Régis Debray et Che Guevara, compagnons de révolution pendant plusieurs années…

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Les révolutions sont démodées

Le siècle vert entre dans la maison

9 Fév 2022 | Culture, histoire, philosophie

Il avait 20 ans, il voulait faire la révolution et changer le monde. Près de six décennies plus tard, le philosophe français Regis Debray, qui fut dans les années 60 le compagnon de Che Guevara dans les maquis de Bolivie, constate que notre siècle a basculé de la Culture à la Nature. Dans un petit livre récent, «Le siècle vert», paru chez Gallimard, il montre que la nature est désormais entrée dans notre vie quotidienne. Aménagement, design, décoration…

Il y aura eu «ce court XXe siècle», comme disait l’historien anglais Hobsbowm, plein de bruit et de fureur: les idéologies, les passions, les guerres, la rage et l’espoir de changer le monde… Et puis il y a désormais, en ce début de XXIe siècle, une tout autre aspiration dominante: l’envie de «sauver la planète» et de retrouver une forme d’harmonie, de communion avec la nature. Ancien compagnon du Che en Bolivie, dans les années 60, puis ancien conseiller de François Mitterrand vingt ans plus tard, Régis Debray constate aujourd’hui, à 81 ans, que l’air du temps a radicalement changé.
Dans son ouvrage dense et pénétrant, «Le siècle vert», il ne revient pas sur ses combats perdus, dont il a déjà dressé ailleurs le «bilan de faillite», mais il observe avec une sorte de tendresse, et parfois d’ironie, l’évolution des mentalités, et surtout de la sensibilité générale.
«Un autre monde est en train de naître devant nos yeux, explique-t-il. Un autre esprit, dans nos façons de penser, d’espérer et d’avoir peur. L’angoisse écologique qui donne sa couleur au siècle nouveau n’annonce rien de moins, pour notre civilisation, qu’un changement d’englobant. Ce fut l’Histoire, ce sera la Nature. De quoi prendre le vert au sérieux». La génération de Régis Debray croyait à la Révolution et à l’homme nouveau; la génération actuelle croit à l’écologie et à la transition énergétique. Autant dire qu’il n’est plus question de faire table rase du passé, mais de retrouver plutôt une forme d’équilibre et de communion avec la nature.
«Le révolutionnaire professionnel, poursuit Régis Debray, le Spartacus survolté qui rêvait de casser la baraque sans réfléchir au jour d’après, semble maintenant bon pour le psy, ou pour le box. L’aspiration générale est au soft, au light et au fun. Médecine douce et traditionnelle, indienne ou chinoise. Méditation, silence, lenteur, zénitude et plantes médicinales».

Les écodesigners sont arrivés!

Cette envie de nature, on la retrouve désormais à la maison, aussi bien dans l’ameublement que dans la décoration. L’appartement doit être léger et fluide, ouvert et lumineux. Pas trop de meubles, car il faut laisser respirer l’espace intérieur. Mais la «révolution verte», comme dit Debray, touche aussi aux matériaux dont on s’entoure: l’écodesign a remplacé le design, comme l’ont montré au mois de septembre dernier les salons du design de Paris et de Milan. Une floraison de créations conçues avec des matériaux naturels ou recyclés. Sobre et élégant, esthétique et apaisant, l’écodesign surfe sur la vague verte, avec une espèce de liberté insolente et une maîtrise technique impressionnante.
Les écodesigners inventent littéralement un nouveau monde, en intégrant la nature dans l’environnement quotidien. Notre confrère «Le Monde» présente ainsi les réalisations des finalistes du concours RoGuitlessPlastic lancé il y a quatre ans par la reine du design milanais Rossana Orlandi: «Mobilier en plastique recyclé, soucoupes et tasses à café à base de marc compressé, panneaux muraux en résine imprégnée de dessins d’artistes ou revêtements de sol en coquilles d’œuf concassées et teintées».
Autres innovations, des fauteuils et étagères en résine colorée ou dans un nouveau matériau, ressemblant à une peau de serpent, issu de pelures d’ananas. Ou encore des chaises construites avec des chutes de bois de l’industrie du meuble. Ou le toit d’une maison en plastique recyclé. Ou encore des tuiles fabriquées à partir de bonbonnes d’eau plastifiées…

Une floraison de créations conçues avec des matériaux naturels ou recyclés.

Le potager s’installe à la maison

Mais la nature, ce sont aussi les fruits et les légumes! Ex-designer anglaise reconvertie dans le jardinage, Lucy Hutchings explique dans un autre livre qui vient de paraître, «Comestibles» (Editions Solar), que l’on peut créer facilement un potager chez soi, dans son appartement. Légumes, fruits, herbes et épices, tout peut être cultivé dans un potager design et intégré à la décoration. Le modèle absolu du circuit court!
«Pourquoi, demande Lucy Hutchings, les gens qui habitent dans des appartements, les jardiniers de balcons ou les propriétaires de jardinets ne pourraient-ils pas profiter des avantages d’un potager, simplement à cause de préjugés sur la manière dont les légumes doivent pousser? Il est temps de mettre un coup de pied dans la fourmilière! (…) Ce n’est pas parce qu’on manque d’espace extérieur que l’on ne peut pas profiter d’un potager! Le jardinage d’intérieur permet aussi de se libérer des aléas de la nature et des contraintes des saisons».
Dans son salon, dans la cuisine, dans le hall, partout on peut planter et récolter, explique Lucy Hutchings. Couleurs, parfums, atmosphère, un sentiment de douceur et de plénitude… «Jardin d’épices dans le salon, potager intérieur en hydroponie, panneau d’herbes fraîches, agrumes en kokedama, cloison végétale, étagères en micro-pousses, bureau potager…»: Lucy Hutchings ne voit aucune difficulté à réaliser tout cela.

 

Robert Habel