MARCHÉ IMMOBILIER - Analyse de Wüest Partner pour le JIM
L’effet des taux se fait sentir
L’économie suisse se montre robuste, mais le revirement des taux d’intérêt marque les marchés immobiliers. Les prix des villas et PPE au 4e trimestre 2022 sont encore globalement en hausse dans les cantons romands comparés à ceux du même trimestre de l’année précédente. Il convient toutefois de noter que l’on observe pour la première fois une stagnation, voire une légère correction des prix sur les trois derniers mois. Le revirement des taux d’intérêt en 2022 commence donc à se refléter dans les prix. La période de hausse continue des prix devrait désormais toucher à sa fin.
Globalement, l’économie suisse s’est pourtant montrée robuste en 2022, avec une croissance du PIB réel estimée à 2,0%, 114 000 nouveaux emplois créés (dont environ un quart dans l’Arc lémanique) et le taux de chômage le plus bas de ces 20 dernières années (2,2%). La crise énergétique redoutée a pu être jusqu’ici évitée et le risque d’une récession profonde est pour le moment écarté. On table désormais sur une croissance positive du PIB en 2023, bien que plus faible que l’année dernière (+0,8%). Cette relative robustesse de l’économie nationale représente un facteur de stabilité pour les marchés immobiliers et devrait contribuer à en limiter les turbulences.
L’inflation est encore élevée en ce début d’année 2023 (+3,3% en janvier), notamment à cause de l’augmentation du prix de l’électricité. Le pic devrait être dépassé et l’on s’attend désormais à un reflux progressif de l’inflation en cours d’année. Cette dernière restant toutefois toujours au-dessus de la bande cible de la BNS, de nouveaux relèvements des taux directeurs en 2023 sont probables. Cela devrait cependant n’avoir que peu d’impact sur les taux à long terme, qui anticipent déjà dans une large mesure ces changements.
Altlas des prix des appartements en PPE [CHF] – Canton de Vaud.
Logement en propriété: vers une stabilisation des prix en 2023?
Acquérir un logement est devenu nettement plus coûteux en Suisse en 2022, et les cantons romands ne font pas exception. Si l’on prend à titre d’exemple le canton de Vaud, une maison individuelle moyenne y coûtait 1,59 million au 4e trimestre 2021, contre 1,72 million fin 2022. Sur la même période, le taux hypothécaire fixe à 10 ans est passé de 1,4% à 3,0%. Les coûts de financement annuels (intérêts et amortissement, sous l’hypothèse d’un prêt hypothécaire à taux fixe à hauteur de 80% de la maison) ont ainsi bondi de
33 800 CHF en 2021 à 58 700 CHF à la fin 2022, soit une hausse de plus de 70%!
Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que la demande pour le logement en propriété fléchisse. C’est ce que révèle l’analyse des abonnements de recherche pour des maisons individuelles, qui sont en nette baisse dans tous les cantons romands en janvier 2023, par rapport au même mois de l’année précédente. La contraction de la demande est la plus marquée dans les cantons de Genève et Vaud, où les prix des maisons et appartements sont les plus élevés. Le nombre d’abonnements de recherche a ainsi chuté de 22% pour les maisons individuelles et de 19% pour les appartements en PPE dans le canton de Vaud, et c’est même -30% pour les deux segments dans le canton de Genève.
Parallèlement, l’offre de logement en propriété s’étend: le nombre de de maisons individuelles annoncées au 4e trimestre 2022 a augmenté de plus de 30%, par rapport au même trimestre de 2021, dans les cantons de Genève et Fribourg, et de 25% dans le canton de Vaud. Malgré cette hausse, le taux de l’offre pour des villas reste encore faible dans le canton de Genève (4,5%) par rapport à la moyenne des autres cantons romands (5,6%).
L’élargissement de l’offre n’est pas lié à un élan de la construction, cette dernière étant en baisse dans la majorité des cantons romands. Il s’explique plutôt par l’intérêt de certains propriétaires et promoteurs à vendre leur bien le plus rapidement possible, de peur que les prix ne baissent à l’avenir. De plus, le nombre d’acquéreurs potentiels étant en baisse, les logements en vente voient leur durée d’insertion s’allonger.
