La place Saint-Pierre.

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Dictionnaire hors du commun

Pierre-Yves Fux: parlez-vous le Vatican?

12 Jan 2022 | Culture, histoire, philosophie

Lorsque Pierre-Yves Fux, ambassadeur de Suisse à Chypre, a rencontré le pape François sur l’île d’Aphrodite en décembre dernier, le moins que l’on puisse dire est que le Sant-Père et le diplomate helvétique ont parlé la même langue, puisque le distingué Genevois est un expert en vocabulaire vatican. Il vient en effet de publier «Parlez-vous le Vatican? – Petit dictionnaire des mots du Saint-Siège».

C’est un gentilhomme dans tous les sens du terme. Pierre-Yves Fux est ce qu’on appelle un diplomate né. Vaste culture, distinction naturelle, passion de la rencontre et de la compréhension des autres: ambassadeur près le Saint-Siège de 2014 à 2018, puis à Chypre, Pierre-Yves Fux vient d’être nommé à Alger. Homme de foi, il préside également la Commanderie Saint-François de Sales (Genève et Vaud) de l’Ordre équestre du Saint-Sépulcre de Jérusalem, ordre de chevalerie dont la vocation est l’aide aux chrétiens de Terre sainte.
Outre plusieurs rencontres avec le pape et un rôle important dans l’organisation de la visite de François à Genève en 2018, l’ambassadeur Fux a réalisé au Vatican un ouvrage passionnant, permettant aux profanes comme aux érudits de mieux connaître et comprendre le plus petit Etat de la planète, mais aussi la principale Eglise du monde et, au passage, l’origine de nombreuses expressions françaises. «Le Vatican est un microcosme absolument fascinant, mais ouvert», confiait l’auteur à nos confrères du site «cath.ch» au printemps dernier. «Aller à Canossa» ou parler de «cape et d’épée», faire un «aggiornamento» ou s’asseoir sur un «faldistoire» même si l’on est pas d’«âge canonique» pour «fulminer» avec autorité: tous ces termes n’auront plus de secret pour le lecteur de ce dictionnaire original, qui se lit comme un roman historique.

Pierre-Yves Fux.

Suisse et Vatican

Notons que le Vatican n’a pas de langue officielle unique. Le latin est utilisé pour les textes législatifs et la liturgie; le français pour la correspondance officielle et diplomatique; les gardes suisses parlent en allemand, même s’ils sont francophones ou italophones; enfin, l’italien reste la langue de conversation courante. En plus du drapeau carré, le Vatican et la Suisse ont donc quatre langues en commun, puisque Mère Helvetia – avant l’envahissant anglais – préférait le latin pour s’adresser à l’ensemble de ses enfants; il n’est que de «lire» nos pièces de monnaie ou de regarder le fronton du Palais fédéral pour s’en souvenir. Pierre-Yves Fux signale d’ailleurs que le compte Twitter du pape compte davantage d’abonnés en latin qu’en allemand; de quoi réjouir ce fin latiniste qui estime que la langue de Cicéron n’est pas du tout morte.

 

Thierry Oppikofer

 

«Parlez-vous le Vatican? – Petit dictionnaire des mots du Saint-Siège», par Pierre-Yves Fux, Editions du Cerf, 342 pages.

GROS PLAN

Vatican et immobilier
Pierre-Yves Fux a choisi pour les lecteurs du Journal de l’Immobilier trois entrées de son
dictionnaire, portant sur des sujets liés au patrimoine bâti.

 

