Lire, pour Ada Marra, c’est comme discuter avec un ami, avec une bonne copine, un voisin. C’est vivre, tout simplement…

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Dans la bibliothèque de…

Ada Marra: «Les livres, c’est l’école de la liberté!»

26 Jan 2022 | Articles de Une

Elle lit, elle lit, depuis qu’elle est enfant et qu’elle a eu la révélation que la lecture était la voie royale de la libération et de la confiance en soi. Fidèles compagnes de son combat politique, les bibliothèques squattent tout l’appartement de la conseillère nationale vaudoise, vice-présidente du PS suisse.

Dans son foyer au centre de Lausanne, les bibliothèques sont partout: dans le hall d’entrée, dans le salon, la cuisine, son bureau… Il y a aussi, dans le salon, un grand panier où elle empile, dans un joyeux désordre, les livres qu’elle vient d’acheter ou de recevoir. Conseillère nationale PS depuis treize ans et inlassable militante, Ada Marra aime les livres: elle vit avec eux et au milieu d’eux depuis toujours. Ils ont été en fait à l’origine de sa vie et de son engagement politique.
«Je dois aux livres l’un des plus beaux souvenirs de ma vie, nous confie-t-elle tout sourire, en nous accueillant chez elle. Je devais avoir 10 ans et mes parents m’ont amené un carton rempli des romans de la comtesse de Ségur. J’ai adoré cela, j’étais tellement heureuse. On habitait dans un deux-pièces avec mes parents, qui étaient venus d’Italie, et avec mon frère jumeau et ma sœur. La lecture m’a donné le sentiment de l’espace intérieur et de la liberté. Je lisais toujours couchée sur mon lit; aujourd’hui je lis souvent couchée sur le sofa».
Socialiste for ever, Ada Marra ne renie pas ce que les marxistes appelaient autrefois la lutte des classes. L’accès à la lecture, pour elle, c’est souvent le premier pas vers une forme d’autonomie et de confiance en soi. Après ses études de sciences politiques à l’Université de Lausanne, elle avait rêvé de faire carrière dans l’édition. «J’avais fait un stage aux Editions Antipodes, je relisais des manuscrits et j’avais adoré. Depuis, je lutte contre l’illettrisme en Suisse. J’ai été présidente de la Fédération romande «Lire et écrire» pendant six ans, de 2010 à 2016, car je n’ai jamais oublié que la lecture, c’était ce qui permettait aux gens de s’ouvrir au monde et de s’en sortir. C’est une manière de mettre des mots sur ses émotions et sur ses pensées. C’est la base de l’émancipation».

Un bonheur physique et
intellectuel

Lire, pour Ada Marra, de son vrai prénom Addolorata, c’est comme discuter avec un ami, avec une bonne copine, un voisin. C’est vivre, tout simplement, surfer sur tous les sujets – la politique, l’amour, la spiritualité, les migrants… – et éprouver à la fois des émotions, des sentiments, des idées, des envies. Il y a un aspect physique quand on prend un livre en main: «J’aime le contact avec le papier, j’aime toucher le livre, le caresser, le sentir. Les livres de la Pléiade, au contraire, avec leur papier Bible, m’ennuient». Et puis il y a bien sûr l’aspect intellectuel, le dialogue, les mille et une manières de percevoir la vie en lisant des romans, des témoignages, des essais, des livres d’actualité, des classiques aussi, de temps en temps, même si elle avoue avoir «un petit complexe» avec eux. «Même quand un livre m’emm…, je vais jusqu’au bout. Je ne peux pas jeter un livre».
Ada Marra est une socialiste historique, mais on a envie de dire qu’elle est déjà un peu atypique en ces temps de vague verte: pas vraiment écolo, mais toujours très engagée dans les luttes sociales et très spirituelle. Ouvertement et sereinement catholique, elle aimait le pape Jean Paul II – sa radicalité, son courage – dont elle a le portrait dans son bureau; elle aime aujourd’hui le pape François, ce pape prophétique qui défend irréductiblement les migrants. «Il est allé à Lampedusa et a jeté une couronne dans la mer en souvenir de tous ceux qui sont morts en essayant de traverser la Méditerranée».

La barque n’est jamais pleine

Ses bibliothèques ont beau envahir son logement, elles sont trop petites pour abriter tous les livres qui tentent de s’y loger. Résultat, elle est souvent obligée de faire deux rangées, l’une derrière l’autre, avec cette conséquence inéluctable que la deuxième rangée, invisible, devient inaccessible. Mais elle n’arrive pas à jeter un livre… ni à agrandir la surface de son appartement. Les bibliothèques sont pleines, donc c’est le grand panier qui ne cesse de recevoir les nouveaux arrivants. Mais pour Ada Marra, la barque n’est jamais pleine et les livres continuent de s’entasser dans un joyeux chaos.
Ce qu’on y trouve? «Vivre avec les morts», de Delphine Horvilleur, l’une des cinq rabbins de France. Un récit sur l’ancienne ministre française Simone Veil, «L’aube à Birkenau». Un livre du philosophe Edgar Morin qui a eu 100 ans l’année dernière. «Lettres à Nour», de Rachid Benzine, qui raconte le dialogue fictif entre un père et sa fille partie faire le djihad. Un ouvrage sur le pape François, un autre de Metin Arditi… Un bric-à-brac, en fait, qui résonne comme une forme de liberté.

Spiritualité et politique

Dans le salon, «La vie de Marthe Robin», la grande mystique française aussi bien adulée que contestée, décédée en 1981, à 78 ans, qui avait reçu les stigmates du Christ et qui avait plongé en enfer, dit-on, pour sauver les damnés. Des romans de Luis Sepulveda, le grand romancier chilien disparu l’an dernier, rendu célèbre par son livre, «Le vieux qui lisait des romans d’amour». Des ouvrages sur le sport, des livres d’Amin Maalouf, Libanais d’origine, membre de l’Académie française, grand défenseur du dialogue des religions et des cultures. Le livre de Jean Ziegler aussi, sur le drame des migrants en Grèce, sur l’île de Lesbos, «La honte de l’Europe».
Ada Marra aime les livres qui ont du sens et, pour cela, elle ne lit pas de polars. Mais elle fait des exceptions! D’abord pour Henning Mankell, le grand écrivain suédois, décédé à 67 ans en 2015, inventeur du célèbre inspecteur Wallander. «J’aime surtout sa partie africaine», note Ada Marra, qui se rappelle que Henning Mankell partageait sa vie entre sa Suède natale et son Mozambique de cœur, où il avait créé une troupe de théâtre. Et puis, la conseillère nationale aime aussi beaucoup Fred Vargas, qui triomphe avec ses thrillers et s’est découvert récemment une passion angoissée pour l’avenir de l’humanité, contre le réchauffement climatique, pour la planète… Et elle adore aussi l’écrivain grec Petros Markaris qui a créé, avec son inspecteur Charitos, une série incroyablement sensible et intelligente.
Lire, lire et encore lire et relire… C’est la vie d’Ada Marra et c’est aussi une passion, en phase avec son engagement politique.

 

Robert Habel

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