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Spécial énergie - Les Rencontres La Foncière

Ecologie: le béton pèse lourd

14 Juin 2023 | Articles de Une

Le secteur du bâtiment génère plus d’un tiers des émissions carbone, dont 10% pendant la cons-truction. Matériau incontournable depuis le début du XXe siècle, le béton est aujourd’hui remis en question face à ces défis. Le secteur a donc commencé une transition vers des solutions plus durables: construire mieux en utilisant des matériaux bas carbone, recyclés et locaux, voire réemployés. Pour aborder ce thème d’actualité, Investissements Fonciers SA, société de direction du fonds La Foncière, a convié un panel d’experts à Zurich et à Genève. Retour sur les interventions et les débats – animés par Thierry Oppikofer, directeur du Journal de l’Immobilier – qui se sont tenus à la Fédération des entreprises romandes (FER) Genève, devant un parterre de plus de 200 invités.

De gauche à droite: Valérie Lemaigre, économiste en chef à la BCGE; Raphaël Bach, architecte-urbaniste, assistant à l’EPFL et co-directeur de Matériuum; Alia Bengana, architecte DPLG et enseignante; Michaël Loose, CEO d’Investments Fonciers; Thierry Oppikofer, directeur du Journal de l’Immobilier.

Pendant des siècles, le bois a été la source d’énergie et le matériau de construction principal. C’est par la suite que le béton fait son apparition: en combinaison avec l’acier et le polystyrène, il simplifie considérablement la vie des constructeurs. Cette matière liquide, coulée dans un coffrage, devient une habitude et son usage progresse de manière exponentielle. Sa fabrication s’effectue à partir de ressources présentes partout dans le monde et à portée de tous. Ce matériau ne coûte pas cher; dans leurs projets, les architectes et ingénieurs sont formés pour l’utiliser sans compter. Les chiffres sont alarmants: 4,6 milliards de tonnes de ciment sont produits par année dans le monde, soit 150 tonnes par seconde. La production de ciment a été multipliée par 40 depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
«Même en augmentant drastiquement les rénovations, nous n’attendrons pas les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, a relevé en introduction du séminaire Thomas Vonaesch, directeur opérationnel d’Investissements Fonciers SA. Nous devons travailler avec des matériaux plus équilibrés que le béton conventionnel, soit le béton maigre et recyclé, et miser sur les alternatives (bois, pierre et terre), tout en favorisant les constructions hybrides (intégration de plusieurs matériaux). Les laboratoires de recherche dont nous disposons en Suisse sont là pour nous aider dans cette transition. Afin de réduire les émissions de CO2 , il s’agit de privilégier les opérations de rénovation et le réemploi, plutôt que celles de démolition-reconstruction». Pour assurer cette transition vers moins de béton, les divers acteurs de la chaîne de valeurs – soit les constructeurs, les architectes/ingénieurs, les entreprises, etc. – doivent travailler main dans la main. «La durabilité est une chose mais elle ne doit pas se faire au détriment d’une rentabilité ‘raisonnable’», insiste Thomas Vonaesch.

Le béton dans une architecture
en mutation

Pourquoi le béton est-il pointé du doigt et considéré comme le matériau le plus destructif sur terre? Alia Bengana, architecte DPLG et enseignante, rappelle qu’un tiers des émissions de CO2 mondiales sont liées au secteur du bâtiment dont 10% durant la phase de construction. Et étonnamment, alors que le ciment ne représente que 12% de la composition du béton (le reste étant des granulats, du sable et de l’eau), sa fabrication est responsable à 98% de l’impact carbone de ce matériau. C’est en particulier le processus de décarbonation du calcaire (dit clinker) qui est en cause. Le second problème, en lien avec l’utilisation massive du béton, est celui de l’épuisement des ressources, puisque le béton comprend 75% à 85% de sable et de granulats (le sable étant la ressource la plus exploitée au monde après l’eau). «Il faut 200 tonnes de sable pour construire une maison et 30  000 tonnes pour un kilomètre d’autoroute. Ces chiffres montrent que l’extraction de sable et les dommages environnementaux collatéraux ne sont plus tenables pour la planète», souligne Alia Bengana.
L’obsolescence programmée du béton est également une difficulté à laquelle nous sommes confrontés: l’alliance du métal et du béton armé est particulièrement délicate en cas d’exposition aux intempéries. Infrastructures et édifices de ce type demandent un entretien efficace afin d’éviter des effondrements comme celui du Pont Morandi à Gênes en 2018 ou de nombreux ponts et barrages aux Etats-Unis. Par ailleurs, la RAG (réaction alcalis-granulats) peut donner lieu, sur les travaux de béton à l´air libre, à des fissures; 400 ouvrages sont concernés en Suisse, dont le Viaduc de Chillon, occasionnant des dépenses considérables. Enfin, l’importante production de déchets issus de la démolition des bâtiments conduit à une saturation des espaces de stockage en Suisse. Alia Bengana relève que la part de béton recyclé utilisé dans la construction reste faible (7% environ). A noter par ailleurs que les bétons fabriqués à partir de granulats recyclés ne constituent pas des matériaux bas-carbone, car le ciment est toujours présent en quantité; le principal avantage consiste à ne pas extraire de ressources supplémentaires.

