Les compétitions sont plus que jamais sous la loupe des fédérations, des milieux vétérinaires, des défenseurs des animaux, des médias et du public.

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OPINION - Des chevaux et des hommes

Une réponse à la «tribune libre» parue dans notre No 79

14 Juin 2023 | Articles de Une

La «Libre opinion» de l’architecte Michel Morello, parue dans ces colonnes le 31 mai et portant sur des cas de maltraitance de chevaux, a suscité de nombreuses réactions. Parmi celles-ci, celle de Claude Bonard, ancien secrétaire général de la Chancellerie d’Etat de Genève, écrivain, historien, humaniste et cavalier émérite.

Je confesse que je lis plus assidûment les articles du Journal de l’Immobilier depuis qu’il m’a ouvert ses colonnes et que l’excellent journaliste Laurent Passer a présenté et fait l’éloge de mon livre «Derrière le rideau, petites chroniques de la rue de l’Hôtel-de-Ville».
Les articles sont variés et touchent des sujets peu ou pas traités ailleurs, voire des sujets que l’on ne s’attend pas à voir dans un tel journal spécialisé. Un article sur le cheval et son bien-être par exemple. En lisant la version e-paper du No 79 du 31 mai, je dois dire à cet égard que c’est avec des sentiments mélangés et un étonnement certain – pour ne pas dire plus – que j’ai lu l’article de M. Michel Morello.
Ayant été cavalier depuis 1964, soldat du train hippomobile en 1966, propriétaire d’un cheval depuis 1968 et cavalier de concours (licences régionales dressage et saut obtenues en 1968, respectivement 1970), groom en concours hippique en 2006, je dois dire que je suis stupéfait en décryptant cet article, car si on le résume, l’auteur voit dans le monde du cheval, celui des sports équestres et des loisirs à cheval la quintessence de la maltraitance animale. Quant aux professions qui caractérisent le monde équestre, il n’y voit que médiocrité, cruauté, ignorance et appât du gain, le tout avec un mépris permanent pour les animaux. En un mot comme en cent, un monde de margoulins.

Exceptions

Pour être objectif, on ne peut pas nier qu’il existe dans le milieu équestre comme dans beaucoup d’autres, quelques brebis galeuses, marchands peu scrupuleux parfois, propriétaires négligents, des cavaliers qui traitent leur cheval comme une mobylette, des propriétaires d’écuries indélicats, et dans les régions touristiques, des chevaux qui baladent les touristes à longueur de journée sans être abreuvés ou nourris correctement.
Mais de grâce, ne faisons pas de ce constat une généralité!
C’est un peu comme si dans le monde de l’immobilier, pour reprendre la thématique principale de ce journal, un auteur venait à affirmer que «le milieu de la construction et de l’immobilier est peu scrupuleux»… ou que dans le milieu du cyclisme, du tennis, de la voile ou de la course automobile, «le milieu est gangréné par la triche et les magouilles». Pour paraphraser Cyrano de Bergerac, ayant terminé la lecture de l’article, j’ai envie, comme le héros de Rostand, de m’exclamer et de dire à M. Morello: «C’est un peu court, jeune homme!». Cela étant dit, je reviens à ses constats, auxquels j’oppose les arguments qui suivent.

Bien-être équin

S’agissant du bien-être du cheval, nous ne sommes plus au temps des chevaux de guerre qui se sont vidés de leurs entrailles par milliers à Azincourt, Eylau, Waterloo ou sur la Somme! Depuis l’essor de l’équitation sportive – je prends l’exemple de la Suisse – au cours des Trente Glorieuses, les professions du cheval sont réglementées, les prescriptions vétérinaires sont exigeantes, les normes de construction d’écurie le sont également. L’auteur de l’article le relève d’ailleurs en début d’article pour évoquer les difficultés et lourdeurs qu’il a lui-même rencontrées sur le plan administratif avec les services de l’Etat, ce qui va à l’encontre de sa démonstration…
Sur le plan de l’enseignement, les écoles d’équitation se sont progressivement dotées d’instructeurs ayant une culture équestre avérée: anciens de la cavalerie, cavaliers de concours brevetés, titulaires de licences émises par la Fédération suisse des sports équestres. Pour prendre mon exemple, à l’Ecole d’équitation de Meyrin, j’ai eu pour instructeur le capitaine Marcel Puech, ancien du 7e régiment de spahis algériens, qui avait lui-même succédé à un ancien écuyer de Saumur; cet exemple n’est pas unique.
Quant à l’enseignement des cavaliers débutants, on n’a jamais autant parlé sous nos latitudes du bien-être des chevaux et du respect de l’animal que depuis 1998, lorsque l’éthologie s’est développée, avec l’apparition des «chuchoteurs», une pratique largement popularisée depuis le film «L’Homme qui murmurait à l’oreille des chevaux», réalisé par Robert Redford en 1998. Depuis les années 60, on assiste à la publication de nombre de livres et de revues traitant du bien-être du cheval. Des publications qui s’adressent aux cavaliers de tous âges.

