Elégant et central.

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Jackie Nyffeler

Faire un bijou d’une simple grange

9 Mar 2022 | Articles de Une

C’était une bâtisse à l’abandon, au cœur de la Vieille Ville de Genève, sur la place Franz-Liszt, à deux pas du Bourg-de-Four et à un jet de pierre de la célèbre rue des Granges, justement. Le célèbre décorateur et architecte d’intérieur Jackie Nyffeler l’avait rachetée avec son père, il y a plus de trente ans, et en a terminé en fin d’année 2021 la restauration intégrale, dans les règles de l’art et selon son style, au terme d’un long parcours du combattant. Un véritable bijou qu’il nous fait visiter.

Une vie pour l’architecture, la décoration, la beauté, l’harmonie. Une vie aussi pour l’art, la peinture, la poésie. Silhouette familière de la Vieille Ville de Genève, où il a son grand magasin de décoration et ses ateliers à la rue Chausse-Coq, Jackie Nyffeler a toujours, à 89 ans, la même passion dévorante pour la beauté. Il nous attend ce matin-là, à 10 heures, dans ce qui fut une vieille écurie totalement délabrée et qui est devenu aujourd’hui, après qu’il l’eut totalement restaurée et transformée, un authentique chef-d’œuvre. Costume, cravate, pochette, courtoisie exquise et discours cultivé, c’est un esthète d’un autre temps.

«Ce bâtiment était une ancienne grange du XVIIIe, occupée par un collectionneur qui l’utilisait pour stocker des meubles, explique-t-il. Il donnait souvent des meubles à restaurer à mon père, qui était ébéniste. Quand le collectionneur est mort, nous avons réussi à racheter le bâtiment. Nous étions tombés amoureux de cette maison sur trois niveaux, et nous voulions la remettre en état, la restaurer de fond en comble. C’est alors que la lutte a commencé».

Dès l’annonce du rachat, en 1988, des associations de quartier s’indignent: elles auraient voulu que la Ville de Genève rachète le bâtiment pour en faire un café alternatif ou de petits ateliers pour artisans. Des défenseurs du patrimoine s’inquiètent eux aussi: situé sur la place Franz-Liszt, à l’intersection de la rue Etienne-Dumont et de la rue Beauregard, le bâtiment est protégé. Le temps va passer sans que Jackie Nyffeler renonce au projet de restauration qui lui tient à cœur. «J’ai connu quatre ans de négociations qui m’ont usé, des tensions, des réunions de commissions qui n’en finissaient pas. Il faut une sacrée santé pour résister! On a abouti finalement à ce que je voulais: j’ai eu le droit d’installer, au centre de la maison, un ascenseur qui permet de distribuer l’espace. J’ai tout fait avec un amour infini du passé et la tradition».

Respect des lieux.

Le style et l’atmosphère

A l’extérieur, le bâtiment reste le même. Les façades ont été conservées, restaurées avec une minutie extrême et un sens du détail incomparable. A l’intérieur, Jackie Nyffeler a conservé le charme ancien de la bâtisse, tout en lui donnant une touche très personnelle, une respiration et un rythme qui sont sa marque. Les formes, les couleurs, la lumière… Des matériaux nobles, le bois, le marbre… On est dans son univers si particulier, élégant et sensible, apaisant et avec une espèce de fluidité.«L’atmosphère, l’ambiance, dit-il, c’est essentiel à obtenir, mais c’est le plus difficile».
Le bâtiment se déploie désormais sur quatre niveaux. Au rez-de-chaussée, une grande salle autour du fameux ascenseur, très lumineuse grâce à ses grandes vitrines. Au premier étage, même agencement. Au troisième, sous la charpente en bois, restaurée elle aussi, un vaste espace, compact celui-là, car l’ascenseur ne vient pas jusqu’ici. Et puis au rez inférieur, un étage plus intimiste, qui assure un confort supplémentaire: salle à manger, cuisine, local technique. Un escalier en colimaçon exceptionnel, aérien car il n’est pas fixé au mur, relie les étages.

Un amour fou pour «La pie» de Claude Monet

«Mon père est décédé en 1994, à 87 ans, confie Jackie Nyffeler. S’il voyait le résultat, et j’espère qu’il le voit, je pense qu’il serait heureux. Comment pourrait-on vivre en étant indifférent à la beauté? Chaque fois que je vais à Paris, je ne manque jamais d’aller au musée d’Orsay pour voir «La pie» de Claude Monet. J’ai découvert ce tableau à 20 ans et chaque fois que je le revois, je m’extasie: une vieille barrière, la neige, une pie, un effet magique… J’ai la carte postale du tableau sur mon bureau. Je travaille toujours et le jour où j’arrêterai ce sera la fin. Je fais aussi de la peinture, du dessin, je m’occupe de mes arbres, toutes des activités sensibles et qui passent par les mains».
Que va devenir alors le bâtiment restauré? «J’hésite, dit Jackie Nyffeler. Dans l’idéal, je souhaite qu’il soit dédié à une activité qui touche à l’art, mais rien n’est encore décidé».

Robert Habel

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