Agni, ici dans son atelier, veut insuffler de la poésie aux immeubles de la région.

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Art

Agni humanise les constructions

2 Nov 2022 | Culture, histoire, philosophie

Souffler de l’onirique dans les entrées d’immeubles, Antoine Piron-Meyer, alias Agni, s’y est attaché depuis les années 1980. Cofondateur du groupe Vaisseau dont il est aujourd’hui le seul artiste plasticien à bord, il revient à la peinture murale qu’il propose aux propriétaires immobiliers de l’Arc lémanique. Rencontre à Saubraz/VD avec ce personnage singulier dont la demeure labyrinthique invite à découvrir quelque 500 de ses œuvres, témoins de son inconditionnelle admiration pour Jérôme Bosch.

Un dédale de personnages, de symboles et de détails. Peinture à l’huile d’Antoine Piron-Meyer, dit Agni.

«On se sent bien à longer un vieux mur de pierre un peu moussu. Il n’est pas besoin qu’on s’y attarde pour qu’il vous transmette un sentiment de bien-être»: c’est ainsi qu’Agni évoque son projet d’inspirer un parfum de bonheur dans les entrées d’immeubles souvent sans âme. «Je propose des œuvres acryliques plus géométriques que figuratives, pas de portraits, sigles ou écritures, afin de respecter les idées et croyances de chacun». Des envolées de couleurs, signées ou non, dont on peut imaginer l’après, sachant que l’artiste plasticien entend renoncer à son droit d’auteur laissant le libre choix au propriétaire de l’immeuble de les modifier ou de les effacer. «Je forme aussi ceux qui veulent collaborer avec moi à l’exécution». Fondée sur une esquisse préalable, l’œuvre intègre un soubassement en crépi et une petite moulure en plâtre qui fait le lien avec la peinture, ce qui permet la réfection aisée d’éventuelles salissures.
Adressée aux intéressés dans tout l’Arc lémanique, sa proposition rejoint un pan de sa féconde production en la matière. Alors professeur aux Beaux-Arts, à Genève, il a porté l’art sur les murs avec le groupe Vaisseau, qu’il a cofondé en 1979. Du béton anonyme qu’il anime dans le respect de l’architecture aux décors dans les entrées et montées d’immeubles, en passant par les fresques réalisées pour des privés, tel l’Hôtel de la Cigogne, à Longemalle (Genève), l’artiste réalisera avec Vaisseau plus de 200 peintures murales dans la cité de Calvin, en Suisse et en Europe, en quelque trente ans. En 1990, Agni crée un atelier urbain, toujours actif, à Pula, en Croatie. En 1996, il dirige la création d’une peinture murale de 125 m2 dans la Bibliothèque nationale de Russie à Saint-Pétersbourg. Il a aussi conduit le courant d’objets urbains «rhéokaliphores», mot composé de trois racines grecques signifiant «porteurs de bon courant», dont il perpétue aujourd’hui l’esprit à travers de petites bornes sculptées destinées à l’espace privé.

L’exposition insolite

Infatigable, le peintre qui a beaucoup œuvré en son temps pour l’intégration d’espaces artistiques aux Halles, n’a cessé, parallèlement à ses multiples engagements, de s’adonner à sa propre production. Une œuvre riche, comme en atteste les cinq cents œuvres qu’il expose dans sa maison, au cœur de sa vie intime, loin des galeries aseptisées. C’est à Saubraz, petit village vaudois de 400 habitants près de Morges, qu’il réside depuis une vingtaine d’années. C’est ici, depuis l’été dernier, qu’il invite les visiteurs chaque dernier dimanche du mois. Il suffit de grimper l’escalier caché par la vigne pour atteindre la petite terrasse ornée de «rhéokaliphores» qui donne accès à la cuisine. S’ensuit un cheminement labyrinthique à travers l’étonnante demeure, où l’art côtoie le banal du quotidien dans les moindres recoins, jusque dans la chambre à coucher. Chaque pièce est dédiée à une facette de sa création. Esquisses, estampes, lavis, dessins à la plume, aquarelles sur papier journal, petites sculptures peintes qui transforment des objets recyclés et surtout peintures à l’huile, qui ponctuent le parcours vers l’atelier du peintre, tout en haut, dans la lumière.
Un art inspiré de Jérôme Bosch, ce surréaliste avant la lettre qui a conquis Agni dès ses premières œuvres d’adolescent. Les huiles qu’il présente entraînent le visiteur dans des dédales peuplés de personnages singuliers, de symboles, de détails à profusion. La liberté des signes apparaît d’autant plus grande qu’elle semble réglée par l’ordre caché à la croisée de la conscience et des profondeurs de l’inconscient. «Je vis hors des religions et des idéologies. Ce qui m’intéresse, c’est l’amour universel, nous glisse l’artiste de 84 ans. A la fin de la visite, on redescend dans la cuisine. On choisit un dessin qu’il vous dédicacera, parmi les quatorze numestampes (estampes numériques). Il y a à boire. Agni ne va pas pousser à la vente, même s’il aimerait bien que chacun emporte une œuvre, aussi modeste soit-elle. «Les visites sont l’occasion de belles rencontres». La lumière est douce dans le jour qui s’éclipse. Merci, Monsieur Agni, pour ce beau moment.

 

Viviane Scaramiglia

Antoine Piron-Meyer, dit Agni
Place du Village 6 – 1189 Saubraz/VD
Visites tous les derniers dimanches du mois, de 12 à 18 heures.
www.agni-peintre.com