«Quand Mozart traversait la Suisse»,
par René Spalinger, Editions Slatkine.

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Un ouvrage passionnant

Quand Mozart traversait la Suisse

1 Fév 2023 | Culture, histoire, philosophie

En 1766, la famille Mozart, après une absence de Salzbourg de plus de trois ans, choisit de passer par la Suisse pour son retour. Le musicien et conférencier René Spalinger nous raconte dans un livre très documenté le trajet qui emmènera le jeune Mozart, ses parents et sa sœur de Genève à Schaffhouse, en passant, entre autres, par Lausanne, Morat, Berne, Zurich et Winterthour. Il nous fait aussi redécouvrir une Suisse du XVIIIe siècle bien éloignée du pays contemporain. Fouette cocher!

Préfacé par Geneviève Geffray, experte de Mozart et éditrice de la correspondance Mozart en sept tomes, l’ouvrage de René Spalinger, lui-même fondateur et président de la Société Mozart Lausanne 1766, affiliée à l’Internationale Stiftung Mozarteum de Salzbourg, évoque non seulement les étapes helvétiques de la famille Mozart, mais dresse un portrait enlevé d’une Suisse aristocratique et patricienne du XVIIIe siècle en nous livrant maints témoignages de contemporains, parlant certes du jeune génie salzbourgeois, mais aussi d’un pays aux républiques aristocratiques diverses.
C’est Leopold Mozart qui décide, à l’automne 1766 à Lyon, de traverser la Suisse pour rentrer en Autriche au lieu de passer par Turin et l’Italie du Nord à la fin d’un long déplacement européen, qui a notamment permis à Wolfgang Amadeus de jouer devant le Roi et la Reine à Versailles et de converser en allemand avec Marie-Antoinette. Le voyage helvétique n’a rien de préparé ni d’officiel; aucun arrêt n’est programmé, seule l’intention de rencontrer Voltaire à Ferney et probablement Salomon Gessner à Zurich étant présente. Leopold savait bien que la Suisse de l’époque n’offrait que la beauté de ses paysages, mais aucune cour royale ou princière, ni théâtre pour justifier un intérêt musical à ce trajet. On pouvait penser que la Suisse ne serait que le lieu de passage de la France à l’Autriche. Finalement, les arrêts, restreints, seront au nombre de six: Genève, Lausanne, Berne, Zurich, Winterthur et Schaffhouse. Aucune ville catholique ne fut visitée et l’on omit de passer par Lucerne qui était pourtant, à l’époque, un lieu réputé musicalement et théâtralement.

Voyage initiatique

Richement illustré, l’ouvrage de René Spalinger édité par Slatkine donne, dans une première partie, de précieux renseignements sur la famille Mozart: Leopold le père, Anna Maria la mère, Nannerl la sœur et Wolfgang Amadé, «beau, vif, gracieux, et plein de bonnes manières, et lorsqu’on le connaît, on ne peut s’empêcher de l’aimer» (lettre de Johann Adolf Hasse). Sont également mentionnées la vie de cour que fréquenta le jeune Mozart et sa famille, et certaines impressions tirées des voyages accomplis en Europe de 1763 à 1766, qui doivent s’autofinancer par des concerts, des commandes et cadeaux reçus.
Spalinger évoque aussi la Suisse au temps des Mozart, en s’appuyant sur les précieux travaux de Gonzague de Reynold, dont une grande partie de l’œuvre fut consacrée à la description de cette Suisse patricienne. Il fait litière de la légende d’un Leopold «montreur d’ours», sorte de bourreau d’enfant ou de Ténardier d’avant «Les Misérables», promenant sa progéniture sur les routes d’Europe comme un impresario avide d’argent et d’honneurs. Leopold Mozart attache une grande importance à l’éducation, à la valeur de l’expérience, à la nécessité du développement des talents reçus. Pour Wolgang Amadeus Mozart, «ces voyages ont non seulement une énorme portée éducative, mais auront également une influence sur sa créativité par la découverte directe des styles les plus divers de son temps», affirme Spalinger.
Dans la seconde et principale partie de son ouvrage, René Spalinger nous fait vivre, à l’aide de témoignages, de lettres de contemporains, et de notations relatives aux monuments vus et aux personnalités rencontrées, ce déplacement helvétique presque jour par jour, en insérant le passage des Mozart dans un contexte et une réalité propres à chaque ville où l’on fait arrêt. C’est l’occasion pour le musicologue suisse de nous donner des renseignements intéressants qui dessinent une Suisse très différente de celle du XXIe siècle.
Les Mozart découvrent Genève en pleine période de troubles et d’instabilité, donnent des concerts à l’Hôtel-de-Ville de Lausanne, traversent la Broye vaudoise et fribourgeoise, voient sur leur route l’ossuaire de la bataille de Morat de 1476, découvrent la puissance et la richesse bernoises, rencontrent à Zurich les savants et le poète Gessner, avant de rejoindre Schaffhouse par Winterthour où ils logèrent dans le meilleur hôtel de la ville, Zum Wilden Mann.
Le 19 octobre 1766, les Mozart quittent le territoire de l’Ancienne Confédération pour rejoindre Salzbourg, où ils parviennent le 29 novembre après trois ans de ce que les mozartiens appellent le «Grand voyage européen», les emmenant en France, en Angleterre, dans les Provinces-Unies et donc dans cette Confédération helvétique que le livre de René Spalinger fait bellement revivre.

 

Laurent Passer