Quelles solutions pour décarboner la filière du béton?

Alia Bengana évoque la formulation bas-carbone d’Holcim – qui introduit des matières fines (issues de la démolition de bâtiments) dans la composition afin de limiter le taux de clinker – mais ne conduit qu’à une baisse de 10% des émissions de CO2  . D’autres solutions existent, comme l’utilisation du laitier de haut-fourneau, mais le calcul de leur empreinte carbone est quelque peu trompeur. La réelle innovation (EPFL) consiste à remplacer une partie du clinker par des argiles «calcinés», ce qui permettrait de baisser les émissions de CO2 de 30% à 40%. Alia Bengana résume: «nous devons réduire la quantité de béton utilisée dans la construction, par exemple pour les planchers, ne pas négliger les avantages de la préfabrication, penser en termes de réversibilité de l’ouvrage (structures «déboulonnables») et enfin, combiner divers matériaux dans un même projet». Des architectes genevois comme les bureaux atba, Archiplein et Faz s’y attellent déjà, donnant lieu à des réalisations exemplaires.

Lors d’un exposé passionnant, Alia Bengana a montré que des solutions existent pour améliorer l’impact environnemental du béton.

Lorsque le déchet devient
ressource

Pourquoi recourir au réemploi dans la construction? s’interroge Raphaël Bach, architecte et urbaniste, assistant à l’EPFL et co-directeur de Matériuum, une association spécialisée dans le réemploi des matériaux. «Nous ne pouvons plus continuer à exporter nos déchets en France voisine et dans le canton de Vaud», dit-il avant d’énoncer les étapes du processus de réemploi. L’inventaire permet de classifier les éléments; viennent ensuite la déconstruction et la collecte des matériaux. Il s’agit alors de préparer et reconditionner les éléments, puis de les expertiser et les stocker. Enfin, la phase de chantier consistera à œuvrer avec des matériaux «comme neufs», la seule différence étant qu’ils sont issus d’un environnement bâti plutôt que naturel. La solution «Réemploi de produits de construction», dite CBAT – SIG-éco2 et développée en collaboration avec Matériuum, intègre ces étapes et propose des prestations avec des subventions intéressantes à la clef.
De nombreux acteurs – dont les maîtres d’ouvrage – s’intéressent de près au réemploi, engageant des investissements considérables dans la démarche. Les avantages sont multiples: iconique (aspect du patrimoine culturel préservé), artistique (création de mobilier par exemple), social (source d’emplois, formation, réinsertion professionnelle) et écologique (limitation de l’énergie grise en particulier). Il devient aussi économiquement intéressant de faire du réemploi; Raphaël Bach donne des exemples de prix imbattables sur le marché: 120 poutres en bois massif vendues pour CHF 2000.-, 75 fenêtres pour CHF  80.-/pièce. Pendant longtemps marginal, le réemploi tend à devenir la norme du fait de la pénurie de matériaux (instabilité du contexte géopolitique actuel) et de la nécessité de se fournir localement.
Aucune solution n’est parfaite en soi, concluent les intervenants: il est essentiel d’analyser attentivement la nature du projet, ses potentialités, ses risques et sa rentabilité, afin de trouver la «recette» idéale. Seules les meilleures idées, alliant innovation et créativité, auront les faveurs des investisseurs. «Le béton n’est pas si mauvais en soi, mais nous devons l’utiliser intelligemment et en moins grande quantité, conclut Michael Loose, CEO d’Investissements Fonciers SA. Pour quel projet le béton a-t-il sa raison d’être et où peut-il être remplacé? Si nous voulons atteindre l’objectif zéro net en 2050, les manières de construire, déconstruire et rénover doivent être radicalement repensées». Un appel à tous les acteurs gravitant dans le monde de
l’immobilier!

 

Véronique Stein

GROS PLAN

Un besoin d’investissements en infrastructures
et rénovation

 

Comme à chaque édition des Rencontres La Foncière (Romandie), Valérie Lemaigre, économiste en chef à la BCGE, a été conviée pour exposer les perspectives économiques et financières du moment. La spécialiste relève que les transitions – démographique, énergétique, numérique, de mobilité, etc. – auxquelles nous assistons exigent des investissements d’ampleur. Il est nécessaire d’investir dans les bâtiments, pas uniquement dans le but de réduire leur consommation énergétique mais aussi, et surtout, pour leur transformation. Financer l’innovation est indispensable si nous voulons réduire notre dépendance au béton.
L’économiste de la BCGE se veut confiante quant à la solidité financière suisse et ce grâce aux entreprises et au marché de l’emploi. Elle relève que les facteurs cycliques de l’inflation s’atténuent et cèdent la place à des facteurs structurels, comme la pénurie des ressources et de main-d’œuvre. «Par ailleurs, les banques centrales testent des taux d’intérêt restrictifs pour lutter contre l’inflation et ancrer les anticipations inflationnistes, qui alimentent les négociations salariales, souligne-t-elle. Nous sommes à la recherche d’un point d’inflexion, marqué par des investissements et des marchés du travail résilients, en réponse aux transitions de long terme».

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