Immeuble d’habitation dans le nouveau quartier des Sciers à Plan-les-Ouates, réalisé en pierre massive.

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Séminaire «Immobilier et énergie» de Wüest Partner

En route vers le zéro net!

16 Nov 2022 | Articles de Une

Les investisseurs institutionnels, en tant que grands propriétaires immobiliers, jouent un rôle essentiel dans la réalisation des objectifs de la stratégie énergétique. Wüest Partner organise depuis 2018, avec le soutien d’Energie Suisse et à l’intention de ce groupe cible, une série de manifestations spécialisées d’une demi-journée, au cours desquelles des experts échangent sur le thème «Immobilier et énergie». Cette année, les intervenants ont axé leurs présentations sur le concept de «zéro émission nette», l’économie circulaire, l’énergie grise et le réemploi.

La Suisse émet annuellement près de 50 millions de tonnes d’équivalent CO2 de gaz à effet de serre (GES). La seule construction en génère de 40% à 50%, dont 24% sont liés à la consommation d’énergie pour le chauffage/ventilation, l’eau chaude, l’éclairage et autres services techniques (énergie «opérationnelle»). Les 16% restants correspondent à l’énergie grise, notamment pour la construction des bâtiments et les chaînes d’approvisionnement des matériaux (énergie «embarquée»). En effet, la production de béton armé, ainsi que la fabrication de matériaux de construction tels que l’acier, le verre et l’aluminium génèrent de grandes quantités de CO2. Ainsi, avant même d’être exploitée, une construction a déjà une empreinte carbone. Depuis les années 2000, en mettant l’accent sur l’énergie opérationnelle, des progrès normatifs et techniques ont permis d’obtenir des bâtiments quasiment neutres au niveau de leur exploitation. Le débat se situe aujourd’hui autour de l’énergie grise: à ce jour, on note encore peu de progrès dans ce domaine.

Du CO2 en exploitation
à l’intégration des dimensions
de durabilité

Wüest Partner, connu pour son expertise dans le domaine immobilier, est aussi actif depuis de nombreuses années dans la durabilité. Selon un sondage conduit par cette société en 2021, plus de 50% des investisseurs déclarent s’être fixé des objectifs de durabilité en phase d’acquisition. Plus de 50% de ces objectifs concernent l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables, alors que ceux relatifs à l’énergie grise n’atteignent pas la barre des 20%. Mikaël Genty (Vaudoise Assurance) a reflété le point de vue des investisseurs institutionnels: la durabilité, si elle était secondaire en 2014, est devenue aujourd’hui un thème et un axe stratégique essentiels. En ce sens, la Vaudoise poursuit des engagements forts dans le but de réduire la part carbonée de ses bâtiments d’ici 2030.
Si la baisse des émissions de CO2 était le point de départ, de nombreux paramètres (environnementaux, sociaux, économiques et de gouvernance) sont venus s’ajouter, donnant lieu à une stratégie de durabilité globale. Le représentant de la Vaudoise souligne que l’ensemble du portefeuille immobilier de l’assurance est passé au crible du Certificat énergétique cantonal des bâtiments (CECB®), un outil qui permet d’établir un bilan et une planification annuels. Quant aux labels Minergie Eco, sites 2000 Watts, Energo Start et SNBS, ils offrent un cadre de référence standardisé et multicritères, représentant un moyen de comparaison/contrôle pertinent.

