Une patricienne bernoise au caractère trempé.

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Femme d’exception

Catherine de Watteville

22 Sep 2021 | Culture, histoire, philosophie

Aventurière, espionne pour le compte du roi de France Louis XIV, duelliste à ses heures, la vie tumultueuse de la Bernoise Catherine de Watteville ne manque pas de sel.

En décembre 1689, les autorités bernoises interceptaient un message secret destiné à l‘ambassade de France, alors située à Soleure. Précisons (on ne le sait plus assez de nos jours) que c’est la belle ville baroque de Soleure qui abrita de 1530 à 1792 l’ambassade de France en Suisse. La coupable fut rapidement identifiée; il s’agissait de Catherine de Watteville, issue d’une illustre famille patricienne. Emprisonnée et accusée de correspondance secrète avec une puissance étrangère, elle risquait la peine de mort. Mais pour comprendre les ressorts qui motivèrent la jeune femme, il faut remonter à son enfance.
Née en 1645 et issue d’une grande famille (membre de la Burgerschaft – sans trémas – constituant le patriarcat bernois, regroupé en corporations et toujours très puissant à l’heure actuelle), Catherine était la cadette de onze enfants. Son père, Gabriel de Watteville, occupait les fonctions de bailli de Bonmont en pays de Vaud.
N’ayant aucun goût pour les occupations destinées aux jeunes filles de cette époque, Catherine cassait ou brûlait régulièrement ses jouets et autres poupées préférant s’amuser avec les pistolets de ses frères. D’un esprit aventureux, rien ne semblait lui faire peur. Malheureusement, son père puis sa mère décédèrent rapidement; elle se retrouva orpheline et sans fortune à l’âge de treize ans.
Ballotée çà et là, elle finit par être placée à Morat chez un gentilhomme bernois, M. de Diesbach. Ce dernier initiera la jeune femme à l’équitation et en fera une cavalière émérite. Un jour, une grande dame française rendit visite à M. de Diesbach, accompagnée de sa suivante. Cette dernière fit des remarques désobligeantes à Catherine, qui lui lança ses cartes à la figure. Il s’ensuivit un duel féminin aux pistolets et à l’épée… Heureusement, M. de Diesbach avait retiré les balles et personne ne fut touché. Les deux jeunes femmes poursuivirent leur combat à l’épée, mais on réussit, non sans mal, à les séparer. Quelque temps après, notre amazone n’hésita pas non plus à tirer sur un homme qui l’importunait.

Déception amoureuse

Catherine avait maintenant 24 ans et sa famille voulait la marier rapidement. Follement amoureuse d’un gentilhomme bernois, elle vit son mariage refusé, car le prétendant était catholique. Sous la menace de lui couper les vivres, elle fut contrainte d’accepter une union avec Abraham Leclerc, prédicant sans grand relief. Elle mena alors une vie paisible et tranquille dans un village du Simmental. Cinq années plus tard, son mari mourut en la laissant veuve et sans ressources. La famille se hâta de la remarier avec Samuel Perregaux, greffier et conseiller de la bourgeoisie de Valangin, dans la principauté de Neuchâtel.
Or, cet homme était un partisan actif des intérêts français dans la région et la Cour de Versailles le savait bien. C’est alors que Perregaux proposa à l’ambassadeur de France les services de son épouse. Un rendez-vous fut pris et Catherine précise dans ses mémoires qu’elle fut reçue avec beaucoup d’égards. Pour plus d’efficacité, elle s’installa Berne. Il s’ensuivit une correspondance secrète et notre espionne se montra très active auprès des responsables bernois, afin de contrecarrer les influences antifrançaises. Il faut dire qu’à cette époque, Berne et Zurich étaient fort en colère, suite à la révocation de l’Edit de Nantes en 1685.

 

Après son arrestation, Catherine fut longuement interrogée et se défendit habilement. Soumise ensuite à la torture, il semble très probable qu’elle ait fini par parler. Pourtant, les magistrats étaient divisés sur les suites à donner à cette ténébreuse affaire. Beaucoup de hautes personnalités étaient compromises, notamment le maire de Berne Sigismund von Erlach. En définitive, la raison d’Etat prévalut et rien ne fut révélé. D’ailleurs, la plupart des pièces de la procédure ont disparu des archives… Condamnée à la décapitation, l’accusée vit sa peine commuée en bannissement à vie, en raison des services rendus par sa prestigieuse famille. Retirée à Valangin, elle dicta ses mémoires à son mari et mourut peu après, le 21 novembre 1714, à l’âge de 69 ans. Sa vie inspira de nombreux écrits et romans.

 

Frédéric Schmidt