La résiliation n’est pas abusive si le projet de rénovation n’est pas manifestement incompatible avec les règles de droit public.

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La chronique juridique de Me Guillaume Barazzone - Travaux de rénovation et résiliation du bail

Le Tribunal fédéral précise les règles

30 Nov 2022 | Articles de Une

Dans un arrêt récent destiné à publication (4A_247/2021 du 4 mai 2022), le Tribunal fédéral a précisé et rappelé sa jurisprudence relative à la résiliation du bail donnée par le bailleur pour cause de travaux de rénovation. La résiliation n’est pas abusive si le projet de rénovation n’est pas manifestement incompatible avec les règles de droit public et si le bailleur dispose, au moment de la notification du congé, d’un projet suffisamment mûr et élaboré, permettant de déterminer concrètement que la présence du locataire durant les travaux entraverait leur exécution.

Les faits soumis à l’examen des tribunaux vaudois, puis du Tribunal fédéral, étaient les suivants. Un locataire avait conclu un contrat de bail pour un appartement de deux pièces au 3e étage d’un immeuble de logement. Le bail de durée indéterminée courait depuis 25 ans. Le bailleur a résilié le bail du locataire pour sa prochaine échéance, sans motiver le congé. Le motif de la résiliation a été allégué pour la première fois par le bailleur devant le Tribunal des baux vaudois (première instance cantonale). Il a allégué que l’appartement en question nécessitait une rénovation complète, ce qui excluait la présence du locataire dans les locaux.
Le bailleur a souligné que l’appartement se trouvait dans un état de vétusté et exposé que les travaux devaient consister en une réfection complète des revêtements des murs, des sols, de la salle de bains, de la cuisine et des installations électriques, ainsi qu’un remplacement des colonnes de chute. Les travaux projetés devaient durer de 45 à 60 jours. La présence du locataire dans les locaux pendant les travaux n’était pas envisageable, dans la mesure où il s’agissait de «désamianter» et de «tout casser».
Le Tribunal des baux a annulé le congé, au motif que le projet de rénovation n’apparaissait pas suffisamment vraisemblable, que ce soit sous l’angle de la réalité du projet des travaux, du caractère concret et actuel de celui-ci, ou de la nécessité du départ du locataire.
Sur appel du bailleur, le Tribunal cantonal vaudois (deuxième instance cantonale) a annulé le premier jugement et considéré que la résiliation du bail était valable. Le projet de rénovation était suffisamment mûr et élaboré et nécessitait le départ du locataire. Saisi d’un recours du locataire, le Tribunal fédéral a confirmé la validité du congé.
Cette affaire vaudoise a donné l’occasion à notre Haute Cour – dans un arrêt très complet – de préciser et rappeler les règles applicables en matière de congé-rénovation.

Principe: liberté contractuelle

Un bail de durée indéterminée (ce qui est le cas lorsqu’il contient une clause de reconduction tacite) peut être résilié pour sa prochaine échéance contractuelle prévue dans le bail, à condition de respecter le délai de congé stipulé.
En principe, le bailleur est libre de résilier le bail pour effectuer des travaux de transformation, de rénovation ou d’assainissement. Selon le Tribunal fédéral, le bailleur a un intérêt économique légitime à maintenir l’état de son immeuble, voire à l’améliorer et à effectuer des travaux dans les meilleurs délais et conditions économiques, de façon à améliorer le rendement de celui-ci. La décision sur la nature et l’étendue de la rénovation est donc exclusivement son affaire. Il n’est pas tenu d’attendre que les travaux deviennent urgents.

Limite: le congé doit être donné de bonne foi

La seule limite à la liberté contractuelle (et donc à la résiliation ordinaire du bail) découle des règles de la bonne foi: lorsque le bail porte sur une habitation ou un local commercial, le congé est annulable s’il est fondé sur un motif qui ne constitue qu’un prétexte.
Notre Haute Cour a rappelé que n’étaient pas contraires à la bonne foi (i) le congé qui entraînait des conséquences pénibles pour le locataire et/ou (ii) la situation dans laquelle l’intérêt du locataire au maintien du bail était plus important que celui du bailleur à ce qu’il prenne fin. Sauf en cas de disproportion crasse des intérêts respectifs du bailleur et du locataire, l’intérêt du bailleur prime. Une pesée des intérêts entre l’intérêt du bailleur à résilier le bail et du locataire à rester n’entre pas en ligne de compte.

