/

Prix de l'immobilier à Genève

Le verdict de nos experts

22 Sep 2021 | Articles de Une

Alors que le marché immobilier genevois a subi une forte correction initiée en 2012, qui s’est heureusement soldée par un soft landing plutôt qu’un réel crash, la situation s’est progressivement stabilisée, de 2016 à 2018, pour se positionner dans une stature attentiste en 2019 (moratoire sur la zone villas, développement du Léman Express, incertitudes sur les courbes de bruit de l’aéroport, normes énergétiques et phoniques plus restrictives etc.).

L’an de grâce 2020 a été un épisode en demi-teinte en raison de la crise sanitaire qui a naturellement maintenu une grande partie de la population chez elle, sans pour autant stopper complètement les transactions. Le confinement partiel, tel que nous l’avons vécu en Suisse, c’est-à-dire de manière bien plus légère que dans d’autres pays voisins, a probablement eu trois impacts sur l’approche immobilière:
I. Une volonté de disposer d’un peu plus de place, idéalement avoir au moins une pièce supplémentaire permettant d’installer un bureau ou une salle de classe à domicile pour que chacun puisse correctement vaquer à ses occupations, car toute la famille travaillant simultanément dans le séjour n’était pas une solution acceptable;
II. L’idée de s’éloigner des centres urbains, car le télétravail n’imposait plus les mêmes contraintes, quand bien même le rythme devait évoluer au cours du temps et des déconfinements. Les entreprises ont intégré le fait que certains postes ne nécessitaient pas de présence physique aussi régulière dans les bureaux;
III. Le constat que la gestion de la pandémie, qu’on le veuille ou non, avait engendré un système de restrictions et de mesures bien plus faibles en Suisse que dans d’autres pays, ce qui avait attiré l’attention d’étrangers qui ont alors décidé de s’installer sur les bords de notre lac.
Ainsi, 2020 a vu le marché du haut de gamme commencer à frémir sous l’impulsion des acheteurs, parfois prêts à acquérir des biens, même depuis l’autre bout du monde, sans les avoir visités physiquement! Cela a naturellement eu un impact sur la valeur des biens et l’on constate que cette tendance se poursuit en 2021 avec une demande soutenue et une volonté de payer une éventuelle prime pour les objets recherchés, en particulier pour des objets de luxe, respectivement «pieds dans l’eau», ce qui mène à des transactions, certes assez rares, mais dépassant les 50 millions de francs. Les prix ne sont pas (encore) de retour aux niveaux de 2012, mais la hausse est notable et semble prendre tranquillement cette direction.

Villas et dérogations

On constate également que les quartiers de qualité, tout comme les villas (individuelles, mais également jumelles, car présentant un bon succédané à l’appartement), continuent d’être très recherchées car elles correspondent aux attentes des familles, tant sur le plan de l’organisation spatiale que du budget.
Les banques ont maintenu des contrôles stricts quant au financement de l’accès à la propriété, ce qui peut aussi être vu comme un élément positif, afin d’éviter une déconvenue des propriétaires à l’échéance d’un prêt hypothécaire à taux fixe de 10 ou 20 ans, si les taux devaient remonter de façon importante entre-temps et si les débiteurs n’arrivaient alors plus à faire face à leurs obligations et se trouvaient forcés de vendre leur bien «à la casse».
Dans une gamme plus modeste, les zones dites «réservées» et interdisant une densification dérogatoire (art. 59 al. 4 LCI) n’ont pas eu l’heur de se développer comme initialement envisagé et ont laissé la place à un moratoire sur la densification, qui lui-même s’est transformé en une prise en considération par l’Etat des attentes des communes dans le cadre de la densification de leur zone villas. Certains quartiers pourront dès lors être densifiés à l’avenir, en fonction des Plans directeurs communaux, qui devront être soumis pour validation au Canton d’ici la fin 2022. Ainsi, certaines régions vont certainement prendre de la valeur dans le temps, mais seront-ce les parcelles qui vont bénéficier d’une meilleure densification ou celles qui, au contraire, laisseront plus de terrain non bâti à disposition de l’occupant? A ce stade, il est difficile de le dire, mais la densification, à l’instar de certaines communes, devra probablement se profiler en bordure des axes importants, voire dans le prolongement des zones village (4B). On peut alors imaginer que les deux types vont progresser, mais de manière différente, puisque dédiés à des types de projets différents.

Zone agricole intouchable

A cela s’ajoute une restriction bien plus forte que par le passé au déclassement de la zone agricole, en particulier parce que les zones d’assolement (qui servent aux cultures en cas de guerre par exemple) sont désormais bien plus encadrées au niveau fédéral et que Genève est en manque de ces surfaces par rapport aux exigences bernoises. Ainsi, la zone agricole (qui représente environ 50% du territoire genevois) est devenue encore plus intouchable que par le passé.
A Genève, nous restons fondamentalement une population de locataires, puisque environ 82% de la population loue son logement, alors que dans certains cantons cette statistique est inversée, avec 80% de propriétaires. Cela étant, on constate que la volonté de pouvoir acquérir son logement reste une envie très vivace de la population, en dépit des contraintes strictes imposées par les établissements financiers pour les prêts hypothécaires, et cela se ressent lors de la construction de nouveaux immeubles, car la demande est sans commune mesure avec le nombre de lots offerts à la vente.
Sur le plan des nouveaux logements construits, Genève continue sur sa lancée, avec plus de 2000 logements par an depuis quelques années déjà, ce qui est naturellement positif puisque le flux net de nouvelle population continue de se maintenir à environ 5000 personnes par an, soit environ 1% de la population totale, et que l’apport de nouveaux logements a été très faible pendant quelques dizaines d’années auparavant. Cela étant, on peut imaginer que les grands projets qui sont en cours (Cherpines, Communaux d’Ambilly, Etang, etc.) ne seront malheureusement qu’un un petit bol d’oxygène dans le marché local, alors que la demande continue d’être très soutenue avec un taux de vacance à la mi-2021 de 0,51% (!), qui reste globalement stable. Pour mémoire, il est convenu de considérer que nous sommes dans un état de pénurie tant que ce ratio n’atteint pas 2%…

