L’expérience des studios mobiles

«Nous avons reçu 250 demandes pour les neufs hébergements qui viennent d’être inaugurés à Plan-les-Ouates et Lancy, constate Guillaume Taramarcaz, travailleur social à Carrefour-Rue & Coulou, Fondation reconnue d’utilité publique. C’est à l’image du tonneau des Danaïdes. Malgré ses structures d’accueil, Genève, comme toutes les grandes villes, doit faire face à un nombre croissant de sans-abri. Début 2023, 730 personnes étaient sans domicile fixe, selon l’étude de l’Université de Genève, commandée par la Ville, qui quantifie pour la première fois le phénomène au bout du lac.
«Se retrouver sans toit, tomber dans la précarité, se confronter à un parcours chaotique, cela peut arriver à n’importe qui, sans discernement. Un divorce suivi d’un burn-out, un licenciement, tout le monde peut perdre pied. Avec l’inflation, le chômage, des foyers entiers sont entrés dans l’économie des micro-gains, poursuit Guillaume Taramarcaz. Ce n’est pas la météo qui tue, mais la rue. Un toit constitue le point de départ de tout. C’est la première étape pour réexister et se remettre sur des rails». Il est de ceux qui se mobilisent pour pérenniser et développer les lieux d’hébergement qui comptent parmi les actions de soutien développées, contre vents et marées, depuis 50 ans par Noël Constant, l’humaniste octogénaire président de la Fondation.

Contre les clichés de la misère

Des trois hameaux d’habitations provisoires qui ont vu le jour à Genève depuis 2014, le prénommé «Noé», installé sur un terrain de Plan-les-Ouates destiné à un projet immobilier, avait dû plier bagage. Stockés durant dix-huit mois, les neuf studios mobiles, ainsi que deux à usage collectif, ont enfin retrouvé ancrage sur deux parcelles proches l’une de l’autre, mises à disposition par les Communes de Plan-les-Ouates et de Lancy. Une application concrète de la loi votée par le Grand Conseil en septembre 2021, selon laquelle le Canton, via la péréquation financière intercommunale, s’appuie sur les communes pour l’organisation de l’aide aux personnes sans-abri.
Sans attendre l’inauguration des lieux, les habitants ont planté des fleurs et imaginent déjà de petits jardins ou un terrain de pétanque. Pied de nez à l’isolement et à l’exclusion, voilà qui contredit les perceptions de la misère, celles des couvertures cachées sous un pont ou de refuges de fortune dans un renfoncement d’immeuble. Femmes et hommes occupent les logements indépendants de 14 m2, équipés et spatialement optimisés, qui sont proposés à très bas loyers.

Non à l’assistanat

Loin d’une aide d’urgence, c’est un véritable accompagnement qui n’a rien à voir avec l’assistanat. «Il ne s’agit pas de faire des projets à leur place, mais plutôt de les conduire à reprendre confiance en eux et à trouver leurs propres marques. Il leur faut du temps, quelques mois, un an, parfois plus, chacun à son rythme», explique Noël Constant. L’an dernier, près de 50% des habitants de hameaux ont trouvé une assise stable
Alors que notre espace social est de plus en plus marqué par le repli sur soi, Carrefour-Rue & Coulou continue plus que jamais d’œuvrer pour un monde ouvert et solidaire. Au-delà de l’hébergement accompagné qui comprend également des chambres dans des villas vouées à la démolition, la Fondation, c’est aussi quelque 250 repas par jour distribués au Jardin de Montbrillant, un lieu d’hygiène et de soins gratuits, un accueil d’urgence, des ateliers, des animations, un soutien financier à la formation, un journal nommé «La Feuille de Trèfle»… L’ensemble de cette vaste palette d’entraide fonctionne principalement grâce aux dons des particuliers et des entreprises. L’équipe fixe est renforcée par 300 bénévoles, qui contribuent à la bonne marche des activités.

Viviane Scaramiglia