Des aménagements paysagers exemplaires à Adret Pont-Rouge.

/

Gestion des eaux pluviales à Genève

L’eau au cœur de la ville

22 Juin 2022 | Articles de Une

Dans un projet urbain, comment intégrer l’eau sous toutes ses formes, au service de la population, des écosystèmes, du cycle de l’eau, et comme élément d’adaptation au changement climatique? Afin d’accompagner les professionnels dans leurs pratiques, l’Office cantonal genevois de l’eau (Département du territoire) a lancé en 2019 la démarche «Eau en Ville»; celle-ci se poursuit jusqu’en 2023, notamment avec une série de webinaires et de visites de terrain prévus dès ce mois de juin. En y participant, les acteurs du territoire pourront apprendre les uns des autres et partager des expériences.

Architectes, ingénieurs, paysagistes, urbanistes, promoteurs, entreprises générales, services cantonaux et communaux, mais aussi propriétaires privés, tous sont concernés de près ou de loin par la gestion de l’eau. Et dans ce domaine, une petite révolution est en cours. Alors qu’on cherchait surtout à la faire disparaître, l’eau de pluie est aujourd’hui une ressource essentielle aux zones urbaines, que l’on souhaite valoriser et mettre en scène.

De la ville étanche à la ville éponge

«Pour diverses raisons techniques, historiques et utilitaires, nous avons hérité d’un territoire bâti essentiellement étanche, lisse et minéral, explique Frédéric Bachmann, de l’Office cantonal de l’eau. Les eaux de pluie, qui autrefois empruntaient les rues et s’écoulaient en surface, sont principalement collectées et évacuées par un système de grilles et de canalisations. Cette manière de faire entraîne des conséquences importantes sur le cycle de l’eau, les cours d’eau, les nappes phréatiques, la biodiversité, ainsi que sur la sécurité des personnes et des biens. Elle met en évidence les limites de la technique dite du tout-tuyau. Par ailleurs, les modèles climatiques nous avertissent que les orages deviendront de plus en plus fréquents et violents, que nous vivrons des étés de plus en plus secs et chauds. D’ici la fin du siècle, le climat genevois pourrait ressembler à celui des Pouilles, au sud de l’Italie».
Face à ce paradoxe – qui consiste à avoir alternativement trop ou pas assez d’eau – les experts de l’Etat de Genève énoncent plusieurs principes et idées à appliquer aux projets urbains. Il s’agit avant tout de considérer l’eau de pluie comme une ressource, en l’acheminant dans un sol planté. Cela favorise la croissance de la végétation et les services rendus par celle-ci (biodiversité, ombrage, identité du lieu, etc.). Par ailleurs, les eaux pluviales disparaissent naturellement et rapidement, par évaporation, infiltration et évapotranspiration. Les spécialistes notent aussi que, face à la pollution en particules fines des eaux qui s’écoulent sur des surfaces étanches, le sol représente le meilleur des filtres. Parmi les autres suggestions, le maintien d’espaces en revêtement imperméable – nécessaires à certaines fonctions (places, cours d’école) – est possible pour autant que l’eau de pluie soit dirigée vers des espace en pleine terre.

Les eaux pluviales disparaissent naturellement et rapidement, par évaporation, infiltration et évapotranspiration (Adret Pont-Rouge).
Gestion des eaux et biodiversité.

L’eau offre de nombreuses
perspectives

En abordant l’eau de pluie sous l’angle des contraintes administratives, de nombreux professionnels en sont venus à réaliser des bassins de rétention enterrés. Bien dommage… car à ciel ouvert et intégrée au projet, l’eau apporte une réelle plus-value. Les avantages environnementaux sont évidents: un espace en eau peut faire office de biotope. La nature s’y développera spontanément et les corridors écologiques seront prolongés. De plus, une bonne gestion des eaux pluviales est un moyen de faire face au changement climatique en amenant acclimatation et rafraîchissement. Enfin, c’est la qualité de la vie urbaine qui est en jeu. Grâce à la présence de l’eau, permanente ou temporaire, la population bénéficiera d’îlots de nature, de sites paysagers et de lieux de détente et/ou de loisirs. Par ailleurs, l’eau de pluie pourra être stockée, puis réutilisée comme ressource dans des systèmes d’irrigation, d’arrosage, et pour des usages domestiques (chasse d’eau, lavage des voitures, fontaines, etc.).
Ces multiples prestations écosystémiques sont à promouvoir. L’objectif de la démarche Eau en Ville, portée par l’Office cantonal de l’eau depuis 2019, est d’ancrer durablement un changement de pratiques pour l’ensemble des acteurs du développement urbain, publics et privés. A terme, la mise en valeur des eaux pluviales en ville deviendra un réflexe et ne nécessitera plus d’efforts particuliers. Ce programme rencontre un vif succès, puisque de nombreux projets, publics et privés, en cours ou à venir, sont désormais développés dans l’esprit de l’Eau en Ville. Une approche qui fait d’autant plus sens si l’on réalise que Genève tient une place importante à l’international sur les questions de politique publique de gestion de l’eau.
Le quartier de Grosselin, au cœur du secteur Praille Acacias Vernets, a fait l’objet d’un projet pilote Eau en Ville, dont les enseignements, publiés dans un rapport en janvier 2021, ont alimenté l’état d’esprit de la démarche, qui vise avant tout à donner envie et à aborder l’eau de pluie comme élément constitutif et essentiel de tout projet. Cette étude a également questionné le lien entre la remise à ciel ouvert d’une rivière (dans ce cas la Drize) et la gestion des eaux de pluie d’un quartier.