Dans ce contexte, on peut s’attendre à ce que la période de hausse continue des prix de l’immobilier touche progressivement à sa fin. Cela se perçoit déjà dans l’évolution trimestrielle des prix: au 4e trimestre 2022, les prix ont stagné, voire légèrement reculé dans certains cantons par rapport au trimestre précédent. Le canton de Genève a par exemple enregistré une baisse de 0,7% du prix des appartements en PPE et de 0,1% pour les villas. Les prévisions pour 2023 ne prévoient que de faibles hausses de prix, ne dépassant pas le niveau de l’inflation.
Altlas des prix des appartements en PPE [CHF] – Canton de Genève.
Remarque: Le niveau des prix fait référence à la moyenne pondérée des prix communaux au 4e trimestre 2022 (pondération par le parc correspondant) pour les villas, PPE et locatifs.
Les évolutions correspondent aux taux de croissance pour les périodes de 2012 à 2022, de 2019 à 2022 et de 2021 à 2022.
Logements locatifs: la tension de marché s’intensifie
La situation sur le marché des logements locatifs devient de plus en plus tendue et contraste ainsi avec celle du logement en propriété. Le taux de l’offre des logements locatifs a baissé dans tous les cantons romands au cours des 12 derniers mois, avec la baisse la plus marquée dans le canton de Neuchâtel. Cette tension de marché grandissante s’explique premièrement par le ralentissement de l’activité de construction, que nous avons analysé lors de notre précédent article (voir Le Journal de l’Immobilier no 56, du 30 novembre 2022). La croissance dynamique de la population joue elle aussi un rôle primordial: la Suisse a en effet vu sa population augmenter d’environ 150 000 personnes en 2022, dont la moitié environ de résidents permanents. La population pourrait même dépasser la barre des 9 millions en 2023.
A cela s’ajoute le fait que les loyers du marché sont en général considérablement plus élevés que ceux des baux existants, ce qui fait qu’un déménagement peut occasionner une augmentation sensible des frais de logement. De nombreux ménages locataires restent ainsi dans des appartements qui ne sont plus adaptés à leurs besoins, car déménager n’est pas avantageux. C’est notamment le cas de grands appartements familiaux occupés par des ménages d’une ou deux personnes, ce qui intensifie la pénurie de ce type de logement. Finalement, les prix actuellement très élevés des logements en propriété rendent ceux-ci inabordables pour de nombreux ménages, qui doivent alors se contenter d’un logement locatif.
Si la pénurie de logements locatifs est particulièrement marquée dans les grands centres (Genève et Lausanne enregistrent un taux de l’offre de 2,9% et 3,6% au 4e trimestre 2022, bien en dessous de la moyenne nationale de 4,7%), elle touche aussi de plein fouet certaines communes touristiques. Les communes de Zermatt ou Saas Fee, par exemple, affichent un taux de l’offre encore plus faible que Genève ou Lausanne! Pour la population locale et les travailleurs saisonniers, trouver un logement adéquat peut donc se révéler difficile. C’est le ralentissement de l’activité de construction dans les communes touristiques qui est à la source du manque de logements locatifs. La loi sur les résidences secondaires (Lex Weber), adoptée en 2013, pourrait avoir contribué à ce ralentissement, d’après une récente étude de Wüest Partner.
La pénurie grandissante de logements locatifs a eu pour conséquence d’augmenter les loyers en Suisse romande en 2022 et la tendance devrait encore s’accentuer cette année, stimulée par l’inflation toujours élevée et la hausse probable du taux de référence hypothécaire. Pour 2023, Wüest Partner prévoit une hausse de loyer de 2,2% dans l’Arc lémanique (et même de 2,5% dans le canton de Genève), et de 1,2% en Suisse occidentale.
