Le PAV: le rythme de croisière
est atteint.

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Grand entretien avec Robert Cramer et Antonio Hodgers

Le PAV se déploiera sur deux générations

30 Mar 2022 | Articles de Une

Tous deux conseillers d’Etat (l’un ancien, l’autre actuel), tous deux élus des Verts, Robert Cramer et Antonio Hodgers sont respectivement président de la Fondation PAV (l’opérateur foncier du projet) et chef du Département cantonal genevois du territoire. Deux hommes d’expérience qui pourraient être blasés, mais qui font au contraire preuve d’un enthousiasme quasi juvénile pour l’un des plus grands développements urbains contemporains, Praille-Acacias-Vernets.

«Les astres sont en train de s’aligner», disent en souriant Antonio Hodgers et Robert Cramer. «Le rythme de croisière est atteint, précise le conseiller d’Etat. Sur tous les Plans localisés de quartier, nous avançons. La Fondation PAV est dotée et fonctionne. Du côté des Vernets, nous avons remporté une victoire judicaire sur les opposants. Le projet Pictet est maintenant mûr; en résumé, la population va voir, au cours des prochaines années, le PAV prendre forme». Les deux hommes en conviennent: «Où, ailleurs qu’à Genève, peut-on se vanter d’avoir modelé un nouveau centre-ville digne du XXIe siècle? C’est une grande responsabilité, car on ne parle pas ici d’un simple quartier, mais d’un véritable centre métropolitain multipolaire».
Une chose est insupportable à Robert Cramer: l’affirmation selon laquelle les réalisations du PAV – par exemple Pont-Rouge ou les Vernets – seraient trop minérales. «C’est un vrai déni de réalité! Là où il n’y avait que du béton et du goudron, nous aurons demain l’inverse, c’est-à-dire une ville harmonieuse, avec des immeubles assez élevés pour permettre de larges espaces verts, un grand parc et deux cours d’eau remis à ciel ouvert, la Drize et l’Aire!». «Y a-t-il beaucoup d’endroits en cœur de ville où les enfants puissent jouer dans les squares, des parcs et des rues sans qu’aucune voiture ne soit en circulation, ni stationnée en surface? Aux Vernets, il y aura un accès direct aux rives de l’Arve; les futurs habitants des plus beaux LUP (logements d’utilité publique) du canton, dotés de balcons, de fenêtres anti-bruit et d’un accès aux toitures pour des activités sociales, avec une vue superbe, ne partagent pas les jugements négatifs des opposants autoproclamés. Les listes d’attente sont déjà plus que fournies, et nombre de candidats ne sont pas des gens actuellement mal logés: ils ont simplement envie de vivre là!», ajoute le chef du Département du territoire. Qui souligne que dans de nombreuses réalisations récentes, comme Artamis à la Jonction, on voit que les habitants apprécient les espaces faciles à aménager pour un apéro entre voisins, une fête de quartier, etc. et ne sont pas tous enthousiastes à l’idée de marcher directement dans de l’herbe en franchissant leur palier.

Robert Cramer.
Antonio Hodgers.

«Acacias 1» sera emblématique

Le président de la Fondation PAV et son successeur au Conseil d’Etat sont clairement des «Verts bâtisseurs». Ils insistent sur l’importance des échanges humains entre voisins, la nécessité de mixité entre générations et veulent que le nouveau centre-ville soit convivial. A cet égard, l’urbanisme est un outil d’innovation, et Antonio Hodgers n’est pas peu fier du PLQ «Acacias 1», avec ses espaces publics généreux et un gabarit des immeubles revu à la baisse suite à la consultation des citoyens. «Acacias 1», c’est un périmètre triangulaire de seize hectares entre la route des Acacias, la route des Jeunes et les bâtiments Rolex. Il est prévu d’y réaliser 2450 logements et des surfaces d’activité accueillant deux mille emplois. Le magistrat explique: «Une vraie place de quartier, des espaces verts de grande ampleur, une mise à ciel ouvert de la Drize avec des promenades magnifiques le long des berges: ces lieux auront une forte identité». A noter, et le pragmatique Robert Cramer insiste sur ce point, que «les hauts bâtiments, le long de la route des Jeunes, qui feront écran au bruit routier, seront des parkings. Mais leur structure en bois et leur conception originale permettront, dans l’avenir, de les transformer en locaux industriels, voire en bureaux, au cas où le besoin de stationnement diminuerait».
Là comme ailleurs, le stationnement en surface sera évité. En outre, le fait de ne pas disposer de son véhicule à moteur au pied de son immeuble incite à choisir d’autres modes de transport, ce qui n’est pas pour déplaire aux pouvoirs publics genevois. «La suroffre de parkings souterrains atteint 25% à Genève», note malicieusement Antonio Hodgers, qui souligne que cela aboutit à proposer des places aux frontaliers, alors que ceux-ci sont supposés utiliser les P+R périphériques ou le CEVA.

