Les larmes du saule pleureur sauveront-elles les marais?

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Noé voulait être au sec

16 Nov 2022 | Articles de Une

Méga-Congrès sur le climat global au bord de la Mer Rouge… mini-Congrès sur la nature humide au bord du Léman… qu’en penserait Noé, tenu de mettre ses bêtes à l’abri du déluge et du désert?

Les médias ont parlé à foison de ce qui s’était dit ces jours en Egypte sur le grand problème du temps… propos sans doute déjà ressortis de la tête du public par l’autre oreille. C’est la loi du genre, et ce n’est pas faute de savoir ni de vouloir… comme on a pu le voir au congrès cadet de Genève sur les «zones humides». Chaque année, à eux seuls, «les étudiants chinois écrivent des articles sur les «wetlands» par milliers». Pourquoi «chinois», d’ailleurs… c’est la faute à Wuhan comme on va le voir.

Mais où est donc passé l’étang?

La quantité d’eau sur Terre ne change guère au fil des siècles: hormis quand l’idylle de l’hydrogène et de l’oxygène est mise à mal par des électrons jaloux, l’eau est toujours là: dans les fleuves, dans les lacs, dans les mers, dans le sol ou dans l’air. Pourtant, des milliards d’oiseaux, de poissons, de tortues… de lotus et de cressons… n’ont que les larmes des saules pleureurs pour pleurer avant de rendre l’âme… chassés par le drainage, l’industrie, l’agriculture ou les banlieues. Ce tableau poétique (même s’il est tragique) est hélas! masqué par les sigles et acronymes qui peuplent l’imaginaire des milieux patentés. Un journaliste – surtout accrédité auprès des Nations Unies – est sans cesse bombardé de termes bizarres dont «COP» est un des plus fréquents. Et comme les «COP» ont des numéros à deux chiffres, on court derrière sans même avoir le temps de chercher ce que «COP» veut dire. Ce mois s’est donc tenu une «COP 27» de deux semaines adoubée par l’«UNFCCC», et dans son ombre à Genève, une «COP 14» d’une semaine. A force de colloques et de lecture, on finit par avoir un soupçon: «COP» ne voudrait-il pas dire «Conference of parties»? Certes, mais on n’est guère plus avancé: l’expression n’est pas une marque déposée, et en ligne, on trouve plusieurs types de «Conférence des parties». Mais en général, elle désigne des conventions sur le climat en marge des Nations Unies, et dont les Etats signataires se réunissent chaque année… à Bonn où siège le secrétariat… ou dans un pays hôte. Cette année, en Egypte pour la «COP 27» et à Genève pour la «COP 14». A Genève faute de Chine, car à l’origine, la «COP 14» devait avoir lieu à Wuhan; mais la politique «zéro Covid» du pays n’a pas permis la chose. Rappelons que Wuhan – rendue célèbre par la Covid – connut déjà la gloire des lettres un siècle plus tôt: c’est la ville dont parle André Malraux dans «La condition humaine». L’eau y est si présente que – à l’époque – les quartiers de part et d’autre du Fleuve Bleu formaient trois villes distinctes. Bref, la «COP 14» protège les «zones humides», tandis que la «COP 27» s’affaire autour du climat sous tous les angles. Pourquoi les numéros ne se suivent pas… je ne le sais pas encore: ces congrès sont assez repliés sur eux-mêmes… les délégués semblent nés avec leur propre langue… qu’ils ne savent trop traduire. Malgré tout, «UNFCCC» est démasquée: c’est la «Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques». Mais pour la «COP 14», les messages reçus du secrétariat sont au nom de «RAMSAR»: un sigle de plus? Non, une ville de la Caspienne. A première vue, on croit à un simple synonyme, mais c’est bien à Ramsar que fut signée – en 1971 donc dans l’ancien Iran – ladite Convention pour protéger les zones humides… qui rime aussi avec le programme «MAR», traitant de mers et mares.

Les «noms d’oiseaux» au Musée des antiquités

Tout cela n’empêche que, de jour en jour, le visiteur du congrès se pique au jeu et trouve, en fin de compte dans ces pièces de Lego, plein de portes et de fenêtres. «A la «COP 27» de Sharm-el-Sheikh, on parle principes… qui ne seront jamais mis en œuvre… ici on est les pieds sur terre, ou du moins sur l’eau»: ce sentiment a été confirmé par un expert blasé. Car c’est souvent dans les couloirs qu’on apprend foule de choses de gens de terrain… comme sur les deltas intérieurs du Soudan, pays à l’ambiance citoyenne fluctuante. «On y trouve des gens très dévoués à la cause… d’autres qui sont d’affreux profiteurs… mais ce qui nous a frappé(e)s, c’est que quand le général Bachir a été inculpé par le Tribunal pénal international, tous l’ont pris pour une gifle à leur pays». Mais comme le «Haut commissaire aux droits de l’homme» s’occupe du Soudan cette semaine, on ne va pas faire de la politique à sa place. Mieux vaut se pencher ici sur la politique éducative: à la séance sur la promotion des zones humides dans les programmes scolaires, on a vu nombre de Coréens et de Chinois, mais personne de notre Département de l’instruction publique: les torts sont sans doute partagés. Mais qu’importe le pays, pourvu qu’on ait l’ivresse: la vraie question ne serait-elle pas la suivante? «Les programmes scolaires sont pleins à ras bord… le climat y occupe déjà une place croissante… peut-on encore forcer la dose pour les zones humides?». Avec en prime cette autre question: jadis, il y avait un aquarium avec des têtards dans chaque classe d’école, et observer les oiseaux était une routine chez les jeunes, à commencer par les «Louveteaux». Réponse des pédagogues coréens: «C’est vrai… mais l’urbanisation a coupé la population de la nature… on doit reprendre les choses à la racine».

Le marchand de sable berce les enfants

On l’a dit plus haut… cet article n’est pas un compte rendu des deux congrès (dont le soussigné n’a suivi en direct que celui de Genève): on trouve en ou hors ligne des textes, des discours, des films… à n’en plus finir (les rapports sur les tortues à eux seuls peuvent remplir un sac). C’est juste un coup d’œil par le trou de la serrure, pour voir ces experts dévoués mais otage d’un rôle… sans espoir. «L’ennemi des oiseaux, de nos jours, ce n’est plus le chasseur, mais le fermier!»; mais les humains peuvent-ils se nourrir avec moins de terre? Pas facile, à entendre un délégué d’Australie, «dans mon pays aride, agriculteurs et écologistes tentent tous deux de tirer la couverture à eux». Autre impasse… le sable… qui permet d’accuser les cimentiers… mais qui cache des questions pièges: vient-il surtout du ressac marin ou de l’érosion fluviale… quelle part des fonds marins est-elle couverte de sable… le silicium n’est-il pas un élément courant… et le secteur privé viole-t-il les normes publiques? L’expert du séminaire hésite sur tous ces points, mais conclut que les contrats avec les pouvoirs publics suivent le faux modèle: «Le sable ne doit pas être géré comme le cuivre ou la houille… mais comme l’eau!». Pourtant les services de l’eau sont attaqués de tous les côtés avec des avis contraires au nom du droit de boire… alors grâce soit rendue à la «COP 14» d’avoir aidé le journaliste à se poser toutes ces questions sans réponse.

 

Boris Engelson

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