Le tripartisme doit être piloté de haut…

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Qu’est-ce que la compétence en… justice sociale?

26 Jan 2022 | Carrière et formation

«Que le meilleur gagne»… et qu’il gagne plus que les moins bons: c’est, dans notre société moderne, le seul bémol à l’égalité qu’on trouve «juste». En mars, l’Organisation internationale du travail doit trouver un nouveau chef: l’actuel patron a fait ses deux mandats. Cinq candidats se pressent au portillon, par documents et auditions interposés. L’un d’eux a même dit tout de go: «Je suis le plus qualifié». Mais que veut dire «qualifié» en matière de justice sociale, quand ce but si simple à nommer est si dur à toucher?

Juger un homme ou une femme est l’œuvre d’une vie: il faut un demi-siècle – du mariage au divorce – pour que les conjoints tombent d’accord de manière enfin «durable»: «Ah! si j’avais su qui tu étais vraiment!». Certes, un directeur général de l’Organisation (…) du travail ne reste en poste que cinq ou dix ans. Mais juger un candidat en cinq pages de projet et une heure d’oral peut être trompeur… dans un monde où les loups se vêtent de laine et les moutons crient comme les loups. C’est pourquoi seuls cinq «compétent(e)s» sont en lice, bien connus dans la maison par des années de contacts ou de mission. Leur carrière – même si tout chargé de mission est aussi un prête-nom – ferait pâlir d’envie Lucky Luke, Speedy Gonzales et le Hercule d’Augias. En tout cas, la biographie de chaque candidat (voir ilo.org) est un roman en soi, et celle des anciens patrons (depuis 1919) encore plus. Preuve qu’il ne suffit pas à une telle Organisation d’avoir une «bonne tête» pour tenir ses promesses.

Le piège de la réalité virtuelle

«Nous ne sommes pas devenus mauvais… le monde est devenu plus dur»: cette phrase des frères Zemour – rois du casino mis en scène, sous le nom de Bettoun, dans «Le grand pardon» – pourrait servir d’exergue à «L’avenir du travail», cette nouvelle Bible de la maison qui manque de sel (voir plus loin). Si le train social est coincé depuis trente ans, ce n’est pas qu’un «vache de patron» soit en travers de la voie: elle donne sur un ravin «dont on ne voit pas l’autre bord» avouait un ponte syndical rétif à la méthode Coué en vogue dans le milieu. «Faire de la justice sociale une réalité»… «ne laisser personne au bord du chemin»… ou de manière plus concise parler de «travail décent» et de «couverture universelle»: on partait pour la terre promise… on arrive en pleins sables mouvants! Depuis l’Entre-Deux Guerres, les mots eux-mêmes ont vieilli d’un siècle… à commencer par le «travail» et les «travailleurs»; et l’«égalité genre» ou les «emplois verts» sont juste un coup de vernis sur les tuiles. On en a parlé plus d’une fois sous cette plume, à propos des indépendants, de la paysannerie ou de plates-formes… tandis que l’ancien thème du chômage prend le visage du robot. Sujets que l’Organisation a bien dû évoquer dans «L’avenir du travail», en ménageant la chèvre et le chou: sans pouvoir se départir de son «tripartisme» qui est devenu moins un dialogue entre gouvernements, syndicats et employeurs qu’un jeu du chat, de la souris et de la cuisinière. Il semble manquer à l’équation un quatrième terme… mais toute équation n’a pas de solution: le «nouveau» contrat social que tous appellent de leurs vœux sera sans doute à jamais sans visage.

La quadrature du… triangle

Surprise toutefois, lors des auditions, la langue de bois fut moins du côté des candidats que des questions qu’on leur posait. Saluant certes à chaque phrase les valeurs fétiches de l’Organisation, les candidats ont tous pris acte d’un «monde du travail (qui) a changé» et qui demande aux «normes» de s’y couler. Ce qui fait la différence entre les candidats pourrait bien être: «du sérail» ou «hors sérail»… et pas que pour la «neutralité». Certes, les employeurs trouvent que sa longue carrière syndicale a trop déteint sur l’actuel patron… bien que rompu au débat depuis ses études à Oxford. Une journaliste du «Courrier» tenait à l’inverse le patron précédent – un prof catho – en haute suspicion. Surtout, plus qu’un Christophe Colomb à la barre, c’est une Claire Bretécher sur le mât qu’il faut à bord d’un bateau perdu dans la brume sur la Mer des Pirates. Surprise: pendant les auditions, un ou une candidat(e)s avait ce regard de Sirius, mais ce n’est pas aux médias de prendre ainsi parti: au lecteur d’aller sous ilo.org juger sur pièce.

Un antidote à Rachel Dolezal?

L’égalité genre a été une référence obligée et récurrente tout au long des auditions et des textes; l’égalité entre régions du monde, un peu moins. Certes, après avoir pris l’Organisation (…) de la santé, les diplomates d’Afrique avaient prévenu que «celle du travail serait la suivante». Mais un des deux candidats africains a dit avec force «Je ne veux pas être élu car Africain». La révolte de la périphérie a pris une forme plus… linguistique: l’anglomanie des Nations Unies a été mise à mal d’emblée par certain(e)s candidat(e)s; même le Togolais a dû parler en anglais, et des Asiatiques – qui interrogeaient «leur» Coréenne – ont exprimé sur ce point leur ras-le-bol. On l’a dit plus d’une fois sous cette plume: prononcer «special rapporteur» avec le bon accent compte plus dans une carrière onusienne que toute autre qualité.

 

Boris Engelson