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Les quatre vérités de Jean-Marc Vaudiau

Les réseaux de la colère

27 Oct 2021 | Les 4 vérités de Jean-Marc Vaudiau

La prise de pouvoir des réseaux sociaux correspond à la destruction des principes, de ce qui est au fondement de notre civilisation.

Une des clefs organisationnelles de ce XXIe siècle est le relativisme: l’affirmation qu’il n’existe plus de vérité pour tout le monde, plus de normes fondatrices. Le relativisme affirme que chacun a raison, et que la raison des uns vaut bien celle des autres. C’est grâce au relativisme qu’est devenue légitime la «post-vérité», c’est-à-dire le mensonge. Dans aucune réalité contemporaine ne s’exprime mieux le refus de normes incontestablement fondées que dans les réseaux sociaux. Cela tient de la vésanie: la prise de pouvoir des réseaux sociaux correspond à la destruction des principes, de ce qui est au fondement de notre civilisation.
La notion de cohérence implique l’existence de normes, de normes incontestables auxquelles se référer et qui légitiment tout le reste. Au moment où ces normes communes sont déconstruites, plus de cohérence, donc plus de sens. C’est cet effacement des ancrages, cette culture de l’effacement (cancel culture) qui conduit à la justification de toutes les revendications, même les plus destructrices. Les réseaux sont le paradis de cette destruction et ils promeuvent un monde inédit, bientôt parvenu au terme de sa course.
Si les réseaux sont le paradis des opinions, ils sont l’enfer de l’opinion publique. Opinion, le même mot pour désigner deux réalités différentes. L’opinion personnelle est un avis immédiat sur tel problème; l’opinion publique est la construction d’un esprit commun, même momentané. C’est la lecture, en tant qu’elle impose une distance avec l’immédiat, qui est le principal vecteur de l’opinion publique. Livres et journaux ont été au XXe siècle les moyens de conversations rationnelles, ils ont été les vecteurs de la formation de l’opinion publique. Les réseaux en sont l’exacte antithèse, où les jugements définitifs fusent ainsi que la violence, la colère, et où aucune liberté n’est gagnée sur l’émotion ni sur le ressentiment. Il faut s’adonner à la lecture pour penser rationnellement les affaires publiques. Les réseaux? Ils ne poursuivent pas l’histoire de l’opinion publique. Ils l’achèvent!