A-t-on là une définition de l’érudition? (couverture du livre «Ignorance and investigation»
chez Routledge).

/

carrière & formation

Maîtresse… j’ai deux mots à vous dire!

23 Fév 2022 | Carrière et formation

Entre A comme architecte et V comme vitrier, il y a tous les métiers de B à U: est-ce pour quoi Le Journal de l’Immobilier a dès le début ouvert des portes à l’emploi et à la formation? Ainsi ce numéro publie un «cahier formation» hors les murs, qui donne l’occasion de préciser au lecteur – en deux mots clefs – dans quelle optique le soussigné traite tout ce qui touche à l’édification des âmes.

«Formation», «éducation», «enseignement», «instruction»…: sous ces termes en ligne, ce sont des millions de livres, d’articles, de projets, d’associations… qui s’affichent. La seule «crise de l’école» donne près de vingt mille réponses au catalogue des bibliothèques universitaires… et un quart de million sur le site de la Banque Mondiale. Et la semaine écoulée a fourni une demi douzaine de colloques en ou hors ligne sur ces thèmes. Alors sous ce déluge d’info, que doit faire le journaliste? Surtout en se remémorant la question d’un grand professeur de pédagogie, il y a une vingtaine d’années à la Faculté: «Notre science de l’éducation a-t-elle fait des progrès depuis cinq mille ans qu’existent des profs? Pas sûr!». Et, malgré les louables efforts de pédagogues novateurs, l’histoire des réformes éducatives est une histoire d’échecs répétés… jusqu’à l’irruption de l’info en ligne qui a changé la donne même aux coins les plus perdus de la Terre en moins de temps qu’il n’en faut pour écrire une thèse.

Le tertiaire, c’est la glaciation

Certes, la formation ne s’arrête pas à l’école primaire, même si chez nous, l’école ne lâche plus les jeunes de quatre à dix-huit ans… au grand dam d’Ivan Illich qui s’en retourne dans sa tombe. Au-delà du «secondaire», c’est surtout au boulot qu’on est mis à niveau et en famille qu’on apprend la vie. Les hautes et grandes écoles ont certes leurs domaines d’«excellence»… mais on y «apprend» aussi à cesser de penser. «Je suis atterré par les adultes «formés» à qui j’ai à faire: je n’en ai jamais trouvé un à même de suivre juste un peu de logique d’un bout à l’autre d’une simple phrase», se plaint ces jours une icône de la Genève Internationale… accablée de textes en prêt-à-parler. Alors, face à ces excès et ces doutes, revenons à la question: que doit faire le journaliste, pour éviter les redites, ou l’intox?

Aimer les vaches sans le sacré

L’éducation, la culture, encore un peu la santé (surtout quand elle donne dans l’«aide»)… sont les vaches sacrées de notre société. Bref, il y a bien assez de monde à louer leurs vertus, réclamer des budgets, épouser leur cause ou se marier parmi (les profs sont le milieu le plus «incestueux»: des enquêtes l’ont prouvé). Or ce qui est au-dessus de tout soupçon finit toujours par pourrir… ce n’est pas Jean Ziegler qui dira le contraire. Ainsi deux colloques en ligne viennent de montrer – en deux mots… pas plus – «où le bât blesse». L’un portait sur les «Principes d’Abidjan»… et s’en prenait à la «commercialisation» de l’éducation par les écoles privées… question qui – au vu du malaise latent du système scolaire – en occulte une autre: pour qui roule le «système» scolaire: pour les profs… les ministres… les parents… les élèves? Mais c’est surtout un colloque de deux jours – sur le financement de l’éducation – qui m’a valu un «last warning» dans la boîte de débat. Deux mots, en réponse à deux courtes phrases que j’y avais postées: que j’aie eu raison ou tort, ces deux mots et ces deux phrases résument – à mes yeux – tout le débat sur l’éducation… on va donc voir la chose de plus près.

Même les soixante-huitards ne se
supportent plus

Pendant deux jours, donc, un réseau d’experts en éducation & développement lié à l’Institut des hautes études a donc causé de fonds pour l’éducation, où chaque quémandeur avançait son projet, et où des agences et des banques se profilaient pour être bien vues. On y a certes parlé à satiété de «learning»… mais plus le temps passait, plus le terme visait les trucs à savoir pour avoir des sous. On y mettait même en avant un «Executive training on financing for education» (de mémoire) et un «International Education Funders Group». Pour un incroyant – j’ai dit plus haut pourquoi je pensais que les sciences de l’éducation étaient chaque jour plus à côté de la plaque – l’exercice était pénible: devoir écouter des dizaines de projets – que je juge plus «bidon» l’un que l’autre malgré leur lexique savant – m’a poussé à mettre deux notes en «chat» le premier jour… dont une sur l’allergie des ruraux au savoir urbain… l’autre sur le côté piège du «marché» de la «formation» qui est plutôt un marché de la «certification». Mais le second jour… un peu excédé… j’ai juste fait deux clins d’œil, dont un narquois avec Pink Floyd (voir «Pour en savoir plus» page VI).

