De multiples causes peuvent mener à un dépassement de la marge de tolérance de 10%.

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L’architecte, son devis et ses surprises

13 Avr 2022 | Articles de Une

A l’heure où les maîtres de l’ouvrage souhaiteraient s’affairer à une pendaison de crémaillère attendue et méritée, ils sont souvent confrontés au décompte final de leurs travaux de construction.

Quelles qu’en soient les raisons, les coûts de construction dépassent fréquemment et parfois notablement le montant initialement prévu. Dans le meilleur des cas, ces dépassements budgétaires engendrent des frustrations passagères. Lorsqu’ils sont importants, les capacités financières du maître de l’ouvrage peuvent être mises à l’épreuve. Dans un cas comme dans l’autre, la question peut se poser de savoir si le maître de l’ouvrage doit supporter seul le dépassement du devis, ou si son architecte peut devoir en assumer une partie. La réponse à cette question dépend de quelques particularités juridiques qui méritent d’être rappelées.

Obligation de moyens

L’architecte a en principe l’obligation de renseigner le maître de l’ouvrage sur le coût des travaux envisagés. Il doit ainsi établir un devis et surveiller l’évolution des coûts tout au long de la construction. La jurisprudence retient toutefois que l’architecte ne saurait garantir l’exactitude de son devis, car ce dernier ne concerne pas ses propres prestations, mais celles de tiers (entrepreneurs et autres mandataires). L’architecte n’a donc pas d’obligation de résultat, mais une obligation de moyens, qui consiste à établir le devis et contrôler l’évolution des coûts avec toute la diligence nécessaire. Le devis de l’architecte comporte donc nécessairement un certain degré d’incertitude (marge de tolérance). En l’absence d’accord entre les parties ou d’indications de l’architecte sur ce point, la jurisprudence retient en général une marge de tolérance de 10%.

De multiples causes peuvent toutefois mener à un dépassement de la marge de tolérance. Les conséquences juridiques d’un tel dépassement diffèrent selon que le dépassement est dû à une mauvaise estimation des coûts (oubli de certains postes, quantités sous-estimées) ou à des violations contractuelles indépendantes de l’établissement du devis (planification défectueuse, adjudication défavorable ou manque de coordination du chantier). Alors que l’architecte répond en principe de tout dépassement résultant d’une planification défectueuse ou d’une mauvaise coordination du chantier, l’étendue de sa responsabilité pour le dépassement d’un devis inexact est moins évidente.
La responsabilité de l’architecte suppose en effet l’existence d’un dommage au sens juridique, soit une diminution involontaire de la fortune nette du maître de l’ouvrage. Or, lorsque le dépassement du devis résulte uniquement de l’inexactitude de ce dernier, le maître de l’ouvrage ne subit à première vue aucun dommage. La fortune du maître de l’ouvrage n’est en effet pas diminuée puisque la valeur de son ouvrage correspond au prix qu’il doit payer et qu’il aurait de toute façon dû payer, même si le devis avait été correctement établi. L’absence de dommage exclurait-elle toute responsabilité de l’architecte pour le dépassement de son devis? Non, dit la jurisprudence, car l’architecte répond en réalité du dommage qui résulte du fait que le maître de l’ouvrage aurait pris des décisions différentes si l’architecte lui avait fourni une estimation exacte des coûts.

Estimation du dommage

Ce dommage correspond à la différence entre la plus-value objective de la construction (ce que l’ouvrage a effectivement coûté) et la plus-value subjective qu’elle représente pour le maître de l’ouvrage (ce que ce dernier a voulu). En d’autres termes, l’architecte est responsable des coûts que le maître de l’ouvrage aurait renoncé à engager si son devis avait été exact. Le maître de l’ouvrage doit en revanche se laisser imputer la plus-value objective de l’ouvrage, dans la mesure où elle présente pour lui un intérêt subjectif. Concrètement, le maître de l’ouvrage qui entend se faire indemniser par l’architecte pour le dépassement du devis devra prouver qu’il eût pris des décisions différentes et par conséquent épargné certains frais si le devis avait été exact. La preuve de ce «comportement hypothétique» se révèle souvent difficile.
Les risques de litige peuvent toutefois être réduits si le maître de l’ouvrage et l’architecte s’accordent d’emblée sur l’étendue et le degré de précision des informations que l’architecte devra fournir en relation avec le coût de l’ouvrage. L’architecte devrait ensuite veiller à ce que l’avancement de son projet permette d’estimer les coûts avec le degré de précision convenu. Quant au maître de l’ouvrage, il devrait baser ses décisions sur la limite supérieure du devis, soit en tenant compte de la marge de tolérance indiquée par l’architecte. Si de bonnes surprises devaient apparaître à l’heure des comptes, la pendaison de crémaillère n’en serait que plus agréable.

Dr Xavier Borghi,
avocat spécialiste FSA en droit de la construction
et de l’immobilier, ing. civ. dipl. EPF
Etude Borghi Adler Tönz SA, Lausanne

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