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Les quatre vérités de Jean-Marc Vaudiau

L’arbre aux enfants

10 Nov 2021 | Les 4 vérités de Jean-Marc Vaudiau

Dès qu’on coupe un arbre sain, c’est comme un peu d’espoir qui s’évanouirait.

Sulawesi est une île du nord de l’Indonésie, située à 300 kilomètres à l’est de Bornéo et au sud des Philippines. Les rites de deuil y sont particulièrement marquants. Les corps des enfants de quelques mois sont déposés dans des cavités creusées dans le tronc des arbres. Une fois l’alvéole nettoyée, on y installe le petit mort emmailloté dans un linceul. Puis, on referme la tombe d’un entrelacs de branchages et de tissus. Au fil des ans, la cicatrice du tronc se referme puis disparaît, conservant dans son sein le corps de l’enfant. Alors peu à peu commence le véritable voyage vers l’autre monde. Infiniment lentement, au rythme de la croissance de l’arbre, l’enfant monte vers les cieux.
Le rite est beau et rempli de sens: celui d’un espoir de vie. Le corps rejoint ainsi le grand tout de la nature, et il est nul besoin d’être grand sage pour comprendre qu’il ne faut pas abattre des arbres.
Dans un tout autre registre, le magnifique roman de Giono, «Un Roi sans divertissement», se passe dans la région de Chichilianne, aux confins de l’Isère et de la Drôme. Le justicier est à la poursuite d’un meurtrier en série, qui tue et cache les cadavres de ses victimes dans les hautes branches d’un arbre éloigné du village. Mais ce justicier porte en lui les ignominies qu’il punit chez les autres. Il se suicide quand il sait qu’il est capable de s’y livrer. Etant un être de la race des hommes et voyant croître en lui cette férocité, il se supprime pour supprimer la férocité.
Dans ces deux exemples, l’arbre est un personnage mystérieux. Confier les morts à la nature, les hommes l’ont toujours fait; les confier à des arbres est moins courant. Mais l’arbre symbolise à lui seul, par la force de sa ramure et de ses racines, les aspirations humaines pour la verticalité. Il monte de la terre aux cieux, la vie en lui est sans cesse recommencée. Rares sont les gens insensibles à cette promesse de salut, et c’est pourquoi dès qu’on coupe un arbre sain, c’est comme un peu d’espoir qui s’évanouirait.