CORINNE DUBOIS
VINCENT CLAPASSON
WÜEST PARTNER
©WÜEST PARTNER/JOURNAL DE L’IMMOBILIER
GROS PLAN
Communes touristiques et résidences secondaires
Forte demande dans les communes touristiques
La demande de logement dans les communes touristiques suisses a nettement augmenté en 2022, signe d’un regain d’attractivité de ces dernières (figure 1). Une conjonction de plusieurs facteurs a entraîné cette tendance. C’est tout d’abord la numérisation croissante de l’économie et l’élargissement du télétravail qui ont attisé l’intérêt des acheteurs pour ces communes. Avec un emploi partiellement à distance, habiter une partie de l’année dans sa résidence secondaire devient possible. On observe aussi une certaine flexibilisation des horaires de travail, avec par exemple dans certaines entreprises la possibilité de concentrer un emploi à temps plein sur quatre jours seulement, ou encore la nouvelle tendance à la «workation», c’est-à-dire l’alliance de vacances et de télétravail dans un lieu de villégiature.
Ces changements reflètent une tendance sous-jacente plus générale d’un désir toujours plus marqué de mieux équilibrer travail et loisirs. En outre, de nombreuses familles suisses ont opté pour des vacances locales en 2020 et 2021 et ont ainsi eu l’occasion de découvrir les plus belles régions du pays, ce qui a pu les inciter à vouloir y retourner ou même à y acquérir une résidence secondaire. Des préoccupations écologiques peuvent elles aussi inciter la population à passer ses vacances en Suisse pour éviter les longs trajets et leur empreinte carbone. Finalement, l’accroissement du nombre de jours de canicule des dernières années a aussi accru l’attractivité des logements de vacances en montagne.
Les Suisses sont donc de plus en plus friands de tourisme local et cela ne s’observe pas seulement dans la demande pour des résidences secondaires. Les nuitées hôtelières de résidents suisses et celles dans des logements de vacances atteignent elles aussi des sommets en 2022.
L’offre de logement dans les communes touristiques reste toutefois très limitée, notamment en raison de la lenteur de l’activité de construction. Cette dernière a été largement entravée par les nombreuses réglementations en place, notamment la Lex Weber, mais aussi par la forte hausse des coûts de construction et des taux d’intérêt, qui rend les projets plus coûteux.
Figure 1: Variation relative du nombre d’abonnements de recherche (janvier 2022 comparé à janvier 2020)
Figure 2 (ci-dessus): Taux de l’offre (nombre de logements annoncés en pour-cent du stock de logements) et demandes de permis de construire dans les communes touristiques (appartements en PPE)
Figure 3: Indice des prix des transactions des résidences principales et secondaires, maisons individuelles (base 100 = 1er trimestre 2020).
Figure 4: Variation des prix des transactions des résidences secondaires (maisons individuelles).
Figure 5: Prix de transaction des appartements en PPE (quantiles; CHF par m2;
1er trimestre 2022).
Les prix des résidences secondaires ont progressé plus fortement que ceux des résidences principales
Dans ce contexte de forte demande et d’offre limitée, il n’est donc pas étonnant que les prix flambent. Entre 2020 et 2022, les prix des résidences secondaires ont augmenté de 22%, soit 4 points de plus que ceux des résidences principales. C’est par ailleurs dans le Valais que les prix des résidences secondaires ont le plus fortement augmenté en 2021 et 2022, alors que la baisse y avait été moins marquée en 2020 que la moyenne suisse (figure 4).
Les prix des résidences secondaires sont de façon générale supérieurs à ceux des résidences principales. L’écart va de 24% dans le Valais à 47% dans les Grisons (figure 5). Outre l’augmentation plus rapide ces dernières années des prix des résidences secondaires, cet écart est aussi dû au fait que ces dernières bénéficient en moyenne d’un standard d’aménagement plus élevé et d’un meilleur état. Les résidences secondaires sont par ailleurs plus souvent achetées dans les communes touristiques les plus prisées, où les prix sont globalement plus chers, ce d’autant plus qu’il n’y a pas d’obligation de se domicilier dans la commune.