Concevoir avec l’eau

Après un premier atelier en novembre dernier, la démarche Eau en Ville poursuit son développement et propose un programme de partage d’expériences à l’attention des acteurs du territoire. Ces derniers sont invités à participer à une dizaine de webinaires ou visites de terrain, qui s’échelonneront entre juin 2022 et décembre 2023. Des communes et des mandataires, d’ici et d’ailleurs, présenteront leurs projets et les défis relevés pour les mener à bien. Les deux projets à l’affiche du webinaire de lancement (23 juin 2022) sont l’avenue du Mail, en Ville de Genève, et le Vieux-Chemin d’Onex. L’Office cantonal de l’eau continuera également à faire la promotion de l’Eau en Ville au travers de conférences et de présentations, en travaillant sur des projets pilotes et en publiant des fiches techniques.
D’importants efforts restent à faire pour limiter l’usage inutile des grilles et des canalisations et, a contrario, pour renforcer la place de l’eau en ville. Cependant, plusieurs réalisations exemplaires à Genève méritent d’être citées: noue paysagère intégrée aux espaces publics de la gare du Léman Express à Chêne-Bourg; bassin de rétention avec sa prairie et ses jardins environnants aux Vergers (Meyrin); aménagements paysagers des nouveaux quartiers de Belle Terre (Thônex), de l’Adret (Lancy) et des Sciers (Plan-les-Ouates), etc.
Ces pratiques vertueuses soulignent l’importance de la mise en réseau de l’eau, d’où la pertinence de réfléchir aux chemins de l’eau, entre leur point de collecte et leur point de rejet, de la toiture d’un bâtiment à la parcelle, puis à l’espace public et au milieu naturel. Cette vision globale du cycle de l’eau requiert des compétences accrues, ainsi qu’un meilleur dialogue entre spécialistes des diverses disciplines concernées par la construction et l’aménagement urbain. Enfin, au-delà des aspects purement techniques, Gilles Mulhauser, directeur général de l’Office cantonal de l’eau, invite chacun à établir des liens, à construire une histoire, à s’inspirer de l’eau qui l’entoure: «C’est en entrant dans la peau de l’eau et des êtres vivants dont elle permet la vie qu’il deviendra possible d’en parler mieux, d’agir en conséquence et de s’approcher peut-être de cette notion de ‘personnalité juridique’ accordée de plus en plus aux fleuves et aux lacs de par le monde!».

 

Véronique Stein

GROS PLAN

Démocratiser l’accès au lac

 

D’année en année, une population toujours plus importante demande et profite des secteurs de baignade des rives du lac. Les périodes de canicule ont renforcé cette tendance: les Genevois cherchent à se rafraîchir près des plans d’eau. Après la plage des Eaux-Vives et l’aménagement sur le quai de Cologny, voici venu le moment de s’atteler à la rive droite. La nouvelle plage Nautica, située en contrebas du parc William-Rappard, vient ainsi compléter le dispositif genevois d’accès public au lac. Quelque 130 mètres de rive adjacente au port ont été réaménagés en plage de galets, incluant quatre grandes dalles monolithiques sur la digue destinée à la détente et à la pêche. Les usagers cohabiteront avec la nature (540 nouveaux plants semi-aquatiques, roselière et nombreuses espèces d’oiseaux aquatiques).
Organiser les activités lacustres et améliorer l’accès aux rives en profitant des parcelles accessibles au public et gratuites – dans ce cas, celle du Jardin botanique – est une priorité pour le Conseil d’Etat, qui a récemment soumis au Grand Conseil un projet de modification de la loi sur les eaux. Lors de la visite inaugurale de Nautica, le magistrat en charge du territoire, Antonio Hodgers a rappelé que «le Léman fait partie du domaine public cantonal, il est un bien public, dont l’accès doit être garanti et gratuit pour tous les habitants de notre canton, quel que soit leur lieu de domicile». Pierre-André Loizeau, directeur du Conservatoire et jardin botaniques de Genève, a quant à lui signalé «l’importance de cette renaturation pour l’un des rares jardins botaniques du monde situé sur les rives d’un lac naturel d’importance et pour nos travaux de conservation de la biodiversité». «Après Nautica, ce sera au tour du Vengeron (le Grand Conseil a adopté un crédit de 55 millions de francs) et probablement du quai Wilson de s’ouvrir au public», ont d’ores et déjà annoncé les autorités.

130 mètres de rive adjacente au port Nautica ont été réaménagés en plage de galets.

EXPLOREZ D’AUTRES ARTICLES :