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Clin d’œil de fin d’année

Dix jours de moins au calendrier!

1 Déc 2021 | Culture, histoire, philosophie

Alors que le changement d’heure a été officiellement abandonné, nous venons de repasser à l’heure d’hiver faute d’accord entre les pays qui l’appliquent. Imaginons maintenant ce que provoquerait une suppression de dix jours au calendrier… Et bien c’est ce qui arriva à nos aïeux en 1582, et inutile de dire que ce fut compliqué!

Jusqu’au XVIe siècle, c’est le calendrier julien qui était en vigueur depuis son introduction par Jules César le 1er janvier 45 av. J.-C . Mis au point pas l’astronome Sosigène d’Alexandrie, il était basé sur les cycles du soleil, alors que l’ancien calendrier romain se fondait sur les cycles lunaires. Toutefois, le calendrier julien présentait un défaut, car il accusait un retard d’environ trois jours tous les 400 ans par rapport aux données astronomiques. A la fin du XVIe siècle, face à ce décalage, la papauté décida de convoquer un colloque de scientifiques, qui remit son rapport en février 1582. Ce problème de calendrier avait d’ailleurs déjà été évoqué pendant le Concile de Trente (1545-1563).
Fort des conclusions de ce colloque, le pape Grégoire XIII dans sa bulle Inter gravissimas, instaura un nouveau calendrier appelé «calendrier grégorien», que nous utilisons encore aujourd’hui. Une correction limitée à dix jours fut retenue, alors que le retard effectif était de 12,7 jours. On passa donc directement du jeudi 4 octobre au vendredi 15 octobre 1582. Cela suscita bien évidemment d’intenses polémiques et posa de nombreux problèmes, mais pas forcément ceux que l’on pourrait imaginer…

En désaccord avec les étoiles

En effet, ce sont principalement des considérations politico-religieuses qui furent les causes essentielles des conflits liés à son introduction. Il ne faut pas oublier que l’Europe se trouvait en pleine guerre de religions. Si les protestants ne contestaient pas la validité scientifique de la modification, ils niaient toute autorité à l’Eglise catholique et au pape pour imposer un changement de calendrier. Ainsi, l’illustre astronome Kepler (auteur des lois du même nom) affirmait qu’il était «préférable d’être en désaccord avec les étoiles qu’en accord avec le pape». Il en résulta une immense confusion, car le changement de calendrier n’eut pas lieu partout au même moment. Entre octobre et décembre 1582, la plupart des pays catholiques adoptèrent le calendrier grégorien, tandis que les pays protestants restèrent fidèles au système précédent, souvent jusqu’au XVIIIe siècle.
Avec le temps, la plupart des Etats protestants finirent par se rallier au nouveau calendrier, y compris Genève qui changea au début de l’année 1701 (on comprend mieux pourquoi la nuit du 11 au 12 décembre est décrite comme «la plus longue» ou «la plus noire»: elle correspond à celle du 21 au 22 du calendrier actuel). Cela prit plus de temps en Angleterre qui n’adopta cette réforme, non sans mal, qu’en 1752, et pour la Russie qui attendit 1917. Notons toutefois que l’Eglise orthodoxe russe reste encore de nos jours fidèle au calendrier julien. Enfin, pour être précis, Chypre, la Grèce, la Roumanie et la Bulgarie adoptèrent le calendrier julien «révisé», qui restera en parfaite correspondance avec le grégorien jusqu’en 2800.
On peut penser que cette suppression de dix jours provoqua de graves perturbations dans la vie quotidienne de nos ancêtres. Ce qui ne fut pas vraiment le cas. Il faut savoir que dans l’Europe majoritairement rurale du XVIe siècle, le calendrier julien lui-même n’était pas encore entré dans les mœurs des campagnes et sa connaissance était des plus limitées. Les paysans se repéraient grâce aux phénomènes naturels saisonniers ou aux fêtes des saints, qui ponctuaient toutes les échéances. Il en allait de même pour les événements marquants. De plus, il n’y avait aucune uniformité parmi les divers Etats européens, dans lesquels l’année commençait souvent par une fête religieuse (Annonciation, Noël, Pâques). L’exemple de Milan, où les notaires continuèrent à se référer à Noël dans leurs actes jusqu’au XVIIIe siècle, le montre bien.
En guise de conclusion, on pourrait se demander, avec le sourire, si un pareil changement ne serait pas plus compliqué aujourd’hui qu’il y a 439 ans…

 

Frédéric Schmidt