Echanges d’appartements impossibles

La difficulté de se loger provient également de la difficulté à opérer des rotations pour des locataires en situation de sous-occupation, généralement dans leur appartement depuis bien longtemps, donc avec un loyer particulièrement bas et peu représentatif du marché, car qui souhaite réellement déménager dans un appartement plus petit pour un loyer plus élevé? Personne, bien évidemment! Par ailleurs, si d’aventure le locataire, prêt à déménager pour libérer un appartement trop grand, devait trouver un remplacement acceptable, c’est le propriétaire qui se trouverait alors face à la LDTR qui, après des travaux de rénovation importants, l’obligerait à maintenir un loyer inchangé pendant trois ans et l’empêcherait de rentabiliser correctement l’investissement consenti.
En ce qui concerne les immeubles de rendement, le marché du centre-ville genevois reste très particulier et seules quelques transactions exceptionnelles ont lieu, à des taux de rendement qui semblent parfois atteindre des planchers littéralement incroyables. Ce qui, mécaniquement, entraîne des prix particulièrement élevés et non représentatifs du reste du marché genevois. Et encore moins suisse.
La suroffre d’espaces commerciaux ne s’est pas résorbée car la Covid-19 a poussé vers une délocalisation des collaborateurs, tout en excluant le coworking. Si le besoin en surfaces a diminué, on sait toutefois que la production de telles surfaces est planifiée très en amont, de manière généralement anticyclique, avant que les besoins se fassent effectivement ressentir. Les nouvelles infrastructures, modernes et efficaces, attireront certainement des entreprises et de nouveaux modes de travail, en particulier en dehors du centre-ville, qui n’est pas un emplacement obligé pour de nombreuses activités, mais il faudra probablement plus de temps pour les remplir et résorber cette suroffre.
Naturellement, le taux de rendement qui est utilisé pour capitaliser les revenus locatifs, bruts ou nets, pour le logement ou le commercial, doit être mis en perspective avec ce qui prévaut sur le marché actuel, et l’on sait bien que nous vivons une période de taux à un niveau historiquement bas. Pour mémoire, le taux d’intérêt sur les obligations suisses à 30 ans a été neuf fois négatif entre août 2020 et août 2021, ce qui signifie qu’il faut payer pour pouvoir prêter à la Suisse!

Les taux au plancher

Le marché des immeubles d’habitation est ainsi resté plusieurs années un marché de vendeurs qui, progressivement, tiraient imperceptiblement leur taux vers le bas, sans particulièrement faire attention à la corrélation entre ledit taux et le risque qu’il reflétait, respectivement la qualité de la rémunération de l’investissement, car tous les investisseurs (institutionnels ou non)voulaient détenir dans leur portefeuille diversifié une partie d’immobilier en direct, puisque les rendements restaient honorables au regard du reste du marché, et en particulier des taux négatifs sur les montants en compte courant (dès un certain seuil).
Il est toutefois plaisant de noter que les taux appliqués semblent avoir atteint un plancher et que les acheteurs ne sont plus prêts à procéder à des acquisitions «à tout prix», même si l’offre est rare, car ils se rendent bien compte que le maintien de l’état locatif nécessite des investissements et qu’on n’est pas dans la même situation qu’avec une action Nestlé ou une obligation Roche qui rapportent régulièrement, sans autres dépenses particulières.
Sans parler de bulle genevoise, car la demande reste correctement soutenue par rapport aux biens à disposition, l’on ne s’attend pas à une migration importante vers la campagne vaudoise ou française, car la culture actuelle n’intègre pas l’idée d’habiter à Yverdon lorsqu’on travaille en ville de Genève.
Il semble que la principale menace sur le marché consiste désormais en une future et progressive hausse des taux, suivant notamment une inflation qui ne serait pas locale, mais importée, au travers de la hausse des prix des biens de consommation divers.
Une telle hausse des taux pourrait alors avoir un impact direct sur la capacité des propriétaires à faire face au service de leur dette hypothécaire future, menant possiblement à une vente de leur bien, et aussi mener à une baisse mécanique de la valeur des immeubles de rendement après plusieurs années de hausse progressive. Nous ne sommes toutefois pas dans la même configuration qu’au début des années 90, mais il conviendra de rester prudent et attentif.

 

GARY BENNAÏM ET FRANÇOIS HILTBRAND
ANALYSES ET DÉVELOPPEMENTS IMMOBILIERS

GROS PLAN

Hommage

 

C’est la première fois que Fabrice Strobino n’a pas participé à la rédaction d’un de nos articles. Au-delà de ses compétences professionnelles et de son éthique, Fabrice était un ami et un associé rayonnant, disponible et positif. Son départ laisse un grand vide au sein de notre bureau, mais nous ferons en sorte de garder sa bonne humeur dans nos cœurs et ses enseignements dans nos esprits.
Merci à tous les professionnels de la branche immobilière qui se sont manifestés pour nous dire leur sympathie, cela a été grandement apprécié.

EXPLOREZ D’AUTRES ARTICLES :