/

Services d’entretien

«La lutte contre le travail au noir est notre cheval de bataille»

29 Mar 2023 | Carrière et formation

Il y a huit ans, Andreas Schollin-Borg créait Batmaid, une aventure entrepreneuriale qui a fait de cette société le leader suisse du ménage à domicile. Par ce biais, 4500 nettoyeurs/euses œuvrent dans notre pays. Batmaid n’est pas seulement une plate-forme de réservation en ligne de services de ménage pour des particuliers, mais un réel employeur. L’entreprise a connu une expansion considérable: romande à ses débuts, elle compte aujourd’hui quinze bureaux à travers l’Europe. Interview d’Andreas Schollin-Borg, fondateur et CEO de Batmaid.

– En Suisse, le travail au noir est un problème de taille, qui concerne 70 000 personnes, dont une forte proportion de main-d’œuvre étrangère. L’économie domestique souterraine représente près d’un milliard de francs par année, un montant qui échappe aux prestations sociales et à d’autres enjeux. Notre pays est-il à la traîne en termes d’incitations proposées aux particuliers afin qu’ils déclarent leur personnel de ménage?
– La Suisse a mis en place dans un premier temps la surveillance et le contrôle (généralement sur délation et sous forme d’amende), et finalement la déclaration simplifiée (qui réduit la charge de travail pour déclarer son employé). Dans le premier cas, il s’agit de répression basée sur la peur et pour la seconde d’un gain de temps relatif. Or, seule une incitation financière peut faire basculer la demande.
Si nous prenons des exemples européens comme la France, la Suède ou la Finlande, qui permettent de déduire 50% du montant de la prestation de nettoyage, on voit que cela a donné lieu à une réduction de 80% à 20% du travail au noir. Une telle politique permettrait en Suisse de faire passer les prestations effectuées au noir d’un milliard actuellement à 200 millions. La Belgique, de son côté, a mis en place un système de chèque qui encourage les particuliers à acheter des heures de nettoyage avec un abattement de 70%. Le résultat est que le travail au noir y est le plus bas d’Europe, autour de 15%.
Si la Suisse avait comme réel objectif de réduire le travail au noir, il faudrait mettre en œuvre des incitations financières. Celles-ci pourraient même être croissantes dans le cas des personnes âgées, afin de les maintenir le plus longtemps à domicile. L’effet induit serait une baisse des charges de l’Etat pour les EMS.

– La lutte contre le travail au noir est votre cheval de bataille. En ce sens, vous positionnez Batmaid comme un projet à la fois économique et social. Que faites-vous concrètement pour sortir de la précarité une partie de la population?
– Lorsque j’ai fondé Batmaid, j’ai commencé par suivre des cours de nettoyage. J’ai alors vite pris conscience que 100% de mon entourage travaillait au noir. Mais le plus frappant a été de réaliser que ces personnes, remplies de bonne volonté, partaient chaque matin la boule au ventre, avec la peur de travailler dans l’illégalité. C’est à partir de là que j’ai compris que les dimensions humaines et sociales seraient au cœur de notre engagement.
Pour répondre à votre question, je distinguerais la précarité du travail au noir. Lorsqu’une personne travaille au noir, elle va subir un dysfonctionnement social. Ne cotisant ni à l’AVS ni à la LPP, elle n’aura pas droit à une pleine retraite. Ce qui revient à dire que ces personnes devront continuer à travailler tant que leur forme physique le permettra. A cela s’ajoute l’absence de protection et de sécurité, car elles n’ont pas d’assurance accident et ne cotisent pas à l’assurance chômage. Dernièrement, nous avons aussi été confrontés à d’autres dures réalités: certaines personnes n’ont pas même été payées par leur employeur.
En revanche, la précarité signifie vivre en-dessous du seuil de pauvreté car les revenus ne sont pas suffisants. Cela peut être le cas pour des personnes qui souhaitent restreindre leur temps de travail.
Chez Batmaid, nous nous sommes engagés à nous adapter. Au 1er janvier, nous avons augmenté les salaires en moyenne de 4,5% à 7%, ce qui nous place au-dessus des conditions minimum de la CCT. Ainsi, nous soutenons nos agents de nettoyage dans une période difficile en termes de baisse du pouvoir d’achat lié à l’inflation. Nous les faisons également bénéficier d’avantages au travers de partenariats et de conditions de travail valorisantes. Nos limites sont dictées par le portefeuille de nos clients et leur seuil d’acceptabilité pour une valeur de prestation donnée.

– Vous vous attachez à sonder les tendances en matière de propreté. Quels changements d’habitudes avez-vous observés ces dernières années, notamment après la pandémie? De nouveaux besoins ont-ils émergé? Quelles sont les attentes qui distinguent les Suisses des autres populations? Y-a-t-il des disparités entre Romands et Alémaniques?
– En tant que première plate-forme de réservation de ménage en Suisse, avec quelque 4500 agents pour environ 100 000 clients, nous sommes bien placés pour observer les tendances. Un sondage conduit à la sortie de la pandémie révélait qu’un quart des Suisses avaient développé de nouvelles habitudes de ménage en augmentant, entre autres, la fréquence d’exécution des activités de nettoyage, au même titre que leur degré d’exigence de propreté de leur logement. Pour ce qui relève des disparités entre Romands et Alémaniques, un autre sondage révélait que les Romands étaient plus assidus en matière de nettoyage de leur réfrigérateur. Enfin, nous observons aussi depuis quelques temps un autre phénomène: celui de l’achat d’heures de ménage sous forme de bons cadeaux.

– Vous avez lancé en mars 2022 une vaste campagne de recrutement. Quelles difficultés rencontrez-vous à trouver les personnes adéquates? Selon quels critères sélectionnez-vous les candidats? Qu’est-ce qui qualifie un/e bon/ne «maid»?
– Notre première campagne de recrutement d’agents de ménage à l’échelle suisse nous a permis de pourvoir 700 postes sur un objectif initial de 1000. Mais confrontés à une demande soutenue et régulière, nous devons mettre les bouchées doubles. Cela est révélateur des changements d’habitudes des ménages, associés à une reprise de la mobilité ou encore à la fin du télétravail obligatoire. Afin d’attirer les meilleurs talents, nous cherchons à améliorer sans cesse nos conditions de travail. En ce qui concerne le recrutement, la confiance et l’expérience sont au cœur de notre processus. Nous évaluons soigneusement les références, les permis de travail et les casiers judiciaires, afin de nous assurer que nous sélectionnons les meilleurs candidats.

 

Propos recueillis par
Véronique Stein

Andreas Schollin-Borg.