C’est sur la place de Longemalle qu’étaient exécutées les noyades judiciaires, tout comme sur la place du Molard.

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Lieux de crime

Sombres souvenirs genevois

26 Jan 2022 | Culture, histoire, philosophie

Devant le succès rencontré par notre article sur les «maisons du crime» (Journal de l’Immobilier No 15, du 12 janvier 2022), nous avons décidé de poursuivre sous forme de série cette évocation historico-policière, confiée à notre collaboratrice Valérie Duby, journaliste genevoise bien connue, à qui l’on doit notamment plusieurs livres d’enquête sur l’affaire Stern. (Réd.)

La série que lance aujourd’hui le Journal de l’Immobilier débute sous l’Ancien régime, où l’on découvre toutes les horreurs qui se sont produites dans la bonne ville de Genève. Par la suite, nous nous intéresserons à des lieux, maisons ou parcs, où se sont déroulés les faits divers les plus dramatiques ou insolites de ces dernières années ou derniers siècles!
Le premier volet de cette série nous fait donc revenir à l’Ancien Régime. «A cette époque, Genève baigne dans les crimes et la répression fait rage», explique Sandrine Busca, fondatrice dirigeante de l’entreprise «Genève pas cher», qui propose tout une gamme de visites insolites. «Je suis passionnée par l’Histoire insolite de Genève», explique-t-elle. Rendez-vous place de Longemalle pour le début de cette balade intitulée «Crimes et maléfices».
On apprend ainsi que sur cette magnifique place de Longemalle, mais aussi sur celle du Molard – elles n’étaient encore que des marécages proches du lac – , on pratiquait la noyade judiciaire. Un sort réservé aux auteurs de crimes contre nature. Le bourreau jetait de sa barque le condamné et le tenait sous l’eau jusqu’à ce que mort s’ensuive. «Après, le corps était transporté dans les rues de Genève, pour l’exemple», indique Sandrine Busca. La foule accourait assister au spectacle.
Direction la place du Molard et sa tour au clocher portant une clef. La légende raconte que peu avant la nuit de l’Escalade en 1602, un syndic de la garde, volontiers appelé le «traître» Blondel, se serait emparé de la clef donnant accès à la porte de Rive pour que les Savoyards puissent entrer. Le sésame resterait aujourd’hui présent pour rappeler le félon, exécuté ici. On marche désormais en direction du pont de la Machine, pas très loin de la promenade des Lavandières, pour évoquer la blanchisseuse Michée Chauderon, dernière sorcière pendue et brûlée vive dans le canton, à Plainpalais. Il faut savoir que la peine capitale était infligée à l’époque pour toute sorte de crimes: le bûcher pour les sorcières et les empoisonneurs, la roue pour les bandits de grand chemin, la pendaison pour les voleurs, les noyades pour les incestueux, adultères, violeurs de mineurs et sodomites, jetés au lac ou dans le Rhône, poignets et pieds liés.

Les plans de la guillotine genevoise, sont venus de Chambéry et c’est un menuisier genevois qui l’a construite.

Guillotine venue de France

Marcher dans la ville en découvrant des lieux et des histoires que l’on a peut-être apprises à l’école – mais, en tout cas pour la plupart, oubliées – nous fait véritablement découvrir une Genève inconnue. Sombre. Rue de la Corraterie, un petit «coucou» à la tête de la Mère Royaume, puis on remonte en direction de la place de Neuve en passant par la petite esplanade en bas de la rue de la Tertasse. Depuis 1980 y trône le buste d’Henry Dunant, fondateur de la Croix-Rouge. Eh bien! C’est précisément à cet endroit qu’au XIXe siècle avait été installée une guillotine.
Rappelons que Genève ayant été annexée par la France en 1798, il a fallu accepter le Code pénal français, lequel prévoyait à l’époque la guillotine pour exécuter les condamnés à mort. «On a fait venir des plans de construction de Chambéry et c’est au menuisier genevois Jean-François Nicolas Boiteux que la tâche fut confiée», ajoute Sandrine Busca. La guillotine sera utilisée à Genève 33 fois entre 1799 et 1813, 6 fois entre 1813 et 1862.

Dernier spectacle

Lors de la dernière exécution à la guillotine en 1862, dix mille badauds sont venus assister au «spectacle» censé restaurer publiquement l’ordre social: un jeune de 21 ans avait été condamné pour un meurtre au parc des Bastions. Au lendemain de l’exécution, le «Journal de Genève» écrit que la foule s’est comportée avec un calme remarquable: «Son attitude a été celle qu’elle devrait toujours être en de pareilles occasions, c’est-à-dire celle de citoyens qui assistent, dans un moment sérieux de justice, mais sans haine ni révoltantes bravades, à l’expiation d’un crime commis par l’un de leurs semblables».
Finalement, en 1871, Genève abroge la peine de mort, plus d’un siècle avant la France… Aujourd’hui, une partie de la guillotine genevoise est visible à la maison Tavel.
Il faudrait plusieurs pages pour raconter toutes nos découvertes de la balade «Crimes et maléfices». On ne vous dévoilera pas davantage cette fois-ci, mais sachez qu’il y est question de générations de bourreaux, de roi des Burgondes, de ghetto juif, de mises à mort d’homosexuels et de tortures en tout genre.

 

Valérie Duby

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