l’eau ont été présentées par les intervenants: Géraldine Pflieger, Lorenzo Arta, Erik Bollaert, Gilles Mulhauser, Thierry Oppikofer (animateur), Gilles Garazi au micro.

L’eau n’est pas un objet financier, c’est un sujet qui porte le vivant

En introduction à la seconde table ronde, Gilles Garazi (directeur exécutif de la transition énergétique aux SIG) a insisté sur la nécessité de donner du sens, de rassembler les générations autour du bien commun qu’est l’eau. L’expert a souligné que trop souvent, l’urgence climatique donnait lieu à une angoisse écologique et une perte de repères – qui bloque toute action – en particulier dans les jeunes générations. Construire un avenir désirable et enthousiasmant est essentiel. Il a enchaîné sur GeniLac, un programme ingénieux qui donne de l’espoir. Ce réseau utilise l’eau du Léman pour rafraîchir et chauffer des bâtiments d’habitation, d’entreprises ou de collectivités. L’eau est captée à 45 mètres de profondeur, à une température stable toute l’année d’environ sept degrés. Elle est ensuite transportée dans des conduites souterraines jusqu’aux bâtiments raccordés. C’est le principe de l’hydrothermie: à partir de cette ressource 100% renouvelable et locale, les solutions GeniLac permettent de remplacer les climatiseurs et peuvent également chauffer les bâtiments via l’ajout d’une pompe à chaleur.
Géraldine Pflieger (maire de Saint-Gingolph en France et professeur de géographie à l’Université de Genève) a présenté une solution similaire, soit un réseau de chaleur, mais cette fois implanté à l’échelle d’une petite commune rurale (900 habitants) située à cheval entre la France et la Suisse. Depuis octobre 2022, le nouveau réseau «Boucle d’O» permet de chauffer tous les équipements publics (mairie, salle des fêtes, école et église) et la moitié des logements de la commune en captant les calories de l’eau du Léman. Plus de 120 logements sont ainsi sortis de la dépendance au chauffage au fioul. La maire a montré que malgré ses avantages, un projet de ce type demande une sensibilisation des acteurs, ainsi que leur adhésion collective. Lorenzo Artaz (ingénieur hydrologue italien) a, quant à lui, relevé la nécessité d’augmenter et revoir nombre d’installations hydroélectriques (barrages, réservoirs, etc.) qui ne correspondaient plus à l’évolution des usages de l’eau, ni aux variations météorologiques, notamment en Italie où ces infrastructures sont vieillissantes.
Le directeur du bureau AquaVision Engineering à Lausanne, Erik Bollaert, a évoqué les défis propres à la gestion de l’eau en territoire transfrontalier. Si davantage d’adaptation, d’anticipation et de communication sont requises, le métier d’ingénieur civil reste le même, avec sa part de responsabilité en matière de risques. En tant que régulateur qui adresse des propositions au politique, la vision de l’Etat a été présentée par Gilles Mulhauser (directeur général de l’Office de l’eau à l’Etat de Genève). Le réseau hydrographique du Grand Genève implique une approche transfrontalière, qui se doit d’être cohérente et concertée; désormais, économistes, juristes et diplomates, de part et d’autre de la frontière, se sont invités dans le débat sur l’eau, rendant les décisions complexes. Il s’agit d’intégrer à la réflexion l’ensemble des usages de l’eau, en les abordant plutôt sous l’angle des services rendus par la ressource. Gestion plus pertinente de l’eau potable, approvisionnement en eau brute (réseau annexe à réaliser), rafraîchissement des espaces publics et promotion de l’eau en ville sont parmi les axes stratégiques de l’Etat de Genève. Davantage de sensibilisation et une observation fine du système sont également indispensables.
Selon l’esprit cobatyste qui favorise les collaborations interdisciplinaires, quatre ateliers thématiques – organisés par le Cluster lémanique de l’eau – ont permis aux participants d’échanger leurs idées et expériences de terrain, en toute convivialité. Autre action du Cluster présentée lors de la Conférence: l’exposition de projets nés de l’imagination de 830 élèves de classes primaires des circonscriptions d’Evian et de Thonon. Les enfants ont imaginé la maison de demain, en lien avec la récupération de l’eau.
En clôture de l’évènement, Pierre Ageron, président fédéral Cobaty, Josiane Lei, maire d’Evian-les-Bains et Claude Haegi, vice-président du Cluster lémanique de l’eau, ont signé conjointement une Charte d’engagement pour une gestion plus durable de l’eau dans la construction en lien avec les objectifs de développement durable de l’Organisation des Nations-Unies. La solidarité avec le reste du monde, la nécessité de travailler ensemble en faveur du bien commun sont au centre de la problématique. Et si l’homme a pris l’habitude, en toute insouciance, d’ouvrir le robinet et de se servir d’eau, cela ne sera peut-être plus le cas à l’avenir!

 

Véronique Stein

 

Une distinction a été remise au District 11 pour la réussite de l’événement.

GROS PLAN

La Fédération Cobaty en bref

 

Fondée en 1957, la Fédération Cobaty regroupe à ce jour près de cinq mille professionnels de l’acte de construire dans plus de 130 associations, essentiellement en France, mais aussi depuis plus de trente ans en Suisse, en Italie, Espagne, Bulgarie, au Liban, à Madagascar et dans quelques autres pays. Sans but lucratif, non corporatiste, apolitique, elle constitue un creuset d’échanges multidisciplinaires, cultivant l’éthique, la convivialité et la solidarité. Le District 11 est composé de la France (Haute-Savoie), de la Suisse (Genève, Lausanne, Neuchâtel), de l’Italie et de la Bulgarie. En 2017, le Congrès annuel de Cobaty a eu lieu à Genève, sous la présidence de Thierry Oppikofer, et a rassemblé 1000 personnes dont quatre conseillers d’Etat genevois et de nombreux élus suisses, français et italiens.

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