Vous reprendrez bien une petite barre?

Le patron du DT est prosaïque: «Pour construire assez dense et permettre de créer de vastes espaces publics, il y a trois solutions: la barre, l’îlot ou la tour. Au PAV, nous proposons ces trois options, en fonction des avis des habitants comme à
«Acacias 1». Robert Cramer, lui, est enthousiaste: «Acacias 1», c’est un festival de solutions intelligentes. Les gabarits sont abaissés, mais restent corrects. Il y a des boulevards, des cours, de la verdure, une architecture variée et un retour de la biodiversité: de nombreux arbres, des oiseaux, des poissons dans la rivière; cela va faire penser à un grand village, à un quartier animé et populaire. En fait, c’est la ville de demain». Le PLQ «Acacias 1» devrait être approuvé cette année encore.

Le PAV est écologique

Antonio Hodgers insiste: «On ne pourra pas vivre plus écologiquement que dans le PAV! Des constructions et des matériaux conformes aux critères les plus exigeants en matière de CO2, de lutte contre les concentrations de chaleur et d’énergie propre. Une quasi-absence de trafic motorisé. De la nature partout. Une offre complète de services et d’infrastructures permettant de bénéficier réellement de la «ville du quart d’heure». En somme, bâtir le PAV est l’acte le plus écologique que l’on puisse imaginer».
Et sans doute en réponse indirecte à certains de leurs camarades de parti qui agitent volontiers les concepts de croissance zéro et dénoncent les «bétonneurs», nos interlocuteurs s’écrient d’une même voix: «On ne construit pas par plaisir! Genève doit loger ses habitants, ses enfants. Il ne s’agit pas d’attirer du monde, de faire grossir la ville sans raison; il s’agit d’offrir divers types de logement à celles et ceux qui, aujourd’hui, partent pour la France, Vaud ou même le Valais et font des heures de déplacement, souvent en voiture. Nous en avons marre de ces postures individualistes, venant de gens bien logés qui refusent la construction par principe, les autres n’ayant qu’à se débrouiller. C’est le signe d’une société vieillissante et d’esprit étroit. Aux Vernets, les opposants ne sont souvent même pas des habitants du quartier. Le pire est que parmi ceux qui se disent indignés lorsque le MCG entend réserver aux Genevois la priorité d’accès au logement social, beaucoup critiquent le PAV, alors qu’il offrira de nombreux logements de ce type». Le magistrat comprend, mais déplore, la «solastalgie» dont de nombreux contemporains sont atteints, c’est-à-dire un mélange de nostalgie et d’angoisse du changement: ils se sentent dépossédés du paysage urbain de leur enfance.

Du vert et du bleu.

Quarante ans de progrès

Le PAV, avec ses 12 000 logements et ses 24 000 habitants, ne sera pas une nouvelle ville sortie de nulle part. «Il n’y aura pas de «Paviens», mais des Genevois, des Carougeois, des Lancéens. Mais ils seront attachés à leur quartier, à ses écoles, ses promenades, ses cafés, ses restaurants, ses lieux de culture, prophétise Antonio Hodgers. L’un des malentendus dans le grand public est que les gens ont peut-être cru que tout allait se régler d’un coup, que le PAV allait sortir de terre en quelques années. Mais nous parlons là d’une évolution sur deux générations. La Fondation PAV est supposée durer quarante ans! D’ailleurs, le lancement du projet et le périmètre de Pont-Rouge portent la signature de Mark Muller; celui des Vernets de François Longchamp; j’ai pris le relais, puis mes successeurs poursuivront… Les époques et les écoles urbanistiques vont se superposer, en harmonie souhaitons-le, mais sans uniformité».
Robert Cramer renchérit: «On apprend beaucoup et on affine les processus, les choix architecturaux; le premier bâtiment du PAV sera très différent du dernier. Ce processus itératif nous permettra de travailler de mieux en mieux. La volonté du maître d’ouvrage Pictet, par exemple, qui vise le zéro carbone, passionne l’Etat comme les privés, parce que les expériences faites vont être riches d’enseignements».