• Maison Sainte-Marthe ou en latin Domus (sanctæ Marthæ). La résidence des cardinaux-électeurs durant le conclave sert dans l’intervalle de maisons d’hôtes du Vatican. Comme la «Résidence Sainte-Marthe» voisine, où logent des responsables de la Curie, elle doit son nom à une église construite au XVIe siècle sous Paul III, flanquée d’un hôpital et d’un cimetière, qui abrita un temps le séminaire du Vatican. Le choix personnel du pape François d’y demeurer a donné une importance nouvelle à ce lieu et a fait de «Sainte-Marthe» le quasi-synonyme de l’entourage bergoglien, fait d’amis et de conseillers semi-formels, mais aussi d’institutions. Ainsi, le Groupe Sainte-Marthe, parfois désigné en italo-anglais comme Santa Martha Group, rassemble des experts et acteurs de la lutte contre la traite des êtres humains, à l’initiative de François.
La Domus est constituée de deux bâtiments parallèles et communicants, avec une grande chapelle où le pape François célèbre habituellement une messe à 7 heures du matin. Durant le confinement imposé au Vatican et dans d’autres pays, dont l’Italie, lors de la pandémie du coronavirus, cette messe matinale fut maintenue, et suivie sur Internet par chaque jour par plusieurs millions de personnes, au lieu de l’habituel groupe quasi privé. Ce bâtiment moderne de Sainte-Marthe, étincelant de propreté, avec un décor simple, est équipé des mêmes vastes ascenseurs lambrissés de bois que le Palais apostolique. Jean-Paul II voulut éviter aux 120 cardinaux qui éliraient son successeur l’inconfortable et parfois indigne installation de fortune dans les salles du Palais apostolique, et fit donc construire pour eux cette résidence, avec le nombre de chambres et les dispositifs requis: il est aisément possible de bloquer et sceller les volets (coulissants), pour empêcher toute communication vers la rue. Par manque de place dans la Cité du Vatican, ce bâtiment a été édifié relativement loin de la chapelle Sixtine, sur le côté opposé de la basilique Saint-Pierre. La construction de cet édifice, dans un État tout entier classé au patrimoine de l’humanité, n’alla pas sans quelque polémique ou appréhension.
• Denier de saint Pierre. En 1860, pour soutenir la Papauté menacée de banqueroute par la perte progressive des Etats pontificaux, fut lancée auprès des catholiques européens une quête appelée «denier de saint Pierre». Pie IX institutionnalisa en 1871 cette contribution récoltée dans les paroisses et diocèses (aujourd’hui étendue au monde entier), qui constitue l’une des sources régulières de revenus de la Papauté, à côté notamment des Musées du Vatican et de biens immobiliers. Dans les royaumes anglo-saxons, l’usage de verser à Rome le «Peter’s Pence», attesté depuis 787, ne sera supprimé que lors du schisme anglican, par Henri VIII, en 1534. Le denier est une monnaie antique correspondant grosso modo à un salaire journalier, plusieurs fois mentionnée dans le Nouveau Testament à propos de l’impôt. S’inspirant du denier de saint Pierre, on créera le denier du culte (depuis 1989, en France, denier de l’Église), contribution annuelle volontaire aux finances d’un diocèse, à laquelle tous les fidèles sont appelés et tenus.
• Etat de la Cité du Vatican. L’État indépendant et souverain constituant le support territorial du Saint-Siège est situé sur la colline du Vatican. Il a été constitué le 11 février 1929 par les Accords du Latran entre le Saint-Siège et l’Italie pour régler la «Question romaine», permettant à deux monarques une forme de partage de leur capitale. Posséder un territoire souverain (et non pas seulement se faire concéder une immunité et une extraterritorialité) garantit au Saint-Siège une «indépendance absolue et visible» et une «souveraineté indiscutable, même dans le domaine international». Entouré par la muraille léonine, hormis sur l’esplanade ouverte de la place Saint-Pierre, ce territoire ne représente que 44 hectares, ce qui en fait le plus petit Etat souverain du monde: selon la volonté même du Saint-Siège, le minimum nécessaire à son fonctionnement. Quelques années après la signature des Accords, cette retenue s’est révélée un sage moyen d’éviter une invasion. Le Vatican n’avait pas demandé d’accès à la mer et aux eaux internationales, mais il est admis à la navigation maritime avec des bateaux arborant le pavillon pontifical (contrairement à la Suisse, il n’exerce pas ce droit actuellement). À ce territoire souverain au cœur de Rome s’ajoutent des possessions extraterritoriales en Italie: le domaine de Castelgandolfo (55 ha), les terrains de Radio-Vatican, des sanctuaires et bâtiments officiels à Rome (le Latran, p.ex.) et au-delà (basiliques de Lorette et d’Assise). Depuis des siècles, bien avant 1929, le Saint-Siège possède un réseau d’ambassades (nonciatures), jouissant aussi de l’extraterritorialité.
C’est le Saint-Siège et non la Cité du Vatican qui exerce la politique extérieure et signe les traités – y compris ceux de nature territoriale, comme les affaires postales. En plus d’être souverain pontife, le Pape est le souverain de l’État de la Cité du Vatican, donc chef d’Etat au sens habituel; ce titre officiel du Pape, le plus récent, figure à l’avant-dernière place dans la liste donnée par l’Annuaire pontifical.
Au plan interne, administré par un Gouvernorat que préside un cardinal, l’État de la Cité du Vatican dispose de ses propres institutions, séculières, comme un système judiciaire local distinct des tribunaux ecclésiastiques compétents en appel pour l’ensemble des catholiques. La sécurité intérieure et la police financière relèvent de la Gendarmerie vaticane (qui dépend du Gouvernorat et n’est donc pas «pontificale»), affiliée à Interpol, tandis que les frontières extérieures et surtout la personne du Pape sont d’abord protégées par la Garde suisse pontificale (qui dépend de la Secrétairerie d’État, donc du Saint-Siège). Les deux forces de sécurité coopèrent étroitement, et certains organes réformés par le pape François (finances, médias) sont communs aux deux entités, Saint-Siège et Vatican.
Du fait de la richesse exceptionnelle de son patrimoine, l’ensemble du territoire est placé sous la protection de la Convention de La Haye de 1954 concernant la protection des biens culturels en cas de conflit armé, et il a été inscrit en 1984 sur la liste du patrimoine de l’humanité. Mais le Vatican n’est pas qu’un lieu saint ou un musée: il émet ses euros et possède une micro-activité économique (agriculture, imprimerie, atelier de mosaïque, frappe de médailles, commerces). Parmi ses 800 résidents, un peu plus de la moitié possède la citoyenneté vaticane, dont les gardes suisses et leurs familles; un nombre équivalent de ses ressortissants (responsables de la Curie, diplomates) vit à l’extérieur… tandis que les visiteurs sont plusieurs millions par année, qu’il s’agisse de la basilique Saint-Pierre ou des Musées. Parmi les abréviations standards, «SCV», qui signifie Status Civitatis Vaticanæ ou Stato della Città del Vaticano, est l’objet d’une boutade: «Si le Christ voyait…» – à quoi on peut répondre par le «CV» inscrit sur les plaques d’immatriculation privées: «le Christ voit».