Motivation de la résiliation

La motivation ne doit être donnée que si le locataire la demande et n’est pas une condition de la validité du congé. Elle n’a pas à être donnée dans les 30 jours suivant la réception du congé. Si le bailleur n’a pas fourni de motif, malgré la demande du locataire, il peut invoquer son motif au plus tard devant le Tribunal des baux et loyers de première instance.
L’absence de motivation ou une motivation lacunaire ne signifie pas nécessairement que la résiliation est contraire aux règles de la bonne foi. Toutefois, elle peut être un indice de l’absence d’intérêt digne de protection du bailleur à mettre fin au bail ou du fait que le motif invoqué n’est qu’un prétexte. Pour déterminer quel est le motif de congé et si ce motif est réel ou s’il n’est qu’un prétexte, les juges fédéraux rappellent qu’il faut se placer au moment où le congé a été notifié. Les faits survenus ultérieurement au congé ne sont pas pertinents; ils peuvent toutefois, dans certains cas, fournir un éclairage sur les intentions du bailleur au moment de la résiliation.

Un congé-rénovation peut être abusif si le locataire s’est engagé à quitter les locaux provisoirement pendant les travaux, en donnant des garanties.

Congé contraire à la bonne foi:
cas de figure

Le Tribunal fédéral considère qu’une résiliation est contraire aux règles de la bonne foi dans les cas de figure suivants:

Pas de réelle intention de procéder aux travaux
(i) Le bailleur n’a pas véritablement l’intention de réaliser les travaux envisagés.

Projet manifestement incompatible avec les règles de droit public
(ii) Le projet de rénovation est manifestement incompatible avec les règles du droit public (ou objectivement impossible). Il n’est cependant pas nécessaire que le bailleur ait déjà obtenu une autorisation administrative, ni même qu’il ait déposé une requête. Il faut pronostiquer si, au moment où le congé a été donné, la délivrance du permis de construire «paraissait de toute évidence exclue», ce qui pourrait être le cas à Genève si les travaux envisagés sont manifestement incompatibles avec les exigences de la Loi sur les démolitions, transformations et rénovations (LDTR). Par ailleurs, des événements postérieurs au congé, comme le refus d’autorisation, ne sont pas susceptibles de rendre le congé annulable. Enfin, le congé n’est pas contraire à la bonne foi si le projet initial doit être modifié pour pouvoir être approuvé par les autorités administratives.

Pas de projet concret
(iii) Le bailleur ne dispose pas d’un projet suffisamment mûr et élaboré (au moment de la notification du congé), qui permette de constater concrètement que la présence du locataire pendant les travaux retarderait leur exécution, autrement dit s’il est nécessaire qu’il quitte les locaux.
Le Tribunal fédéral rappelle que la ferme intention générale du bailleur de transformer son immeuble n’est pas suffisante. Le bailleur doit donc être en mesure de démontrer qu’au moment du congé, il avait un projet concret, en produisant des preuves écrites (par ex. études, plans, autres documents concernant des démarches administratives effectuées, etc.). A défaut, le congé est prématuré et abusif.
Le juge doit pouvoir se convaincre qu’il est nécessaire que le locataire quitte les locaux, parce que sa présence est propre à entraîner des complications, des coûts supplémentaires ou une prolongation de la durée des travaux. Par exemple, la réfection des peintures ou de travaux extérieurs, tels qu’une rénovation de la façade ou l’agrandissement d’un balcon, ne seront pas considérés comme suffisants.
En revanche, la résiliation donnée pour procéder à une rénovation comportant notamment des modifications dans la distribution des locaux, le remplacement des cuisines, des salles de bains et de l’ensemble des conduites, et le renouvellement des sols et revêtements muraux n’est pas abusive, car la présence du locataire durant ces travaux est de nature à entraîner un accroissement de la difficulté, du coût et de la durée de rénovation. C’est la solution que le Tribunal fédéral a retenu dans son arrêt destiné à publication (4A_247/2021).
Le congé n’est pas non plus abusif si la présence du locataire, possible durant les travaux, s’avère incompatible avec leur résultat. Par exemple, le bailleur entend réunir les locaux loués à d’autres et constituer une nouvelle surface destinée à faire l’objet d’un seul bail. Il en va de même, à notre avis, lors d’une résiliation donnée en vue d’un projet de démolition-reconstruction. La démolition du bâtiment ne peut en effet pas avoir lieu sans que le locataire quitte les locaux.

Quitter les locaux provisoirement pour éviter le congé?

Un congé-rénovation peut être abusif si le locataire s’est engagé à quitter les locaux provisoirement pendant les travaux, en donnant des garanties (par exemple la preuve de la solution trouvée pour le relogement provisoire). Selon le Tribunal fédéral, l’engagement du locataire de quitter les lieux doit être pris avant que la résiliation de bail lui soit signifiée (ATF 4A_127/2017). En pratique, il est souvent difficile pour le locataire de prendre cet engagement avant le congé, car ce dernier n’apprend l’existence des travaux qu’en même temps qu’il reçoit la résiliation. Ainsi, le locataire pourra contester valablement le congé uniquement s’il arrive à démontrer qu’au moment de la résiliation, le bailleur n’avait pas de projet de rénovation assez mûr et élaboré.

 

Guillaume Barazzone
Avocat associé, Etude Jacquemoud
Stanislas, Genève
guillaume.barazzone@jslegal.ch

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