Contrôle

Quant aux compétitions, elles sont plus que jamais sous la loupe des fédérations, des milieux vétérinaires, des défenseurs des animaux, des médias et du public. Les courses de chevaux les plus dangereuses pour l’animal et son cavalier ont été biffées des calendriers. Ce qui était encore admis au XIXe siècle ou du temps de l’équitation à vocation militaire ne l’est plus aujourd’hui. Certes, il y a toujours des accidents, voire des excès, notamment dans certaines compétitions d’endurance, sous d’autres latitudes, dans les sables du désert par exemple, mais à chaque fois sévèrement réprimées par les instances officielles en charge des sports équestres, qui veillent au grain. Idem s’agissant du dopage, qui n’est pas l’apanage du sport équestre. Aujourd’hui, et c’est tant mieux, même les grands conservatoires équestres se remettent en question lorsque pour des raisons économiques et financières notamment, le bien-être des chevaux pourrait souffrir. C’est par exemple ce qui se passe actuellement à l’Ecole espagnole d’équitation de Vienne. A l’heure d’Internet, des caméras cachées et des réseaux sociaux, d’éventuelles mauvaises pratiques sont traquées et immédiatement rendues publiques. Les sanctions suivent rapidement.
Les chaussettes m’en tombent en lisant qu’on «emballe les chevaux dans des couvertures» ou qu’ils sont «tondus». Le constat sarcastique de l’auteur démontre qu’il aurait tout intérêt à s’informer davantage avant d’écrire… car la couverture, couvre-reins dans certains cas, sert à protéger le dos du cheval par grand froid ou en cas de pluie, notamment au parc, mais aussi, parfois, en travail. Quant à la tonte, si le cheval produit naturellement du poil d’hiver, la tonte est indiquée s’il travaille régulièrement en période froide. Le fait de tondre un cheval lui apporte du confort et lui évite une transpiration excessive.
Quant au passage sur les «champions du monde», il suffit de voir comment fonctionnent les équipes de foot, les clubs de vélo, voire d’autres types de sports ou de sociétés pour constater que cette caractéristique n’est pas l’apanage des milieux de l’équitation. On y trouvera souvent des forts en gueule ou quelques éléments se singularisant par rapport au reste du groupe.
Pour conclure, je regrette profondément les critiques émises contre les vétérinaires. Jeter l’opprobre sur cette profession n’est tout simplement pas honnête. Les vétérinaires que j’ai fréquentés en Suisse romande, dans mes manèges et écoles d’équitation – Meyrin, Onex, Givrins, Mâchefer – ont été d’une disponibilité constante et à l’écoute en cas de problème. Même chose chez les maréchaux. Je m’arrêterai là.
L’énorme masse des cavaliers, aujourd’hui, comme des propriétaires d’installations équestre, ont à cœur de respecter le cheval. Sans même parler d’«amour du cheval», terme par trop galvaudé, le plus grand nombre de ceux qui vivent du cheval ou qui le considèrent comme compagnon de sport ou de loisir ont à cœur de veiller à son bien-être.
Pour conclure sur l’article de M. Morello et comme l’a écrit Paul Valéry, «Il y a des critiques qui ne demeurent critiques que le temps de n’avoir pas réfléchi».

 

Claude Bonard

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