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Le tour du monde de Georges Anson

Un «best-seller» du XVIIIe siècle

31 Août 2022 | Culture, histoire, philosophie

Un périple maritime de près de quatre ans, un retour triomphal avec des cales remplies d’un fabuleux trésor, voilà de quoi faire rêver! Pourtant, ce tour du monde ne fut qu’une succession de souffrances et de tragédies.

C’est en 1748 que parut «Voyage autour du monde fait dans les années 1740,41,42,43 et 44 par Georges Anson»*. Ce livre, qui connut un immense succès, fut réédité à de nombreuses reprises et traduit dans plusieurs langues. Engagé dans la marine à l’âge de quinze ans, Anson (1697-1762) fut promu capitaine de frégate en 1724. Seize ans après, on lui confia le Centurion, vaisseau de 1021 tonneaux et de 60 canons. Les années passèrent et, en 1739, l’Angleterre se retrouva en guerre contre l’Espagne (guerre dite de «l’oreille de Jenkins»; un navire contrebandier britannique, le Rebecca, avait été arraisonné dans les eaux espagnoles. Un capitaine espagnol, nommé Julio Leon Fandino, saisit au collet le capitaine anglais, Robert Jenkins, lui trancha une oreille, et lui dit: « Porte-la à ton roi, et dis-lui que je lui ferai la même chose si je le vois par ici!»).
En janvier 1740, Anson fut choisi par l’Amirauté pour commander une escadre destinée à opérer contre les intérêts espagnols. Sa mission consistait à doubler le cap Horn pour s’emparer des principaux établissements espagnols de la côte pacifique comme Panama, détruire les navires de commerce et capturer le galion de Manille. Ce fameux navire traversait le Pacifique une ou deux fois par an entre Manille et Acapulco avec des marchandises précieuses. Ensuite, le galion faisait la route en sens inverse chargé d’argent et de piastres. Pour remplir cette tâche, on donna à Anson le commandement d’une escadre de six bâtiments : le Centurion dont nous avons déjà parlé, le Gloucester et le Severn de 50 canons, la Perle de 40 canons, le Wager de 24 canons et le Tryal de huit canons, ainsi que deux navires ravitailleurs.

Des invalides en guise de soldats

Bien avant le départ, ennuis et déconvenues s’accumulèrent. Tout d‘abord, il manquait 300 matelots, que l’on remplaça par 170 novices n’ayant jamais embarqué sur un navire. Pire, il avait été prévu de doter l’escadre de troupes terrestres pour effectuer des débarquements: trois compagnies et un régiment d’infanterie. Là encore, ce fut une cruelle désillusion: «On trouva bon de changer cet arrangement et toutes les forces de terre se réduisirent à 500 invalides externes de l’hôpital de Chelsea». Le jour venu, Anson effaré ne vit arriver que 259 malades, «tous ceux qui avaient assez de force ayant déserté»! L’escadre ne put quitter l’Angleterre qu’à la mi-septembre 1740, retard qui s’avéra désastreux.
Tout d’abord, le temps perdu avait laissé le temps aux Espagnols d’envoyer cinq navires, sous le commandement de Don Pizzaro, à la poursuite d’Anson. Grâce à des espions, ils connaissaient tous les détails de l’opération dès le mois de janvier 1740. Ensuite, l’escadre anglaise dut doubler le cap Horn au mois de mars, en pleine période d’équinoxe, donc au pire moment. Sévèrement malmenés dans les tempêtes, le Severn et la Perle durent faire demi-tour, le Wager s’échoua et les autres navires, dans un triste état, atteignirent l’île Juan Fernandez (au large du Chili) en juin 1741 pour y faire relâche. Il ne restait à bord des vaisseaux que des provisions avariées et un peu d’eau croupie. Tout le monde était touché par le scorbut (carence en vitamine C), maladie alors attribuée aux vapeurs nocives censées se dégager de la mer.
Les équipages du Centurion, du Gloucester, du Tryal et du ravitailleur Anna qui totalisaient 977 hommes n’en avaient plus que 351 en partant de Juan Fernandez. Heureusement pour les Anglais, l’escadre de Pizzaro fut également détruite par les tempêtes et les maladies. En conséquence, Anson dut se contenter de cibles secondaires comme Paita (petit port du Pérou) et son seul succès, mais pas des moindres, fut la capture du fameux galion de Manille la Nuestra Señora de Covadonga, au large des Philippines, en juin 1743.

Capture du galion

Le Centurion (seul navire qui restait) attaqua le galion avec un équipage fait de bric et de broc. Il ne comportait pas assez de canonniers pour servir toutes les pièces. On confia le soin à des matelots de charger les canons, tandis que les canonniers passaient de l’un à l’autre pour pointer et tirer. Cela fit illusion et le galion baissa son pavillon. Se rendant compte qu’ils avaient été joués et capturés par un équipage trois fois moins nombreux, les Espagnols voulurent réagir, mais Anson fit mettre tout le monde à fond de cale. Après trois ans et neuf mois, le Centurion regagna Portsmouth en juin 1744. Dans ses soutes se trouvait un fabuleux trésor: 1’300’000 «pièces de huit», piastres espagnoles en argent, et 35 000 onces d’argent métal. Il fallut une trentaine de chariots pour transporter le tout à Londres. L’expédition ramenait aussi des informations géographiques précieuses sur l’océan Pacifique, mais les pertes en vie humaine se montaient à plus de 80%… Promis à une brillante carrière, Lord Georges Anson devint premier lord de l’Amirauté en 1751, poste qu’il occupa jusqu’à sa mort en juin 1762.

 

Frédéric Schmidt

 

(*) En tout trois ans et neuf mois, de septembre 1740 à juin 1744.