Une comédie roborative à Vevey

C’est désormais à Vevey, au Théâtre Les Trois-Quarts, que l’on peut goûter à la joie d’une pièce de qualité, «Le Requérant», de et par Philippe Cohen (il joue le personnage clef parlant couramment le faux balkano-oriental). Cette comédie hilarante, au rythme soutenu et aux rebondissements permanents, avait déjà enchanté le public romand il y a une vingtaine d’années. Elle a été remise au goût du jour et fait mouche: on en sort ravi.

Les représentations genevoises, à la Salle de la Madeleine, ont fait le plein. Aux Vaudois désormais de bénéficier de cette pièce pleine d’humour, sans message pontifiant malgré le sujet sensible, et qui n’a rien à envier aux succès des comédies parisiennes. Dans le rôle de Mourad, clandestin arrivé d’un pays d’Asie centrale qu’on n’a pas vraiment envie de visiter, Philippe Cohen est parfaitement crédible. «J’ai moi-même pas mal émigré», commente-t-il une fois débarrassé de son indispensable bonnet qui vous pose son requérant dans les salons mondains. Et c’est le cas de le dire, puisque ce Mourad, archétype du personnage exotique paumé cher aux post-adolescentes conscientisées, se retrouve «invité» d’une famille bourgeoise qui a un voisin aspirant policier et une bonne dévouée qui passe son temps à dire que «ce n’est pas grave».
Politiquement incorrecte, certes, mais aussi empreinte d’une certaine liberté de ton tout à fait typique de Philippe Cohen, la pièce est non seulement drôle, mais réaliste. La brave bonne (oui, aujourd’hui on dirait employée de maison ou assistante de vie ménagère) sait bien gérer ses intérêts, le premier étant d’avoir un travail. Le candidat policier obsédé par sa prestation de serment et qui a un peu de peine avec les étrangers, ou la fille gauchiste insultant ses parents mais adossant son militantisme à leur portefeuille bien garni, donnent l’impression de les avoir rencontrés dans la vraie vie. Le cadre de maison d’horlogerie obsédé par son imminent Salon et la promotion de ses modèles onéreux est criant (dans tous les sens du terme) de vérité; c’est aussi le cas de son épouse bourgeoise qui retrouve sa foi hispanique démonstrative et sa voilette lorsque les ennuis arrivent aussi (son faux castillan est aussi irrésistible que le faux idiome cohénien).
Bien écrit, bien mis en scène et bien joué: il ne reste plus qu’à prendre du plaisir en se précipitant à Vevey!

Vincent Naville