Qui est complice de qui?

Plus tard, entendant l’orateur d’une grande banque suisse parler des fonds mis – par les clients poussés par la banque – dans des projets éducatifs, je me suis borné à dire «J’ai plus foi dans ses compétences éducatives que dans ses rendements satisfaisants… à propos de votre banque» (cité de mémoire). Cette remarque n’était en rien une insulte gratuite: elle était à nouveau un clin d’œil à un sujet plus d’une fois traité ici: la fuite en avant de banques qui ont perdu leur compétence et veulent se reconvertir dans l’angélisme. Déjà dans les «Trente glorieuses», on reprochait aux banques suisses d’abuser de leur «pouvoir de placement» pour gagner des contrats avec les émetteurs d’obligations aux dépens du client. Qu’on commette le même abus avec des arguments «éthiques» ne change pas la légitime question que posait jadis le regretté André Baladi: les faux-semblants du secteur «non profit» sont-ils le seul «Bien» que le «for profit» puisse faire de ses marges? Dans les années faciles, l’excentrique banque Warburg avait raison d’en vouloir à la presse, qui ânonnait la parole «d’experts maison au-dessus de tout soupçon».

Le test en aveugle peut être biaisé

La «société civile» ne tolère pas d’être mise en question: avec leur «last warning», ses «avocats» en éducation ont montré qu’on pouvait discuter de tout dans leur cadre conceptuel, sauf… les questions essentielles. Mais si les deux questions clefs de la connaissance et de son financement sont des tabous, alors les apprenants sont aux mains d’aveugles. C’est donc ça, l’angle sous lequel le soussigné traite les questions d’éducation: poser les questions interdites… et ne pas craindre les gros mots qui en disent plus que les longs jours.

 

Boris Engelson

POUR EN SAVOIR PLUS

Pour les deux colloques cités, voir www.norrag.org.

 

L’Ecole Active de Malagnou arrive parfois à défier la gravité: fin janvier, elle a monté un original atelier sur les langues (www.ecoleactive.ch).

 

La Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation est un bastion de la gauche, ce qui en soi n’est pas un mal mais qui a tué le débat; l’un ou l’autre labo – comme celui d’Olivier Maulini – a tenté parfois l’ouverture. Dans la cité, parmi les rares à garder vivante une pensée «alternative» – outre le bien connu Jean Romain – Michèle Roullet parle pas mal de pédagogie dans son «Genève vue de droite» juste sorti. Chercheur en poétique célébré chez Heidi News mais oublié de la Faculté des sciences de l’éducation depuis son mémoire, Jean-Christophe Contini porte un regard chaque jour plus critique sur l’évolution des Hautes écoles spécialisées.

 

Elèves zélés sans prof mais avec un ordi cloué à un arbre dans un village indien: Sugata Mitra en est devenu une étoile de la pédagogie; quand Wikipedia aura une bonne table des matières, le clergé des facultés pourra être mis au chômage technique, hormis un carré dans les labos de plasma en médecine ou physique.

 

Des sites croisés ces jours: glowconnect.org.uk, khanacademy.org, senecalearning.com, edudoc.ch… sans omettre globethics.net, unesco.org, oecd.org, weforum.org, timeshighereducation.com.

 

Trouvé(e)s par hasard en cherchant autre chose: The learning revolution: it’s not about education (wired.com 2014); The education crisis: being in school is not the same as learning (World Bank 2019); Qu’apprennent nos enfants à l’école? («La Croix» 2016)…

 

Livres sur l’ignorance en mal ou en bien… de Jean-Claude Michéa… Daniel R. DeNicola… Alain Corbin… Janet Kourany
& Martin Carrier… Rik Peels & Martijn Blaaw…
Le clin d’œil sur Pink Floyd disait juste: www.lyricsfreak.com/p/pink+floyd/we+dont+need+no+education_21434883.html

 

L’éthique, c’est le dilemme… pas un «deal»: notre rubrique du 15 décembre décrivait déjà les abus de la «société civile» où un éthologue verrait plutôt une «meute» hurlant ses «plaidoyers» à l’affût du «gibier».