Le photovoltaïque, un gisement à exploiter

Claire Gabarrou (Romande Energie) enchaîne en insistant sur l’important potentiel du photovoltaïque pour la production de l’énergie: «Si l’on équipait toutes les toitures et façades propices de Suisse, nous aurions la capacité de produire l’équivalent de la consommation annuelle d’électricité de notre pays», affirme-t-elle. Sa présentation, claire et fondée sur un cas pratique, a permis de répondre à nombre de questions que se posaient les investisseurs institutionnels présents dans la salle. Comment procéder pour installer des panneaux solaires photovoltaïques, à qui profitent-t-ils, combien cela coûte-t-il? La solution photovoltaïque est un levier d’action particulièrement intéressant dans le contexte actuel de pénurie et de hausse des prix de l’énergie. Le mécanisme est simple: il permet de produire de l’électricité et de la consommer localement, sans transition par le réseau électrique. L’éventuel surplus de production est injecté sur le réseau et consommé ailleurs. A contrario, lorsque la production est insuffisante, l’électricité est soutirée du réseau.
Pour maximiser la consommation propre collective (au sein de l’immeuble), Claire Gabarrou évoque deux modèles disponibles en Suisse, soit la Communauté d’autoconsommation (CA) et le Regroupement de consommation propre (RCP). Le «contracting» est aussi un moyen de consommer de l’énergie locale: un contracteur – autre que le propriétaire – réalise, finance et gère l’installation solaire, en valorisant l’électricité notamment auprès des habitants, à un prix compétitif. Claire Gabarrou encourage les investisseurs à déployer une stratégie à l’échelle de leur parc immobilier, plutôt que de manière ponctuelle. Par ailleurs, elle relève – en se basant sur un calcul effectué par Swissolar – qu’en un an et demi, les panneaux auront produit l’énergie nécessaire à leur construction, maintenance, démantèlement et recyclage. «Durant son exploitation (soit une trentaine d’années), la centrale photovoltaïque n’engendre aucune pollution ni impact sur l’environnement; ainsi, des tonnes de CO2 sont évitées», ajoute l’intervenante au séminaire, qui insiste également sur le retour net sur investissement (en une quinzaine d’années, selon l’exemple cité) et les économies d’électricité engendrées. Cependant, comme le relèvent les participants, la protection du patrimoine est un obstacle majeur au déploiement du photovoltaïque en Suisse, avec des procédures d’autorisation complexes et des exigences techniques lourdes. La question des tarifs de rachat pour le courant injecté – dont la volatilité constitue un frein pour de potentiels investissements – est également soulevée par l’audience.

La pierre massive redécouverte

L’importance du cycle de vie des bâtiments
La construction en pierre ouvre le débat sur le cycle de vie du bâtiment, de la carrière à la réalisation, en passant par le transport. Le processus se veut simple et permet une maîtrise des différents maillons de la chaîne. Deux bâtiments dans le nouveau quartier des Sciers à Plan-les-Ouates constituent la première réalisation helvétique – depuis des décennies – en pierre massive dédiée à de l’habitation collective. Ce projet issu d’un concours d’architecture, l’Atelier Archiplein l’a inscrit dans un contexte légal contraignant (zone de développement). «Notre parti pris a été de démontrer la faisabilité économique et constructive de logements en pierre massive dans le contexte suisse, indique Marlène Leroux, associée et fondatrice, avec Francis Jacquier, de l’agence Archiplein. Ainsi, le surcoût engendré par l’usage de la pierre massive a été compensé par d’autres éléments: le budget total est identique aux constructions soumises à une réglementation équivalente, qu’elles soient construites en béton, en briques ou en bois».
Ce type de construction soulève la question de la ressource, la filière de la pierre à bâtir ayant été passablement démantelée en Suisse. Ainsi, les porteurs du projet de Plan-les-Ouates ont été contraints de rechercher des carrières plus lointaines, situées dans un rayon de 500 km. Le bureau Archiplein est sur le point de livrer un second bâtiment en pierre massive à la rue de la Coulouvrenière à Genève. Des écobilans comparatifs, pierre versus béton, restent encore à établir. Mais quoi qu’il en soit, «la pierre a une qualité culturelle, elle nous rassemble et contribue à notre bien-être collectif, poursuit Marlène Leroux. Ce matériau offre des nuances, des rugosités, des sensations de fraîcheur qui n’entrent dans aucune équation chiffrée».

 Le «Local Environment» à Meyrin, un bon exemple de réemploi.