Vous avez dit «qualité»?

Peut-on espérer une qualité architecturale accessible à tous, autrement dit une certaine beauté des bâtiments? La question est dérangeante, admettent Robert Cramer et Antonio Hodgers. Ce dernier rappelle d’abord que, comme disait un sage, «l’architecte est condamné à décevoir ses contemporains». Il précise aussi que nous sommes – même si d’aucuns en doutent – dans une société libérale et démocratique, sans architecture officielle comme l’imposerait un régime totalitaire. L’Etat organise des concours; ce ne sont pas des fonctionnaires qui décident. Certes, mais des bâtiments comme celui de la FER à Saint-Jean ou ceux de la place des Nations font l’unanimité et vieillissent fort bien. Le chef du DT a une réponse à cela: «Nous faisons essentiellement du logement. Les immeubles de logement, c’est de la ville ordinaire! Ce sont les bâtiments commerciaux, les immeubles de bureaux qui permettent plus facilement certains gestes architecturaux». Robert Cramer conclut: «Les beaux immeubles haussmanniens ou fazystes, correspondent exactement à trois types standards à Paris et cinq à Genève». Néanmoins, citant l’exemple de la Coopérative «Mehr als Wohnen» (plus que de l’habitat) à Zurich, Antonio Hodgers souligne que la recherche de la qualité, avec des entrées, des zones communes et des extérieurs plus élégants, passe aussi par les plans financiers, et que là l’Etat peut agir: «Il faut sortir de la poursuite de la rentabilité de chaque espace».

 

Propos recueillis
par Thierry Oppikofer

GROS PLAN

Fondation PAV: «Le marché s’est créé»

 

L’un des écueils, durant des années, du projet PAV, c’était l’inquiétude des chefs d’entreprise disposant de droits de superficie (DDP) et découvrant dans les premiers plans dévoilés par Mark Muller que leurs bâtiments se trouvaient en plein parc ou au cœur d’un bouquet de tours d’habitation. Qui allait les dédommager? Où iraient-ils? Que se passerait-il s’ils refusaient de partir?
Ce type de questions a fleuri au fil des huit éditions des «Pieds dans le PAV», manifestation annuelle organisée par le Comptoir immobilier au cœur du périmètre et regroupant les acteurs du dossier. Traditionnellement animés par notre directeur-rédacteur en chef Thierry Oppikofer, ces débats ont permis à de nombreuses personnes concernées de trouver des interlocuteurs compétents, tant du côté de l’Etat (avec notamment la directrice du PAV Saskia Dufresne) que des maîtres d’ouvrage privés, sans oublier les spécialistes du Comptoir immobilier, une régie qui a su se profiler en conseillère avisée, dès le début, sur ce projet historique comme sur tant d’autres.
En octobre 2021, après l’interruption due à la Covid-19, les trois vedettes incontestées de la huitième édition furent Saskia Dufresne; Robert Cramer, président de la Fondation PAV, accompagné de son directeur général Vinh Dao; enfin, Jean-Hugues Hoarau, responsable des développements immobiliers de la Banque Pictet. Le président de la Fondation, six mois plus tard, constate qu’un marché dynamique s’est créé. «Beaucoup de dossiers sont mûrs. Les plus importants sont connus: le campus Pictet de Rochemont, la Migros… D’ici la fin de l’année, les règles d’acquisition des DDP auront été établies en parfaite équité. Les entreprises existantes ne sont pas des obstacles, mais des partenaires!».
Antonio Hodgers, pour sa part, le certifie: «Le PAV ne va pas détruire de la valeur économique, mais au contraire en créer! Nous ne sommes pas, chacun le sait, sur une friche industrielle, et les déplacements d’entreprises nécessiteront de la délicatesse et une approche personnalisée. Je souligne que Migros, par exemple, va saisir cette occasion pour revoir ses infrastructures de Grosselin, qui occupent 11 hectares, et en faire un centre industriel 2.0 sur 4 hectares, bien plus efficace. Un bel exemple de repositionnement stimulant».

Les «Pieds dans le PAV» en octobre 2021.

GROS PLAN

L’état-major se regroupe

 

Robert Cramer confie que d’ici mi-mai, les pilotes du PAV, soit la Fondation PAV, la Direction PAV et la Fondation pour les terrains industriels (FTI) se regrouperont en un seul immeuble, avec un guichet commun au 5e étage, au 50, avenue de la Praille.

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