France voisine
La triple vie de Jean-Claude Romand
Le faux docteur de Prévessins-Moëns (Ain) qui avait abattu sa femme, ses enfants et ses parents, a menti pendant 20 ans. Accueilli chez les Bénédictins après vingt-six ans de prison, il n’aura plus affaire qu’à son dernier juge: Dieu.
L’ancienne maison de Jean-Claude Romand, route de Bellevue à Prévessins-Moëns, juste à côté de Ferney-Voltaire, fait partie de ces habitations qui ont été le théâtre de crimes et eu de la peine à retrouver des locataires (Journal de l’Immobilier no 15, du 12 janvier 2022). Le 9 janvier 1993, Jean-Claude Romand abattait sa femme Florence, ses deux enfants Antoine et Caroline, avant de mettre le cap sur Clairvaux-les-Lacs, dans le Jura, où il assassinait ses parents et tuait le chien de la famille. De retour à Prévessins-Moëns, au milieu d’un silence de mort, il met le feu à la maison. Les voisins alertent les pompiers. Ceux-ci le transportent inanimé à l’hôpital de Saint-Julien, puis à Genève. Il survivra malgré une erreur médicale apparemment commise dans l’ambulance et qui le plonge dans le coma.
Près de trente ans après le drame, la demeure en pierre porte encore quelques stigmates de l’incendie de l’horrible nuit de janvier 1993, avec une mince ligne noire à la lisière du toit. Près de trente ans après le drame aussi, on a de la peine à reconnaître les lieux à proximité. Un peu plus loin, à côté des villas avec jardinets, des milliers d’habitations sont sorties du sol, dans la région de Prévessins-Moëns, Ornex, Ferney-Voltaire, aux portes de Genève. La pharmacie où Florence Romand effectuait des remplacements est toujours en exercice. L’école catholique Saint-Vincent de Ferney-Voltaire, où étaient scolarisés les enfants du couple, accueille toujours des élèves.
Faux médecin, vrai escroc
Même si les années ont passé et que les jeunes d’aujourd’hui n’ont pas connu cette sordide affaire, ils en ont presque tous obligatoirement entendu parler dans les médias. Un livre a été écrit sur le sujet par Emmanuel Carrère (L’Adversaire. Éditions POL, 2000), un film réalisé par Nicole Garcia avec Daniel Auteuil dans le rôle principal. «Il y a régulièrement des journalistes qui reviennent», constate, un peu amer, un voisin. Il faut avouer que l’affaire Romand a choqué la région et la France entière.
Surtout de par la personnalité du tueur, père exemplaire et mari aimant, voisin et ami charmant, toujours prêt à donner un conseil médical. Tout le monde y a cru. Un cardiologue a même confié «se sentir tout petit» face aux connaissances de son «confrère». Mais le «Dr Romand» – qui voulait devenir agronome en réalité – n’a jamais dépassé le cap de la 2e année de médecine à Lyon. Comme tant d’autres étudiants en médecine, Jean-Claude Romand avait raté sa première année, mais l’avait redoublée avec succès. En deuxième, il rate l’examen de physiologie «parce que le réveil n’a pas sonné». Il lui aurait suffi de se représenter devant ses professeurs. Il ne l’a jamais fait. Inscrit en deuxième, il n’a plus remis les pieds à la Faculté, mais a continué à lire des revues et des manuels médicaux, à délivrer des conseils et même à vendre des «médicaments», des gélules miracles contre le cancer, facturées à des prix faramineux. Les pastilles ont permis un certain temps de subvenir aux besoins de la famille de celui qui, en se faisant passer pour un ami de Bernard Kouchner et un chercheur à l’OMS, a vidé le compte en banque de ses parents et escroqué des proches et membres de sa famille.
Jean-Claude Romand.
Sauver les apparences
A défaut de sauver des vies, le faux Dr Romand a sauvé les apparences. Mais en cette fin d’année 1992, il sent qu’il est sur le point d’être démasqué. Les finances sont dans le rouge. Sa maîtresse – qu’il a aussi tenté de tuer – l’a quitté. «Il n’est pas possible que ma sœur n’ait pas su ce qui se passait à ce moment-là dans le couple, matériellement c’était impossible», confiera le frère de Florence, Emmanuel Crolet, dans «Les Voix du crime» sur «RTL». Lui-même a découvert dans un flash-info le jour du drame que son beau-frère n’était pas médecin.
Incarcéré après son bref séjour à l’hôpital, Jean-Claude Romand a été condamné le 26 avril 1996 à la prison à perpétuité, assortie d’une peine de sûreté de 22 ans. On dit qu’il a connu une crise mystique en détention. C’est d’ailleurs l’aumônier de la maison d’arrêt de Saint-Maur (Indre) qui l’a recommandé à ceux avec lesquels Jean-Claude Romand vit depuis deux ans.
Chez les Bénédictins
A sa sortie de prison après vingt-six ans de détention, l’homme a ainsi été accueilli par les Bénédictins de l’Abbaye Notre-Dame de Fontgombault, dans la vallée de la Creuse. La communauté y chante les offices dans la tradition grégorienne, en latin, et célèbre l’eucharistie dans le rite tridentin. On y trouve une hôtellerie; il est possible de participer à la prière de la communauté et de demander une aide spirituelle auprès d’un moine. A noter que toute l’Abbaye ne peut pas être visitée.
Dans un article du journal «La Croix» paru en 2019, le père Pateau disait espérer que le repenti y trouve un refuge: «Nous voulons, tout en faisant nôtres les buts poursuivis par la justice, lui donner de se placer devant Dieu, son ultime juge à la porte de l’Eternité».
Jean-Claude Romand est aujourd’hui âgé de 68 ans. Il en avait 39 le jour où il est entré dans l’histoire des plus grands criminels de France.