Le réemploi ou l’usage des
ressources disponibles

La production (chantier) et la démolition des constructions tendent à engendrer comparativement plus d’émissions de carbone que durant leur exploitation. Les déchets provenant de ces deux phases abondent et si tout est théoriquement recyclable, cela représente encore aujourd’hui un coût économique et écologique. Alors pourquoi ne pas réemployer les structures et systèmes des bâtiments plusieurs fois à travers les siècles? C’est ce que prône le modèle circulaire, appliqué à l’industrie de la construction. Par ordre de priorité, l’économie circulaire préfère l’utilisation prolongée des bâtiments existants par leur bon entretien et l’intensification des usages en leur sein. Lorsqu’une transformation, démolition ou construction s’avère inévitable, le projet circulaire soutiendra un réemploi des composants, en les extrayant des bâtiments «donneurs» pour les insérer dans les bâtiments «receveurs».
Cependant, pour aller de l’avant avec la construction durable et expérimenter des projets de réemploi, il faut à la fois un maître d’ouvrage engagé et un bureau d’architectes compétent dans ce domaine. La Ville de Meyrin/GE se distingue, depuis le milieu des années 2000, par ses réalisations durables: logements abordables et coopératives dans l’écoquartier des Vergers, école des Vergers en structure mixte béton-bois labellisée Minergie-Eco, et plus récemment, projets innovants de réemploi. En collaboration avec le bureau FAZ architectes, cette Municipalité a mené un projet pilote portant sur les Halles de machines au Jardin Alpin. Des dalles provenant de chantiers de démolition – pour une grande part du Théâtre de Carouge, ont été récupérées. Ainsi, 120 tonnes de béton ont été découpées, puis amenées sur place; les gaz à effet de serre qui en découlent proviennent uniquement du transport des matériaux. «Nous n’inventons rien, il s’agit plutôt de ressaisir des savoir-faire ancestraux pour les mettre au service des constructions d’aujourd’hui», insiste Véronique Favre, co-fondatrice et associée de FAZ Architectes.
L’exercice a été reconduit pour la construction de «Local Environnement» au stade des Arbères (Meyrin), un bâtiment comprenant un garage et des ateliers au rez-de-chaussée, un réfectoire et des vestiaires au premier niveau. Le projet se devait d’appliquer les principes de l’écoconstruction au gros œuvre: «sans colle, ni clous, en bois massif, un bâtiment le plus écologiquement engagé possible» (extrait du cahier des charges du concours d’architecture). Pour le bureau FAZ, le défi a résidé dans l’emploi des ressources du territoire: béton de réemploi, structure en bois massif, cloisons de terre crue de production locale et isolation en fibres de bois, complétée par des panneaux de liège en façade. Ce travail a exigé la collecte de «déchets» de chantiers de démolition ou de transformation situés à moins de 15 km du nouveau bâtiment; ainsi, des dalles proviennent de Confédération Centre, en travaux à ce moment-là. Au sol a été intégré l’«Opus Circulaire», un grand disque en béton qui provient de la Rasude à la gare de Lausanne (projet des architectes-artistes Héloïse Gailing et Mark Rickling). «Le réemploi permet de maintenir la mémoire des lieux, de raconter les usages précédents», ajoute Véronique Favre.
Célia Küpfer (Structural Xploration Lab à l’EPFL) montre que dans les résultats globaux, la dalle en béton de réemploi – telle que proposée par FAZ – réduira de près de 80% l’empreinte carbone, en comparaison avec une alternative conventionnelle. En termes de coûts, cette réalisation est également convaincante: le prix est équivalent, voire inférieur à un projet en béton recyclé. Ces projets expérimentaux devraient être reconduits à une plus grande échelle, «une émulation et des exemples qui vont rayonner dans la commune», s’enthousiasme Jakob Schemel, architecte et chef de projet à Meyrin.

Le long chemin vers la durabilité

Tout investisseur serait tenté de croire que ce qui améliore la durabilité n’est qu’une charge financière impactant négativement la rentabilité de son portefeuille. Cependant, les réglementations se multiplient, surtout au niveau cantonal, concernant aussi bien les méthodes de chauffage que l’isolation ou l’empreinte carbone. Les propriétaires ne pourront bientôt plus échapper aux investissements de rénovation énergétique. Il vaut donc mieux ne pas attendre le dernier moment. Anticiper permet de mettre en place une stratégie plus efficace, et à terme moins coûteuse. D’autre part, surtout pour les acteurs de l’investissement indirect, que ce soient des fonds, des sociétés cotées ou des fondations, il est de plus en plus difficile de convaincre des investisseurs – en particulier institutionnels ou internationaux, si le portefeuille immobilier ne respecte pas certains critères de durabilité.
En clôture du séminaire, Jonathan Martin (Edmond de Rothschild REIM Suisse SA) et Mikaël Genty (Vaudoise Assurance) ont montré que le principal argument en faveur de la durabilité restait la différenciation: alors qu’autrefois c’était la qualité des immeubles, leur localisation et le rendement qui primaient; le degré de durabilité figure désormais sur le haut des indices d’investissement. Ils relèvent toutefois des freins, tels que le coût des installations, le manque d’impact et de rentabilité à court terme, la complexité, ainsi que des ressources et compétences qui font souvent défaut. Par ailleurs, les deux intervenants soulignent que, dans les marchés financiers actuels, la question de l’énergie grise est peu (voire pas) prise en compte. Rendez-vous en 2023, à la prochaine rencontre «Immobilier et énergie», pour savoir si des conclusions plus optimistes peuvent être faites à ce sujet!

 

Véronique Stein

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