«Les femmes apportent un regard précieux dans l’immobilier»

«L’assurance n’était pas une destinée, plaisante Céline Frey. J’avais fait un Master en finance à la City University de Londres et j’avais travaillé à New York dans une banque d’investissement, avant de rejoindre mon père au sein du groupe familial qu’il a fondé dans l’immobilier commercial et dans le vin. L’une de mes soeurs, Caroline, s’occupe des domaines de la famille à Bordeaux, en Bourgogne et dans la vallée du Rhône. Elle fait également son propre vin à Fully, en Valais. Quand je dis aux gens: le vin, c’est ma sœur; moi, c’est l’assurance, je sens parfois une petite déception», dit-elle avec humour.
L’assurance serait-elle moins glamour que le vin? Pas si sûr quand on entend l’enthousiasme avec lequel Céline Frey en parle, même si elle avoue: «L’assurance n’était pas une vocation, mais j’ai tout de suite vu le potentiel de l’entreprise et la valeur ajoutée que nous pouvions apporter. Enceinte de mon dernier fils à l’époque, je me suis impliquée à 150% pour apprendre rapidement les fondamentaux du métier. Le reste est venu naturellement».

Miser sur l’innovation

Suisse d’origine – son grand-père était originaire de Bâle -, Céline Frey grandit en France et s’installe en 2013 à Nyon, rejoignant sa famille installée dans le pays depuis de nombreuses années. «En 2013, nous avons eu l’opportunité de racheter Firstcaution. Au début, je pensais plutôt assumer le rôle de CEO par intérim, le temps de la restructuration. J’étais ravie de le faire, mais rien n’était encore défini pour l’avenir et j’occupais d’autres fonctions. Les débuts dans l’immobilier se sont très bien passés. D’abord, nous avions des connaissances solides en matière d’immobilier, mais surtout nous n’avons jamais prétendu arriver avec des certitudes. Les métiers en Suisse sont des institutions, notamment l’immobilier avec des acteurs très bien implantés. Nous avons porté un regard de compréhension avec l’envie de vouloir nous adapter. Chez Firstcaution, nous proposons un service pour les locataires et les bailleurs; donc notre première volonté a été de bien comprendre les besoins des acteurs du marché. Je passe toujours beaucoup de temps sur le terrain, c’est là que se trouve la vérité. Les idées ne naissent pas dans un bureau. J’ai très vite réalisé que le marché évoluait rapidement et que nous devions absolument être en avance sur les innovations. Malgré une croissance à deux chiffres, il ne fallait pas s’endormir sur nos acquis, au risque de devenir obsolètes. Nous sommes allés à la rencontre des acteurs du marché et avons fait la connaissance de gens formidables. J’ai beaucoup appris à leur contact. C’est comme cela que nous avons pu développer des solutions, avec toujours pour but de faciliter la garantie de loyer pour les locataires et les régies».
Très vite, Céline Frey se passionne pour ce métier, qui mêle technologie et contacts humains, et pour l’entreprise – «en être la CEO était une évidence» – dont elle orchestre le développement important avec aujourd’hui 90 000 clients, une équipe de 52 collaborateurs et une progression régulière.
Un succès que la femme chef d’entreprise explique par «l’équilibre subtil entre numérisation et personnalisation du service. Chez Firstcaution, on tend à l’automatisation de 80% des procédures, afin de pouvoir donner les 20% de valeur humaine aux tâches qui ne peuvent pas être automatisées. Je refuse de cacher un numéro de téléphone sur le site ou de remplacer le service client par une chatbox. Je dis toujours à mes collaborateurs que Firstcaution est une assurance numérique incarnée par des visages et des voix».

Formation sur le terrain

L’apprentissage de l’entreprenariat, Céline Frey l’a fait sur le terrain – «la méthode système D», dit-elle en riant – aux côtés de son père, «le meilleur maître d’école. La transmission a toujours été un élément important pour lui. Il m’a laissé des responsabilités, il a toujours été très présent, sans m’étouffer. C’est un guide. Il est toujours président du Conseil d’administration de Firstcaution et garde un regard très affuté. Nous échangeons beaucoup, c’est précieux pour moi».
Dynamique et peu patiente – «des fenêtres s’ouvrent sur le marché et elles ne vont pas nous attendre», précise-t-elle -, Céline Frey adore les moments de créativité en équipe. «On note toutes nos idées, sans limite à notre imagination. Beaucoup d’entre elles ne voient pas le jour, mais certaines oui. J’aime le développement de nouveaux produits, quand une idée prend vie. Les cycles sont très courts dans notre métier, on sait tout de suite si l’on se trompe ou pas. C’est nouveau pour moi qui vient du vin et de l’immobilier, où les cycles sont très longs. Je dis qu’il faut arriver à sortir une innovation par année. Nous devons être agiles et réactifs, c’est la clef pour durer dans un secteur en pleine évolution».
Mère de trois garçons – Gaspard, 16 ans, Hugo, 14 ans, et Leo, 7 ans -, Céline Frey est bien consciente de la difficulté de faire carrière même dans un secteur, l’immobilier, où les femmes sont nombreuses. «Les femmes restent confrontées à un choix entre vie de famille et ambition professionnelle, mais l’essor du télétravail post-pandémie va leur permettre de mieux concilier leurs obligations en faisant moins de concessions. Dans l’immobilier, je trouve que les femmes apportent vraiment un regard et une méthode précieuse et je n’ai pas le sentiment que les hommes leur ferment la porte. Nous sommes plutôt valorisées. Mais je pense que la base de tout reste le travail; il faut être légitime dans ce que l’on fait, c’est ce qui donne de l’aplomb pour jouer des coudes et s’imposer dans tous les environnements, même les plus machos! Mes parents m’ont donné le sens de l’effort et m’ont appris la valeur du travail. Je réalise aujourd’hui à quel point c’est un héritage important».
Les week-ends et les vacances, Céline Frey les consacre à ses enfants et au sport, qui a toujours été un pilier de sa famille. Cavalière de haut niveau, elle a troqué les terrains de concours pour les pistes de ski et les circuits automobiles, où ses garçons excellent en compétition.

Virginia Aubert