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Guy Mettan contre la pensée unique

19 Avr 2023 | Culture, histoire, philosophie

Il y a les mots gentils et il y a les mots méchants. Il y a les «mots totems», comme il les appelle, car ils expriment les sacro-saintes valeurs d’ouverture et de vivre-ensemble de notre époque, et il y a les «mots tabous» qui ne charrient au contraire que des envies de nostalgie et de repli sur soi. Le journaliste et écrivain genevois Guy Mettan, récemment réélu député, analyse le sens de tous ces mots que nous utilisons chaque jour dans un essai plein d’intelligence et de drôlerie, «La tyrannie du bien» (Editions des Syrtes).

Qu’est-ce qu’un homme? «Un être humain de sexe masculin et qui entend le rester». Et qu’est-ce qu’une femme? «Un être humain de sexe féminin et qui s’en félicite». Autant le dire tout de suite, Guy Mettan, ancien rédacteur en chef de la «Tribune de Genève», est un esprit brillant qui ne pense pas comme il faut et qui pense même comme il ne faut pas. Il aime jouer avec les mots et ne cesse de les interroger sur ce qu’ils expriment, bien sûr, mais aussi et surtout sur tout ce qu’ils camouflent, sur tout ce qu’ils déforment et qu’ils dénaturent plus ou moins consciemment.

Les mots qui bougent et qui changent de sens

Dans «La tyrannie du bien», un ouvrage vif et pétillant qui vient de paraître, Guy Mettan passe en revue ce qu’il appelle «Dictionnaire de la pensée (in)correcte». C’est un dictionnaire d’un style nouveau, qui définit scrupuleusement et dévoile la vérité de chaque mot. Car que veulent dire tous ces mots que nous utilisons quotidiennement, du matin au soir, en croyant qu’ils sont parfaitement neutres et factuels? Comment ces mots façonnent-ils, jour après jour, notre sensibilité et nos réflexes? Comment bougent-ils sans cesse, imperceptiblement, mine de rien, pour n’exprimer finalement que cette idéologie convenue et rassurante, née aux Etats-Unis dans les années 80 mais répandue depuis longtemps en Europe, qu’on appelle le «politiquement correct»? Comment les mots, au lieu de stimuler la pensée, en sont-ils arrivés à l’étouffer?

De l’Empire du mal à l’Empire du Bien

Ronald Reagan avait inventé une formule dévastatrice, «L’Empire du mal», pour dénoncer la défunte Union soviétique. Puis l’écrivain français Philippe Muray avait élargi et complété la formule en publiant il y a plus de trente ans, en 1991, un petit livre prophétique, «L’Empire du Bien» (Editions des Belles-Lettres), qui analysait quant à lui la situation dans les pays occidentaux. Il se moquait allègrement, avec une sorte de désespoir joyeux, de cette idéologie des bons sentiments et de la bien-pensance, intolérante et suffisante, qui était en train de se développer à toute vitesse, avec ses mots totems et ses mots tabous, et qui se faisait désormais une gloire d’interdire toute contradiction et toute liberté de pensée. La première étape du wokisme…
«Au tournant de l’an 2000, remarque Guy Mettan, le Bien a accéléré la cadence. Il a progressé dans tous les domaines. Il est devenu monopolistique, mondial, global.» Sur le plan international, il a inspiré des croisades terrifiantes en Afghanistan, en Irak, en Syrie ou au Liban, autant de pays où «la vertu s’est imposée à coups de bombes et de drones tueurs», tandis qu’il a créé et alimenté, partout en Occident, une atmosphère de soupçon permanent et de délation vertueuse envers les adversaires, réels ou supposés, de l’Empire du Bien.

La compétition victimaire

Ironique, profond, percutant, Guy Mettan observe le paysage qui s’étale aujourd’hui devant nos yeux. «Le Bien ne se contente plus de peser, il oppresse. Il ne suggère plus, il courbe, muselle, subjugue. De l’aube au crépuscule, son magistère est devenu un phénomène continu, total, absolu, totalitaire. (…) Tous.x.tes tant que nous sommes, nous serions victimes d’une oppression inique, celle du mâle blanc binaire, du colonisateur raciste, du carnivore pollueur. Femmes au foyer, migrants fuyant «les dictatures», trans non reconnus, minorités racisées, obèses en «situation de handicap», musulmans sujets à «l’islamophobie», vaccinés victimes de «l’égoïsme des antivax», clamez haut et fort l’étendue de vos souffrances. Désormais ce sont elles qui vous définissent. Hurlez votre douleur et vous saurez qui vous êtes».

La vie à l’endroit

Mais comment faire comprendre tout cela? «La langue du Bien a un nom, la softlangue, explique Guy Mettan. Grâce à la magie de l’euphémisme, la softlangue lisse tout. Elle gomme les aspérités, efface les résistances, dissout les contestations, cache ou enjolive les réalités désagréables. Son vocabulaire regorge de formules creuses et de mots vides de sens, sans chaleur, et qu’on ressasse à l’infini comme des mantras: ouverture, laïcité, diversité, tolérance, respect, vivre-ensemble; transition, innovation, compétitivité, durabilité. Il y en a pour tous les goûts, les âges, les sexes, les races, les classes, les croyances et les incroyances».

 

Robert Habel