Taux d’intérêt
Lancer de nouveaux fonds immobiliers va devenir plus compliqué
Avec la hausse des taux d’intérêt, qui n’est désormais plus une hypothèse mais une réalité, les fonds immobiliers vont attirer moins de capitaux, et la qualité des managers fera vraiment la différence. Cela dit, le marché ne va pas s’effondrer.
L’environnement économique est en train de changer à toute vitesse, les taux d’intérêt s’envolent et l’on parle d’une possible récession. Avec quelles conséquences pour les fonds immobiliers? L’analyse de Laurent Clauzet, portfolio manager chez BCGE Asset Management, qui, comme responsable d’un fonds de fonds immobiliers, possède une bonne vue d’ensemble sur tout l’immobilier indirect suisse.
– Laurent Clauzet, vous avez deux fonds de fonds immobiliers à la BCGE, ça ne vous intéresserait pas de lancer un véritable fonds, avec un parc immobilier géré en direct?
– C’est au responsable de l’asset management de la banque qu’il faut poser la question! Plus sérieusement, il s’agit de deux métiers différents, nécessitant des compétences distinctes. Aujourd’hui, nous préférons proposer à nos clients une liste de recommandations, ainsi que notre fonds de fonds, diversifié géographiquement et sectoriellement.
– C’est vrai qu’il est peut-être un peu tard pour se lancer, avec la hausse récente des taux d’intérêt?
– Effectivement, le contexte a changé, les taux remontent, et il va être plus compliqué de lancer de nouveaux fonds immobiliers que par le passé. Nous allons probablement constater un ralentissement de l’afflux des capitaux dans l’immobilier titrisé, avec comme probable conséquence une diminution du nombre de nouveaux véhicules et moins d’augmentations de capital.
– S’approche-t-on du fameux retournement de tendance que redoute tout le secteur?
– Même si les taux remontent encore, l’immobilier demeure un actif recherché, qui garde ses atouts traditionnels: revenu stable, protection contre l’inflation, décorrélation avec les autres classes d’actifs. En revanche, comme je l’ai dit, il sera sans doute plus difficile de convaincre certains investisseurs. Ce qui n’est d’ailleurs pas forcément une mauvaise chose, car cela va générer plus de concurrence entre les fonds et leurs gérants, qui devront démontrer leur talent et les qualités de leur portefeuille.
– Quels sont les talents d’un bon directeur de fonds immobilier?
– Il faut bien connaître tous ses immeubles – leur état actuel, leur consommation énergétique, les besoins de rénovation, le potentiel d’amélioration, etc. – et avoir une vision à long terme pour maintenir, voire augmenter leur valeur. Ce n’est pas pour rien que les fonds qui ont aujourd’hui les agios les plus élevés sont aussi les plus anciens, lancés il y a 30 ou 40 ans. Ils ont prouvé qu’ils savaient créer de la valeur sur le long terme. Il faut aussi que le gestionnaire ait un bon réseau, car il sera toujours plus important d’acheter les immeubles au bon endroit et au bon prix.
– Vous n’avez pas vraiment répondu à ma question. Est-ce qu’on arrive au retournement de tendance?
– Je n’ai pas de boule de cristal. Ce que je sais c’est qu’il y a deux mondes différents dans l’immobilier. Le premier, c’est l’immobilier titrisé et coté, qui a l’avantage d’être liquide mais aussi volatil, dans un marché qui a souvent tendance à suranticiper, que ce soit à la hausse comme à la baisse. On l’a vu ces derniers mois, avec des agios qui ont grossi de manière démesurée, et on le constate aujourd’hui avec des baisses qui sont peut-être un peu trop importantes. Et puis il y a le
deuxième monde immobilier, celui de la pierre, et de ce côté-là, on ne sent pas de panique, malgré la hausse des taux. Au contraire, les prix de l’immobilier continuent de grimper.
– Une tendance qui va perdurer?
– Sur le marché des transactions, la demande est toujours supérieure à l’offre, donc je pense que oui. Mais il devrait y avoir un atterrissage en douceur. En tout cas, je ne vois pas de scénario catastrophe à l’horizon pour l’immobilier.
– Pour certains investisseurs, la correction entraînée par la hausse des taux est plutôt bienvenue; elle permettra de réduire des agios qui avaient gonflé ces dernières années.
– On ne peut pas leur donner complètement tort. L’été dernier, la moyenne des agios des fonds cotés était montée à 46%. C’est vraiment beaucoup. Je pense que ce niveau va redescendre durablement à sa moyenne historique, c’est-à-dire entre 15% et 25%.
– Cela va quand même provoquer des pertes pour les investisseurs…
– L’intérêt de l’investissement dans l’immobilier indirect ne réside pas dans les gains boursiers, mais dans les dividendes versés chaque année. Et comme ces dividendes découlent des loyers, ils vont rester stables. C’est cela que recherchent les investisseurs: une performance stable sur le long terme, pas de la spéculation en Bourse.
– Certains analystes estiment qu’avec la hausse des taux, la différence de prix va s’accentuer entre les immeubles ESG et les passoires énergétiques. Est-ce aussi votre avis?
– Il est évident que les investisseurs vont analyser avec plus d’attention la durabilité des parcs immobiliers. Mais cela ne veut pas dire qu’il faille uniquement miser sur du neuf et renoncer à acheter des fonds qui ont un parc plus ancien. Ce qui compte, c’est leur politique de rénovation. D’ailleurs, quand on s’intéresse au rendement, on constate qu’il peut être plus intéressant d’acheter bon marché un immeuble ancien et le rénover que d’acquérir cher un immeuble neuf.
– Donc quand on investit, l’âge moyen du parc immobilier n’est pas le seul critère de sélection.
– Non, comme je l’ai dit, ce qui compte, c’est la stratégie de rénovation énergétique, quels sont les montants investis, à quel rythme, avec quels objectifs. C’est aussi un indicateur de la qualité du gestionnaire du fonds: voir s’il arrive à créer de la valeur avec un parc existant.