Le sous-marin Parche. L’ajout du caisson en forme de grosse torpille n’était pas installé sur les autres unités de la même classe (Sturgeon), sauf celles qui succédèrent au Parche pour les missions secrètes.

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culture & nature - Espionnage sous les mers

Guerre discrète au fond des océans

6 Sep 2023 | Culture, histoire, philosophie

Durant la Guerre froide et même après, les Etats-Unis envoyèrent des sous-marins dans les eaux soviétiques pour des missions d’espionnage. Il s’agissait non seulement de recueillir des renseignements, mais aussi de pister les navires russes.

Au milieu des années 1960, John Craven, spécialiste des grandes profondeurs à la Navy, fut chargé par le renseignement naval d’une mission un peu spéciale. On lui remit un document top secret, nom de code «Sand Dollar». Il s’agissait d’une liste d’objets militaires russes tombés en mer après des essais, notamment des missiles, qu’il fallait récupérer.
Craven obtint un sous-marin à propulsion nucléaire, mais on ne lui proposa que des modèles ratés que la Navy n’avait pas reproduits: le Seawolf et l’Halibut (qui faisait un bruit d’enfer sous l’eau). On installa des équipements secrets et un budget caché de 70 millions de dollars fut alloué au projet et largement dépassé….Deux ans plus tard, Craven et le directeur des renseignements navals, James Bradley, pensaient que vu les fonds engagés, il était temps d’essayer l’Halibut et ramener quelque chose.
La première mission fut un échec. En avril 1968, la Navy fut alertée par des appareillages soudains de navires soviétiques dans la zone Pacifique. Visiblement, les Russes cherchaient quelque chose et, après analyse, il apparut qu’ils avaient perdu un sous-marin. C’était un Golf II1 diesel-électrique doté de trois missiles nucléaires. A l’aide d’écoutes sous-marines enregistrées et de sismographes, Craven réussit à faire une triangulation et à déterminer une zone de recherche. L’Halibut partit le 15 juillet 1968 à la recherche du Golf. Après de longues semaines, il trouva le sous-marin et de nombreuses photos furent réalisées. Elles allaient être à l’origine du «Projet Jennifer», nom de code Azorian, visant à récupérer ce sous-marin. Mais cela est une autre histoire.

Ecoutes téléphoniques d’un
nouveau genre

Fin 1970, Bradley renvoya l’Halibut pour une nouvelle mission. L’idée était de trouver les câbles téléphoniques qui passaient à travers la mer d’Okhotsk pour relier la base de Petropavlosk à Vladivostok et de brancher un système d’écoute dessus. Fin 1971, l’Halibut se mit en route et finit par trouver le câble. Des plongeurs installèrent un enregistreur fonctionnant par induction (pas de coupure, ni de risque de court-circuit). Ensuite tout fut récupéré et ramené à Mare Island. Les enregistrements furent envoyés à la NSA, qui confirma qu’il s’agissait d’une mine d’or en matière de renseignements.
Bradley fit alors construire un appareil de 7m de long, pesant 6 tonnes, avec une alimentation électrique nucléaire, capable d’écouter et d’enregistrer une dizaine de lignes à la fois pendant près d’une année. L’Halibut repartit installer cet engin mais, cette fois-ci, il était équipé d’engins explosifs de sabordage. Ni le bateau ni l’équipage ne devaient tomber vivants aux mains des Soviétiques. Tout se passa bien et le sous-marin revint une année plus tard reprendre l’appareil. Une fois, à cause d’une tempête, les choses tournèrent mal et l’Halibut s’en sortit de justesse.
Pour ses retours en 1974/75, on l’équipa avec des sortes de skis qui lui permettaient de se poser sur le fond. Retiré du service en 1975, l’Halibut fut remplacé par le Seawolf. Lors d’une mission, ce dernier se posa lourdement sur le câble. Peu après, la Navy constata qu’un navire soviétique s’était rendu sur place et avait trouvé le branchement. On pensa que c’était à cause de la maladresse du Seawolf. Cependant, Richard Haver, membre des renseignements de la marine américaine, constata que ce navire russe était parti de sa base bien avant l’arrivée du Seawolf sur zone… Il évoqua un espion, mais la hiérarchie n’en tint pas compte.
Pourtant, en 1985, l’espion qui avait révélé le branchement aux Russes fut démasqué. Début 1978, le patron de la CIA, l’amiral Turner, emmena Haver expliquer les affaires de branchement au nouveau président Jimmy Carter, ancien ingénieur nucléaire qui avait travaillé sur les sous-marins avant de reprendre l’entreprise familiale de cacahuètes. L’idée était de faire un nouveau branchement dans la mer de Barents avec un SNA2 silencieux de dernière génération, car la zone était très surveillée. Carter accepta et l’USS Parche fut chargé de l’opération.
Ensuite, les missions en mer de Barents se succédèrent, toujours avalisées par les présidents successifs. Cependant, sous Bill Clinton, les missions de renseignements furent considérablement réduites et, lorsque le 20 mars 1993, un SNA américain heurta un SNLE3 russe, Clinton présenta ses excuses à Boris Eltsine. Parions que ces opérations clandestines se poursuivent de nos jours, surtout en mer de Chine…

 

Frédéric Schmidt

 

1. Les Américains et l’Otan nommaient les séries de sous-marins soviétiques en utilisant l’alphabet international (Alpha, Bravo, Charlie etc.).
2. SNA (sous-marin nucléaire d’attaque. A propulsion nucléaire et doté de torpilles et de missiles anti-navire, voire de missiles de croisière de nos jours).
3. SNLE (sous-marins lanceurs d’engins. A propulsion nucléaire et porteurs de missiles nucléaires stratégiques intercontinentaux).