Les mots usés sont-ils durables?

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carrière & formation

Qui ne «fait» carrière?

20 Oct 2021 | Carrière et formation

La semaine passée dans cette rubrique «Carrière & formation », on a dit pourquoi tourner autour du pot éducatif en disait plus que sauter dans le pot à pieds joints mains liées, ou même qu’avoir du bol hérité. Cette fois, on va voir pourquoi la même maxime est vraie des carrières: si trop d’information tue la formation, trop de professionnalisme tue les professions… ou l’inverse. Bref, malgré la hausse sans répit du nombre et des savoirs des métiers pointus, y a-t-il encore des jobs utiles? Ou bien les carrières sont-elles juste «faites»… sans trop d’états d’âme, ni guère place pour le doute? Cet article n’a pas de moralité: il pose juste des questions, qui trouveront réponse (ou non) par des études de cas, au fil des numéros.

Il est toujours risqué de traiter un corps de métier d’«inutile»: de l’insinuation de parasitisme à des campagnes d’exclusion, il n’y a qu’un pas. C’est ainsi qu’on a envoyé en camp des «usuriers» ou des «bourgeois», les premiers accusés de sucer le sang du peuple, les seconds, de l’aliéner pas des idées fausses. Et l’antifonctionnaire primaire se fait souvent des illusions sur une société sans bureaucrates. Le paysan pieds dans la glèbe… l’ouvrier mains dans le cambouis… mais seuls «productifs»… ont leur part de mythe. N’empêche, la plupart des métiers phares de jadis ont du plomb dans l’aile. Les contes de fées mettaient surtout en valeur les princes charmants et les chevaliers sans peur, parfois un barde ou un marin, et par la force des choses, une petite bergère. Pour faire rêver, les saints furent moins «sexy»: ils n’ont jamais pu occuper le «prime time» avant d’aller au lit, et ont dû se contenter du catéchisme dominical. En revanche un rebelle comme Robin des Bois a eu sa chance en dépit de la Cour. Les temps modernes ont mis sur un piédestal l’ingénieur, le médecin, le pilote et l’instit’… même si le juriste, le banquier, le ministre… et parfois le poète (voire le rentier, pourvu qu’il change de nom)… gardent leurs chances avec les dames (ou – égalité oblige – avec les hommes). Depuis le Bourgeois Gentilhomme, le commerçant – à moins qu’il soit pharmacien, ou alors qu’il/elle ait un restaurant ou une onglerie – ne parvient pas à se défaire d’une image moins flatteuse que celle des vedettes, quelle que soit l’origine – sportive, sonore, filmique – de leur fortune. Le roman d’aventures, puis la bande dessinée, enfin, ont su donner du lustre au marin, voire au pirate… sinon aux flics. Le cow-boy solitaire et le journaliste hors pair ont, à cette occasion, ouvert la voie au lanceur d’alerte.

Fuite de grosses huiles

On peut nommer «post-moderne» notre société, en ce sens que l’ingénieur, le médecin, le prof… ne savent plus à quel saint se vouer… ou plutôt, que leur image a désormais trop de points communs avec celle des saints, des prêtres ou des scribes. Celui qui s’en sort le mieux pour l’utilité est sans doute l’ingénieur… et même si elle date de la Belle-Epoque, l’image de la jeune beauté qui voulut à tout prix devenir l’épouse d’un Lesseps retraité, mais «qui a coupé les continents», parle encore. L’informaticien a eu des débuts sociaux difficiles, avant de devenir la coqueluche des écoles polytechniques. Le cosmonaute – a demi-martien – n’a jamais semblé un aussi bon parti que le pilote; et de nos jours, on peut se poser des questions sur l’avenir du capitaine, malgré les dénis de l’élite des mers (maritime-executive.com/editorials/why-we-will-never-see-fully-autonomous-commercial-ships). Y a-t-il trop de monde dans tous les métiers, surtout les plus pointus? Cinq ans après le diplôme, la masse des architectes n’est plus dans le métier; et aux concours de violon, le jury «tire dans le tas». C’est sans doute des métiers de la santé que viennent les paradoxes les plus troublants, malgré la durée sans fin de leurs études et l’effet vital de leur pratique. Si un pédagogue célèbre a écrit «Une société sans école», peut-on imaginer «Une société sans toubib»? Disons qu’une tension se voit de plus en plus entre le rôle savant et le rôle social du médecin. On s’en est rendu compte avec la pandémie: si le médecin reste le roi des sciences en action (et le chirurgien, celui de la bio-mécanique), il ne vaut guère mieux qu’un politicien quand il a trop de pouvoir. Savoir et pouvoir que les médias modernes mettent en miettes sous forme d’auto-médication… l’image de la «bonne» médecine face au «méchant» sorcier a fait son temps. Certes, les métiers de la santé sont multiples, mais quand on voit le prix de «simples» supports plantaires, on se dit qu’après tout, le métier de rentier a bien su se recycler: protégé par la loi… mais cela va-t-il durer? Ces questions sont peu discutées, même à l’excellent Salon des ressources humaines renvoyé à l’an prochain (salon-rh.ch).

Citoyen: un métier bien payé?

A vrai dire, bien des métiers «inventifs» inventent surtout des langues étranges pour conforter leur rôle de «scribe», sans qui même le Pharaon n’est rien. Mais ils sont à leur tour mis sur la touche par les machines à traduire au service de l’usager. Alors notre société post-moderne se raccroche à l’artiste si prisé de l’Ancien Régime, puis un peu terni par la Castafiore, mais mis au goût du jour (aiiafestival.org)… ou mieux, «engagé»… ça en prouve l’utilité. A moins que ce qui semble du grand art ne soit qu’un maquillage habile… pour confondre le politique et le citoyen.

 

Boris Engelson